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Au Caire, «ils ont tiré sur des femmes et des enfants»
14 août 2013 à 18:14 (Mis à jour: 18:28)
Des pro-Morsi tentent de secourir l'un des leurs, place al-Nahda.
Le nouveau régime a lancé l'assaut ce mercredi contre les partisans du président déchu, Mohamed Morsi. Mais de nombreux Egyptiens refusent de reconnaître l'extrême violence de l'opération.
Pas de klaxons ni d’embouteillages, les rues du Caire sont étrangement calmes, d’un calme inquiétant. A Giza, aux abords du campement d’al-Nahda, évacué ce matin à l’aube, des policiers et des militaires bloquent l’accès aux ponts et aux tunnels. Le site est inaccessible, une épaisse fumée noire s’en dégage.
Une détonation vient troubler le silence, l’odeur du gaz lacrymogène vient piquer les narines. Surgies d’une ruelle, une trentaine de personnes arrivent en courant, essouflées, les yeux qui pleurent. Ce sont des soutiens du président déchu Mohamed Morsi, poursuivis par la police. Presque mécaniquement, plusieurs hommes soulèvent leur tee-shirt pour montrer aux journalistes les impacts de grenailles ou de cartouches sur leurs torses.
«Ils ont tiré sur des femmes et des enfants, il y a encore plein de gens à l’intérieur», s’énerve l’un d’eux qui n’a pas le temps de développer : une canette de gaz vient de tomber au milieu de la petite assemblée qui reprend son échappée.
Une rafale d’arme automatique retentit. Venu de la même ruelle, un policier en combinaison noire, le visage masqué par une cagoule, apparaît, le fusil braqué vers le ciel. Il tire de nouveau pour éloigner les protestataires. Apercevant des étrangers, un vieil homme souriant ouvre la porte de son immeuble. Il soutient l’intervention policière :
«C’est normal, ce sont des terroristes, ils sont comme Ben Laden», lâche-t-il, plein d’assurance. Quelques minutes plus tard, des petits groupes se sont formés à l’entrée des rues. Un jeune se tient le visage dégoulinant de sang, il a une énorme entaille sur la joue à travers laquelle on devine sa mâchoire.
«Ce sont les milices de Morsi qui lui ont fait ça», hurle un homme. La victime bafouille, il ne sait pas trop qui lui a fait ça,
«des voyous», dit-il.
«Un massacre»
Si la situation est aussi confuse, c’est que parmi les gens présents se trouvent des résidents du quartier, résolument anti-Frères, mais également des sympathisants islamistes qui tentent de se fondre dans la masse. Apparemment, le blessé est l’un d’eux et cherche à rester discret. Souvent la mascarade ne tient pas et des discussions tendues s’engagent.
«Non, la police n’a pas fait usage d’armes à feu, ce sont les Frères qui ont tiré les premiers», soutient un quadragénaire au crâne dégarni face à un interlocuteur barbu qui dénonce
«un massacre des forces de l’ordre». Un char parade au milieu de la rue, salué par la foule. Un peu plus loin, une moto déboule en sens inverse, son passager se retourne et crie :
«Sissi assassin». Dialogue de sourds mais dialogue quand même.
A quelques kilomètres de là, on n’en est plus aux mots. Dans le sit-in de Rabaa à Medinet Nasr, plus de cent sympathisants de Morsi auraient été tués aujourd’hui au cours de l’intervention de la police. Les affrontements se poursuivent et des heurts ont éclaté dans d’autres quartiers du Caire et dans plusieurs villes du pays. De nombreux Egyptiens refusent de reconnaître les violences policières, sinon ils en minimisent la portée ou les justifient par la nécessité de la lutte contre le terrorisme, suivant en cela les chaînes de télévision privées, engagés dans une propagande nationaliste et anti-Frères.
La réaction des islamistes a été brutale : dans la capitale, des commissariats ont fait l'objet d'attaques et, en province, de nombreuses églises ont été vandalisées. La présidence a décrété l’état d’urgence pour un mois, assorti d'un couvre-feu entre 19 heures et 6 heures du matin. Mais il est à craindre que les flammes soient déjà trop puissantes et que les pompiers pyromanes qui les ont allumées ne se retrouvent prisonniers de leur propre incendie.