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Automédication : se soigner sans ordonnance
Publié le 29/11/2013
En pharmacies, 500 millions de boîtes de médicaments vendues par an sont fabriquées spécialement pour l'automédication.
DOSSIER - Nous avons tous recours à l'automédication pour traiter nos petits maux. Mais la pratique n'est pas sans risque. Effets indésirables, interactions, surdosage Mode d'emploi pour déjouer les pièges et bien se soigner.
La goutte au nez, une lourdeur d'estomac, la gorge irritée… pas de quoi fouetter un chat ou aller consulter un médecin. Alors qu'il est si facile de recourir à la bonne vieille aspirine, aux cachets ou au sirop de la dernière fois, sans forcément regarder la date de péremption, quand ce n'est pas au remède miracle «vu à la télé», que l'on s'empresse d'aller chercher à la pharmacie la plus proche, sans se poser trop de questions. Un réflexe qui peut pousser à la faute.
L' automédication est une pratique des plus courantes. Qui ne s'y est pas déjà adonné? Selon un récent sondage effectué sur internet par 1 001 pharmacies, 92 % des Français se soignent sans les conseils d'un médecin. D'autant que l'offre est pléthorique. Quatre mille spécialités sont vendues sans ordonnance, en pharmacie et sur internet, dont 460 médicaments en libre-service, soit à la disposition directe du consommateur qui n'a pas à les demander au pharmacien.
Dans ce marché, il y a de quoi traiter toutes sortes de petits maux: la fièvre, la toux, les vertiges, le rhume, les aphtes, les mycoses, les poux, les brûlures… Au total, ce sont 500 millions de boîtes de médicaments qui sortent des officines chaque année. Il s'agit de produits spécialement conçus par les firmes pour l'automédication, à partir de molécules éprouvées, mais aussi des médicaments qui, délivrés sur ordonnance, seraient remboursés. Le plus souvent, ce sont des remèdes anciens, déremboursés par l'assurance-maladie pour insuffisance du service médical rendu (SMR).
À noter que le déremboursement s'accompagne dans la plupart des cas d'une hausse significative du prix, comme, par exemple, celle du Daflon 500 mg, un veinotonique passé de 6,40 à 14 euros dès lors qu'il n'a plus été pris en charge. Ce secteur attise les convoitises. Il représente 7,6 % de l'ensemble du marché du médicament, soit 2,15 milliards d'euros par an. Ce qui est important, même si les ventes ont baissé en 2013 pour la première fois, après une longue période de croissance ininterrompue.
Chacun y trouve son compte. A commencer par le consommateur, qui évite de «perdre son temps» chez le médecin. De tout temps, il a fait appel aux remèdes dits «de bonne femme», à l'origine «de bona fama», soit «de bonne réputation», auxquels se sont substitués aujourd'hui les médicaments de marques. Les laboratoires, eux, multiplient les «marques ombrelles», pour vendre des gammes de produits dont les prix libres varient d'un point de vente à l'autre et dégagent des marges intéressantes. Enfin, les pouvoirs publics encouragent l'automédication, qui leur permet de réaliser de substantielles économies. C'est autant de consultations et de médicaments dont la Sécurité sociale n'a pas à s'acquitter. Selon les calculs de l'Association française de l'industrie pharmaceutique pour une automédication responsable (Afipa), l'assurance-maladie éviterait 500 millions d'euros de dépenses supplémentaires tous les ans. On comprend dès lors que les autorités de santé élargissent, depuis 2008, le champ des médicaments en accès libre.
Tout le monde n'est pas médecin
De fait, l'automédication, vue du bon côté, a de multiples avantages. Pour Pascal Brossard, directeur de l'Afipa, «elle a toute sa place pour traiter les maux bénins dont la prise en charge n'est plus considérée comme prioritaire par la collectivité. Elle incite les personnes à gérer, elles-mêmes, leur santé et désengorge les cabinets médicaux des médecins généralistes débordés, mais aussi les urgences. Lorsque la pathologie est identifiée, c'est un premier pas dans le parcours de soin».
Cependant, tout le monde n'est pas médecin, et l'automédication a ses limites et ses dangers. Pratiquée à mauvais escient, elle peut retarder un diagnostic et de fait, aggraver une pathologie. D'autant que dans de nombreux cas, ces remèdes ne sont rien de plus que des placebos. Selon Jean-Paul Giroud, professeur de pharmacologie clinique, 50 % des traitements délivrés sans ordonnance sont inefficaces, mais non dénués d'effets indésirables, et ce pourcentage est encore plus élevé (65 %) s'agissant des médicaments en libre-service. «Sur les 190 sirops proposés, seule une douzaine présente un intérêt, affirme-t-il.
Les autres sont inutiles, voire nocifs par leurs effets contradictoires. Ainsi, les Pulmoserum, Euphon, Dinacode associent un expectorant pour faciliter l'élimination des sécrétions et un antitussif pour calmer la toux, ce qui est illogique et a pour effet d'encombrer davantage les bronches de celui qui tousse.» Et de juger superflu tous les veinotoniques censés soulager les jambes lourdes, les produits destinés à améliorer la mémoire des personnes âgées, à soigner le mal de gorge, à lutter contre le vertige ou l'arthrose, mais aussi l'essentiel des antigrippaux, dont l'Oscillococcinum, une des stars de ce marché.
