Sarkozy et la presse, une longue fâcherie
LEMONDE | 07.02.12 | 11h49 • Mis à jour le 07.02.12 | 11h59
Ce samedi 21 janvier, dans la somptueuse résidence du préfet de Guyane, Nicolas Sarkozy attend la presse, installé dans un confortable canapé. Il accueille, un verre d'eau à la main, la quinzaine de journalistes qui le suivent, tandis que le champagne et le planteur circulent autour des tables basses. Sous le carbet du jardin tropical, le souper durera plus de trois heures. A quelques semaines de l'élection présidentielle, le candidat non déclaré se lance dans une opération de reconquête de la presse qu'il a boudée pendant deux ans.
La majorité des journalistes qui l'entourent ne lui sont pas familiers. Sous prétexte de "mieux se connaître", le président s'engage dans un long exercice narcissique mâtiné de séduction. Il fait mine de s'inquiéter de la fatigue des uns et des autres. "Ça ne doit pas être facile pour vous de me suivre comme ça. Je pense à vos conjoints, à vos enfants." Il plaisante, taquine, heureux de voir les médias se presser autour de lui pour recueillir quelques confidences. "Vous êtes mon miroir", lâche-t-il.
Nicolas Sarkozy aime la presse autant qu'il la déteste. Il la lit, la décortique, enrage lorsqu'elle lui est défavorable, juge légitime qu'elle lui reconnaisse des qualités et voudrait que les journaux lui soient reconnaissants d'avoir organisé, en 2008, des Etats généraux de la presse. Il rappelle régulièrement qu'il lui a octroyé 580 millions d'euros d'aides. Il se glorifie d'être un "bon client" pour les journalistes, par son activisme, sa capacité à surprendre, son tempérament, son impudeur.
Comme un amoureux déçu, il est dépité lorsque la presse se montre dure avec lui. "Au début de sa carrière, on a envie de séduire. On prend pour des trahisons ce qui est au fond de la liberté professionnelle. Avec le temps, j'ai appris que les sentiments (…) c'était déplacé", déclare-t-il, le 31 décembre 2011, lors de ses vœux à la presse à l'Elysée. L'a-t-il vraiment compris ? Les hauts et les bas entre Nicolas Sarkozy et les journalistes n'ont pas manqué en cinq ans.
ADEPTE DE LA RUPTURE
Le candidat, adepte de la rupture, avait promis la transparence avant son arrivée au pouvoir. Les points de presse quotidiens de David Martinon ponctuent donc les premiers pas de la présidence. L'éviction du porte-parole moins d'un an plus tard sonne le glas de la période West Wing de l'Elysée. Mais le nouveau président, habitué depuis dix ans à une proximité quasi quotidienne avec les journalistes, en convie certains dans son avion, pour conter ses exploits internationaux.
A l'été 2008, de retour de Russie, en pleine guerre de Géorgie, le président raconte avec moult détails comment il a convaincu Vladimir Poutine de geler son invasion de la Géorgie. En réalité, le chef du gouvernement russe a fait ce qu'il avait prévu. Au G20 de Washington, en novembre 2008, il emmène quelques rédacteurs qui, fait exceptionnel, sont inclus dans la délégation officielle française. Au retour, il est sacré "Sarkozy maître du monde" par le Journal du Dimanche.
L'exercice devient plus délicat lorsqu'il tente une médiation sur la guerre de Gaza, fin 2008. Pour avoir écrit que son intervention donnait de "piètres résultats", l'envoyé spécial du Monde a vu son invitation à accompagner le président en avion annulée, puis rétablie. Petite pression de l'Elysée pour signifier la réprobation.
Le président est rarement satisfait du niveau des journalistes qui le questionnent. Quand il ne juge pas leurs questions déplacées, il considère qu'elles ne respectent pas les intérêts du pays. Lors d'une visite à Trinité-et-Tobago en novembre 2009, juste avant le sommet de Copenhague sur le climat, Nicolas Sarkozy disserte sur les risques qui menacent la planète. A la fin de la conférence de presse, le Parisien lui demande s'il est vacciné contre la grippe qui menace la France. Il répond, mais enrage de cette question qu'il juge prosaïque.
Plus grave, le président n'aime pas les questions dont il estime qu'elles mettent en "danger" la France. "Est-ce que l'on peut dire que c'est la fin de la malédiction pour le Rafale ?", lui est-il demandé devant le président Lula da Silva, au Brésil, le 7 septembre 2009. Nicolas Sarkozy s'afflige : jamais un journaliste américain n'aurait posé une telle question à Barack Obama ! assure-t-il à ses proches. La presse doit se soumettre à sa raison d'Etat.
RUMEURS SUR LA VIE PRIVÉE
Mais c'est sur sa vie privée, complaisamment étalée quand elle est heureuse, que Nicolas Sarkozy est le plus susceptible. A Londres, en mars 2010, Le Monde lui demande s'il compte réagir aux rumeurs d'infidélité au sein de son couple. "Vous devez ignorer ce qu'est l'emploi du temps d'un président de la République !, s'emporte le chef de l'Etat. Je n'ai pas une seconde à perdre avec ces élucubrations. Je ne sais même pas pourquoi vous utilisez votre temps de parole pour poser une question pareille."
Il s'agite pourtant beaucoup pour connaître l'origine de ces rumeurs et par tous les moyens. En représailles, le journal est interdit de question lors du sommet suivant à Bruxelles et non convié aux entretiens habituels de décryptage sur les négociations européennes.
La vie privée, désormais, est sacrée. "Pourquoi s'attaquer à Carla ? Parce que c'est ma femme, quel besoin d'aller essayer de salir Carla ? C'est gratuit, c'est méchant, c'est machiste", s'emporte-t-il ainsi en Guyane, alors que l'hebdomadaire Marianne a publié une enquête sur le financement de la fondation de son épouse. Ce qui ne l'empêche pas d'organiser la visite "impromptue" de Mme Bruni-Sarkozy, bébé sous le bras, lors de ses entretiens avec les journalistes.
