Le Monde.fr | 28.01.2014 à 18h54 • Mis à jour le 29.01.2014 à 10h17 | Par Nathalie Brafman
Les écoles de journalisme refusent qu'on leur dicte ce qu'elles doivent enseigner à leurs étudiants. Et l'ont clairement fait savoir aux parlementaires, lundi 27 janvier.
En cause, l'introduction dans le projet de loi sur l'égalité entre les hommes et les femmes de l'article 16 bis, faisant obligation à l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur du journalisme de modifier leurs programmes et de dispenser un enseignement sur l'égalité entre les sexes et la lutte contre les stéréotypes sexistes.
Dans un communiqué, la Conférence des écoles de journalisme (CEJ), qui compte les quatorze établissements ou formations reconnus par la convention collective nationale des journalistes, s'est dite consternée par cette disposition et a vivement dénoncé cette injonction. « Aujourd'hui, c'est l'égalité hommes-femmes ; demain, quelles seront les autres "matières" dont l'enseignement deviendra obligatoire aux yeux des députés ? » « C'est une atteinte à la liberté ! », lance Hervé Demailly, président de la CEJ.
Ce qui étonne et agace ces écoles, c'est « le ciblage » dont ces formations font l'objet. En effet, aucune autre formation qui pourrait être concernée par ces questions (écoles de commerce, ressources humaines, audiovisuel, publicité...) ne fait l'objet d'une telle injonction. « Si c'est une demande de la société, alors cet enseignement doit avoir lieu partout. Nous nous sentons stigmatisés. Pourquoi nous et pas les autres ? », s'interroge M. Demailly.
INDÉPENDANCE DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
Défendu par Sylvie Tolmont, députée PS (Sarthe) et rapporteure pour avis sur le projet de loi pour l'égalité homme-femme, cet article a été voté en décembre 2013 par la commission des affaires culturelles et de l'éducation. « A l'époque, j'avais déjà émis des réserves, notamment juridiques. L'enseignement supérieur est indépendant et ce n'est donc pas au législateur d'imposer aux établissements ce qu'ils doivent enseigner », souligne le rapporteur de la loi, Sébastien Denaja (PS, Hérault). Il rappelle même avoir émis un avis défavorable pour que les écoles d'architecture ou les métiers du sport soient aussi ciblés. « Mais je n'ai pas été suivi par mes collègues pour les écoles d'architecture », regrette-t-il.
A l'Assemblée nationale, vendredi 24 janvier, l'article 16 bis n'a quasiment pas été discuté.
Lire aussi : Le projet de loi sur l'égalité femmes-hommes adopté par l'Assemblée
http://www.lemonde.fr/politique/article/2014/01/28/le-projet-de-loi-sur-l-egalite-femmes-hommes-adopte-par-l-assemblee_4355926_823448.html
Lors de sa présentation, la députée PS d'Ille-et-Vilaine, Marie-Anne Chapdelaine, a déclaré : « Je crois profondément à la vertu de l'éducation et de la formation (...) Aucune formation professionnelle ne peut s'exonérer de cette exigence. Evidemment, il ne s'agit pas de stigmatiser telle ou telle profession : il s'agit au contraire de viser celle dont l'audience donne capacité à former l'opinion et à être prescriptive de représentations publiques, afin qu'elle soit sensibilisée à un degré très élevé. »
POUR UNE IMAGE RESPECTUEUSE DES FEMMES
Najat Vallaud-Belkacem, la ministre des droits des femmes, a rappelé que l'objectif de cette loi était « de veiller à ce que l'image des femmes dans les médias puisse être respectueuse, afin que les atteintes à la dignité des femmes ne soient plus monnaie courante, que ce soit à la télévision ou à la radio. Nous voulons lutter contre les stéréotypes abusifs qui, de fait, créent des inégalités entre les hommes et les femmes dans ce pays, parce qu'ils sont confortés, reproduits, en permanence ».
Pour M. Denaja, la durée de vie de cet amendement sera sans doute assez brève. Il espère que les sénateurs le supprimeront et regrette que cette polémique prenne autant de place dans un texte de loi aussi ambitieux pour les droits des femmes. « Si jamais le Sénat laissait cet article, je prendrais sans doute l'initiative d'en demander la suppression à la fois pour des raisons juridiques mais aussi des questions de cohérence vis-à-vis d'autres professions qui auraient pu être tout aussi légitimement visées par le même objectif. »
Les écoles espèrent également sa suppression. « Nous n'avons pas encore de plan de bataille mais nous saisirons peut-être notre ministre de tutelle [Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche] pour lui demander s'il est bien raisonnable qu'on nous impose depuis l'Assemblée nationale des contenus pédagogiques », prévient M. Demailly.
Nathalie Brafman
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Le contenu de l'article 16 (bis)
« Les formations à la profession de journaliste dispensées par les établissements d'enseignement supérieur comprennent un enseignement sur l'égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les stéréotypes, les préjugés sexistes, les images dégradantes, les violences faites aux femmes et les violences commises au sein des couples. »