Pire encore, certains s'avèrent dangereux par leurs interactions possibles avec d'autres traitements, leurs contre-indications ou effets secondaires. Des spécialités contre la toux ou le rhume, tels Actifed rhume, Humex rhume, Nurofen rhume, renferment un vasoconstricteur dont le principe actif, la pseudoéphédrine, est une substance qui provoque une contraction des vaisseaux sanguins. Les vasoconstricteurs annoncent une dizaine de contre-indications et exposent à des effets indésirables graves comme l'hypertension artérielle ou l'accident vasculaire cérébral. Sans compter les produits qui cumulent les risques. C'est le cas de Rhinadvil, un antirhume associant un vasoconstricteur et un anti-inflammatoire non stéroïdien (ibuprofène), lequel compte lui aussi des effets indésirables: troubles digestifs, allergies, vertiges, acouphènes, œdème, hypertension artérielle…
Des lotions qui entraînent des brûlures
«Risquer un accident vasculaire cérébral pour soigner un nez qui coule, cela laisse pantois», s'insurge le Pr Giroud. La Commission nationale de pharmacovigilance s'en est émue et a demandé à l'Agence du médicament que ces spécialités soient inscrites sur la liste des traitements délivrés sur ordonnance, mais sans obtenir gain de cause pour le moment. Paradoxalement, ce même principe actif pris localement est, lui, resté sur la liste.
«Et l'on a aussi découvert que la pentoxyvérine, que l'on trouve dans certains sirops (Toclase) pouvait provoquer des intoxications graves chez les enfants, ajoute Bruno Toussaint, directeur éditorial de la revue Prescrire. C'est un risque disproportionné pour un médicament qui calme la toux de façon bien modeste.»
Les lotions, crèmes ou patchs contenant du menthol et du salicylate, comme le Baume Arôma, Lumbalgine et le Baume Saint-Bernard, utilisées pour soulager des douleurs musculaires ou articulaires, peuvent entraîner des brûlures au 2e et même 3e degré… Et la liste est longue, tant il est vrai qu'un traitement quel qu'il soit, n'est jamais anodin. Y compris ceux délivrés sans ordonnance.
De plus, rien n'est fait pour éclairer et guider le consommateur dans sa démarche d'automédication. Bien au contraire, les pièges s'accumulent. «On constate sur de nombreuses boîtes l'absence d'informations essentielles, comme les prescriptions selon l'âge, le poids ou la nature du destinataire, ou les interdictions pour les femmes enceintes ou les personnes cardiaques, par exemple, constate Bruno Toussaint. Les notices peuvent être imprécises et incomplètes, jusqu'aux dispositifs doseurs souvent absents ou mal conçus et à l'origine d'erreurs de dosage pour l'utilisateur.»
Le développement de marques ombrelles ajoute encore à la confusion. Les firmes créent des produits différents sous un même nom commercial - Vicks, Humex… ce qui trompe le consommateur qui pense acheter son médicament de référence. «Les laboratoires modifient la formule d'un produit en incorporant à l'aspirine ou au paracétamol, de la vitamine C ou de la caféine ...dénonce le Pr Giroud. Sans réel bénéfice supplémentaire pour le patient, mais avec le risque de multiplier les effets indésirables.»
Alors, comment se soigner seul et en toute sécurité dans un contexte aussi peu clair? Certes, la notice donne des informations essentielles, mais il faut acheter le produit pour ouvrir la boîte et la consulter. Le pharmacien est normalement là pour apporter aide et assistance. Il a un rôle de conseil, mais pas forcément le loisir de s'y consacrer. «Et c'est aussi un commerçant payé au chiffre d'affaires, souligne Bruno Toussaint. Ce système de rémunération l'incite à vendre vite et beaucoup, alors que le conseil demande du temps. Ce rôle devrait lui être officiellement reconnu et rémunéré.» Il ne l'est aujourd'hui que pour certains cas spécifiques, comme le suivi des patients asthmatiques ou des traitements anticoagulants.
Institutionnaliser le devoir de mise en garde du pharmacien
De son côté, Pascal Brossard, de l'Afipa, reconnaît la nécessité d'institutionnaliser ce devoir de mise en garde du pharmacien: «Nous sommes favorables à un vrai conseil, formalisé, qui pourrait prendre la forme de questions standardisées, rédigées par la Haute Autorité de santé et qui accompagnerait la délivrance des produits les plus sensibles ou qui ont le plus d'effets indésirables.»
Le Pr Jean-Paul Giroud réclame, quant à lui depuis plus de dix ans des fiches sur les présentoirs, pour que le public dispose des informations sur les interactions, les contre-indications et effets secondaires du produit avant son achat.
Pour l'heure, il ne reste aux consommateurs qu'à suivre quelques règles de précaution élémentaire pour se soigner sans danger. Il faut d'abord savoir reconnaître le petit problème de santé passager, qui passe tout seul, des symptômes durables ou récurrents d'une maladie plus grave. Ensuite, il est indispensable de connaître son corps, ses pathologies et les molécules conseillées ou contre-indiquées. Ce qui va à l'un ne va pas forcément à l'autre. Enfin, tout principe actif ayant des effets indésirables, il vaut mieux choisir un médicament comportant une seule substance et se renseigner sur les risques d'interactions en cas d'autres traitements suivis. L'automédication doit être limitée dans le temps, quatre à cinq jours tout au plus. Et si les symptômes persistent, ne pas s'obstiner mais aller consulter.[/b]