L'ART DU "ON" ET DU "OFF"
Ses relations avec eux sont imprévisibles, souvent non professionnelles. Le président ne tient plus les longues conversations du candidat, mais consent quelques "off" au débotté, lors de voyages aux antipodes. Les médias, pour qui la facturation des voyages présidentiels a été revue à la hausse, ne peuvent pas tous se payer ces déplacements, où ils espèrent les petites phrases du président. Ces propos ne doivent pas être diffusés sur les fils des agences, qui graveraient dans le marbre la parole présidentielle. Ils sont distillés dans la presse avec une date limite de péremption : la parution, le mardi soir, du Canard enchaîné, qui sert de blanchisseuse grâce à l'anonymat de sa page 2.
"Un “on”, s'il est creux, c'est parce que le type est prudent, a théorisé Nicolas Sarkozy en Guyane. Un “off”, s'il est creux, c'est parce que le type est nul." En réalité, le président ne fait pas vraiment de confidences : il teste ce qu'il va dire en public juste après, ou répète ce qu'il a déjà annoncé à ses proches.
Parfois, l'exercice tourne à son désavantage. A Brasilia, à l'approche du procès de Dominique de Villepin, dans l'affaire Clearstream, Nicolas Sarkozy fait une sortie sur "les officines et les combines" de la République. La phrase fait la "une" du site Internet du Parisien et met l'Elysée en fureur. Les "off" se font plus rares.
En Nouvelle-Calédonie, en août 2011, il passe trois jours sans dire un mot à la presse, alors que se déroule la rentrée socialiste à La Rochelle. Pendant cette période, il ne tolère que la présence des journalistes spécialisés et celui qui se donnait la peine, à ses débuts, de séduire le journaliste débutant méprise désormais tout contact avec les rubricards accrédités à l'Elysée… Il ne parle plus qu'aux directeurs de journaux et aux éditorialistes.
ÈRE GLACIAIRE
Le pic de cette ère glaciaire a lieu avant les élections régionales de mars 2010. La presse annonce une défaite à laquelle M. Sarkozy ne veut pas croire. Le 9 mars, à Pontarlier, en pénétrant dans l'usine métallurgique Schrader International, il salue les ouvriers, mais refuse de dire bonjour aux médias. "Ah non ! Pas les journalistes. Ils sont épouvantables", glisse-t-il au directeur de l'usine.
Nicolas Sarkozy est désormais convaincu que la presse est contre lui. Lors de ses vœux à la profession, il assène : "Nous sommes dans un pays où la presse est tellement libre qu'elle n'est pas obligée d'être impartiale." En Guyane, il observe, navré : "Il y a des journaux qui ont des lignes politiques." Il s'en prend à Libération qui a publié en "une" "le programme politique d'un candidat" et au Monde qui "avait soutenu Ségolène Royal en 2007". "Il n'y a que Le Figaro qui me soutient", soupire-t-il, mais cette fois pas pour déplorer que le quotidien ait "une ligne politique". Il menace, osant toutes les comparaisons : "Quand L'Equipe a pris à partie Aimé Jacquet, il a failli mourir."
A ses yeux, l'ultime preuve de la mauvaise foi des médias à son égard se lirait dans la façon dont les journaux ont traité la perte du triple A de la France, dégradée par l'agence de notation Standard & Poor's : "Rendez-vous compte que les programmes télé et radios ont été arrêtés, stoppés. Quelques jours après, Moodys, qui fait deux fois la taille de Standard & Poor's, annonce qu'elle ne nous dégrade pas et il a fallu 45 minutes pour avoir la première dépêche, pas une grille n'a été modifiée", s'exclame-t-il.
Nicolas Sarkozy qui aime à se dépeindre en victime, sans tromper personne, ajoute : "C'est la roulette belge, une balle dans tous les barillets : si tu perds, tu perds, si tu gagnes, tu perds aussi."
Lors de ses vœux à la presse dans la salle des fêtes de l'Elysée, alors que les sondages donnent pour le moment François Hollande gagnant de la présidentielle, il se livre à une véritable crise de jalousie : "Dans un couple il faut se dire les choses : je vois bien vos tentatives pour me remplacer, l'herbe est plus verte ailleurs. Jusqu'à présent, vous êtes toujours revenus…"
En Guyane, pourtant, il parlait déjà de lui au passé, comme s'il s'inventait une consolation d'avoir perdu le pouvoir… "On évoquera un âge d'or pour les journalistes où il se passait toujours quelque chose, où l'on parlait jusqu'à une heure du matin en Guyane. Gardez-moi, faites-vous du bien."
Arnaud Leparmentier et Vanessa Schneider
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Toujours la victimisation! Il n'y a que le Figaro qui me soutient!
A voir la déférence des journalistes TV lors des interventions du pas encore candidat, on est convaincu par ses propos.
Mais qui a mis sa vie privée en scène en 2007 et après? Qui fait tout pour que l'on parle de lui?
Les mannes publiques octroyées à la presse remonte à la nuit des temps, sous prétexte de lui permettre l'accès à tous. Il n'a rien inventé, il continue à le faire, c'est tout.
Il a toujours joué sur le off pour tester les réactions et quand cela devient trop envahissant ou gênant, il raconte partout que ses propos ont été déformés et que, bien entendu le journaliste n'a rien compris ou veut lui nuire.
Bref, il est convaincu que la toute presse est contre lui, sauf le Figaro mais cela on le sait déjà, ce n'est pas un signe de paranoïa?
Amicalement
Pierre