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Égypte : les islamistes face à la crise
Mis à jour le 07/02/2012 à 09:04 | publié le 06/02/2012 à 08:07
Des échauffourées entre les manifestants et les forces de l'ordre se sont poursuivies, lundi, aux alentours du ministère de l'Intérieur, au Caire.
Alors que les manifestations violentes se poursuivent dans le centre de la capitale, les Frères musulmans, devenus la première force politique au Parlement, évitent de critiquer trop durement l'armée au pouvoir.
Après cinq jours d'émeutes, qui ont fait 12 morts, le centre du Caire ressemble à une zone de guerre. Depuis la nuit de samedi, les autorités ont élevé cinq murs autour du ministère de l'Intérieur pour contenir plusieurs centaines d'Égyptiens qui continuent de défier la police dans une atmosphère irrespirable de gaz irritants. Ces manifestants ne décolèrent pas et accusent toujours le pouvoir d'être responsable du drame de Port-Saïd, où au moins 74 supporteurs ont péri dans des affrontements à l'issue d'un match de football. Signe de son embarras, ces cinq murs de lourds blocs de béton sont la seule réponse concrète du Conseil suprême des forces armées, qui, sourd aux demandes des Égyptiens, évoque l'œuvre de forces intérieures et extérieures, cherchant à «faire chuter la police, l'armée et l'Égypte tout entière».
Ce nouveau sursaut de violences décontenance également les Frères musulmans, qui depuis les élections législatives constituent la première force politique du pays, avec 47 % des sièges au Parlement. Sur Misr25, la chaîne télévisée de la confrérie, le guide suprême Mohammed Badie a pointé du doigt «des individus, qui projettent de détruire le pays. Ils sont connus du Conseil suprême des forces armées et de la police, qui retardent le moment de les traduire en justice, ce qui est inacceptable».
Une déclaration jugée largement insuffisante pour les révolutionnaires et pour une poignée de députés libéraux, qui, eux, mettent directement en cause la responsabilité de l'armée et exigent, en plus du départ des militaires au pouvoir, la démission du ministre de l'Intérieur et du procureur général.
Une situation délétère
«Les Frères se trompent de cible et ne veulent pas prendre leur responsabilité en tant que parlementaires. C'est grave car cela révèle que le Parlement n'a pas d'autorité. On voit bien que le conseil militaire mène la danse, sans se soucier du choix électoral des Égyptiens», regrette Abdel Rahman Ayyash, jeune activiste indépendant, proche des Frères musulmans.
Pour l'heure, le pouvoir n'a cédé qu'à une des demandes des parlementaires: désormais les anciens du régime incarcérés depuis la révolution seront séparés les uns des autres dans des prisons différentes, afin qu'ils n'aient plus l'occasion de communiquer entre eux. Le président déchu, Hosni Moubarak, devrait quant à lui être transféré de son hôpital militaire à la prison de Tora.
Beaucoup de groupes révolutionnaires, soutenus par une poignée de députés libéraux, dont certains sont d'anciens membres des Frères musulmans, appellent aujourd'hui le Parlement à prendre les rênes du pays.
L'une des options possibles consisterait à transférer le pouvoir exécutif au chef de l'Assemblée élue, dont la mission serait alors d'organiser une élection présidentielle dans les soixante jours. Mais les Frères musulmans refusent ce scénario. Conscients de la situation délétère après un an de gestion du pays par l'armée, ils veulent à tout prix retarder le moment de gouverner et s'accrochent au calendrier fixé par les militaires, qui prévoit le retour du pouvoir aux civils en juin, une fois le président élu.
DéceptionPar ailleurs, ils cherchent à éviter une confrontation directe avec l'armée. «En cas de conflit, les Frères musulmans ont peur que le conseil militaire cède le pouvoir tout d'un coup au Parlement et cela va à l'encontre de leur stratégie. Ils ne veulent pas non plus former un gouvernement d'union nationale car cela montrerait qu'ils ne maîtrisent pas tout. Entre-temps, des gens continuent d'attaquer le ministère de l'Intérieur et le nombre des victimes augmente. Les Frères musulmans ne sont pas à la hauteur de la situation», avance Moaaz Mahmoud, chercheur en sciences politiques au Caire.
Beaucoup dénoncent aujourd'hui cette situation absurde d'un Parlement récemment élu, qui marque la première étape de la reconstruction de l'Égypte, mais qui est pourtant bloqué dans son fonctionnement par sa principale force politique. «Je ne pense pas que les Frères musulmans peuvent perdre en popularité. Pour être honnête, la majorité des gens en Égypte aujourd'hui, ne veut pas d'un changement radical. Ils veulent la stabilité, qu'incarnent les Frères. Mais si la confrérie s'attaquait directement au conseil militaire, tout le spectre politique approuverait et la soutiendrait», remarque le jeune activiste, qui cache mal sa déception. «Les seuls qui défendent le sang des martyrs sont des libéraux. Les Frères, alors qu'ils sont au pouvoir, ne font rien du tout. Seulement des réunions, vides de sens et d'actions!»
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Des militants d'ONG en justiceLes États-Unis ont exprimé leur «profonde inquiétude»en apprenant que des dizaines de militants associatifs, dont 19 Américains, pourraient être renvoyés devant la justice en Égypte. Ce sont 44 personnes en tout qui ont été déférées devant la cour criminelle du Caire après des perquisitions fin décembre dans 17 locaux d'ONG égyptiennes et internationales parmi lesquelles le National Democratic Institute ou encore la fondation allemande Konrad-Adenauer. Elles sont accusées de s'être installées sans «l'agrément» du gouvernement et d'avoir reçu «des financements illégaux». Le pouvoir évoque régulièrement des «complots ourdis» par des «mains étrangères».