Chadli Bendjedid 1979-1992 Un règne au bilan controversé
Publié le 07.10.12 | 10h00
Chadli Bendjedid en compagnie du général Khaled Nezzar
«(…) Conscient de mes responsabilités en cette conjoncture historique que traverse notre pays, j’estime que la seule solution à la crise actuelle réside dans la nécessité de me retirer de la scène politique.
Pour cela, chers frères, chères sœurs, citoyens, je renonce, à compter de ce jour, à mes fonctions de président de la République et je demande à chacun et à tous de considérer cette décision comme un sacrifice de ma part au service des intérêts supérieurs de la nation (…).» C’est par cette lettre laconique, expéditive presque, que le président Chadli annonça aux Algériens, ce 11 janvier 1992 au soir, à la télévision, sa démission. Le départ précipité du «colonel», deux semaines après le raz-de-marée du Front islamique du salut, vainqueur du premier tour des élections législatives (25 décembre 1991), augurait de l’enfer à venir. Le vertige. Après 13 ans de règne monolithique, l’homme quitte le navire, laissant un pays en proie aux convulsions, au bord de la guerre civile.
Vingt ans après sa démission (volontaire ou forcée), le président Chadli Bendjedid, personnage haut en couleur – incontestablement le plus raillé des présidents algériens –, suscite la controverse, sur son bilan notamment, ses choix et actes de gestion et gouvernance. Il est l’«homme de l’ouverture démocratique» post-Octobre 88 pour ses partisans et les commentateurs les plus indulgents, un «roi fainéant», le pourfendeur de la République pour d’autres. Une chose est sûre, Chadli, le 3e président de la RADP, associa à jamais son nom à l’une des périodes les plus vertigineuses de l’Algérie indépendante : émergence de l’islam politique, répression, corruption, verrouillage de la société, suspension des libertés publiques et privées, inflation, chômage, pénurie alimentaire, de devise, chute vertigineuse des prix du pétrole… la liste est longue pour celui qu’on présentait comme un Président pas du tout «assoiffé de pouvoir». Un Président «bénévole» presque. «Je jure que durant toute cette période, déclarait Chadli : je n’ai jamais cherché à être chef. Toutes les responsabilités que j’ai exercées m’ont été imposées (El Watan, 27 novembre 2008)». N’empêche, l’homme est soupçonné de collusion avec les islamistes, accusé de leur ouvrir un long corridor pour la prise de pouvoir. Un «deal» que réfute catégoriquement son puissant chef de cabinet et son éminence grise, Larbi Belkheir (décédé depuis).
Les événements d’Octobre 88, qui ont porté les islamistes jusqu’au seuil du pouvoir, sont, selon Larbi Belkheir, «la conséquence du marasme général (…) mais aussi l’expression de l’affolement qui s’est emparé de ceux qui craignaient que les réformes (annoncées lors discours de Chadli du 19 septembre, ndlr) leur fassent perdre tout ou une partie de leur influence, de leur pouvoir (…) et remettent en cause les rentes de situation que procurait auparavant la manne pétrolière». Le «cardinal de Frenda» (Larbi Belkheir) dément toute collusion entre les islamistes et Chadli, un président qui avait, d’après lui, «le bon sens et la logique du paysan», mais aussi «un côté naïf et sincère». C’est ce même Larbi Belkheir et une brochette d’omnipotents colonels (Kasdi Merbah, Rachid Benyellès, Mohamed Rouget (général Attaïliya), Mohamed Belhouchet, etc.) qui, pourtant, ont décidé au lendemain de la mort du colonel Boumediène de porter cet homme au «bon sens et à la logique du paysan, naïf et sincère» à la tête de l’Etat. Ce fut lors d’un conclave qui s’est tenu à l’Ecole militaire d’ingénieurs (Enita) (La Pérouse) – dont Belkheir était le commandant –, et qui fut convoqué par le commandement de l’armée. «Dans ce choix, écrivait Harbi (L’Algérie et son destin, croyants ou citoyens), la Sécurité militaire avait joué le premier rôle. Ses chefs (Merbah, Yazid Zerhouni, Ferhat Zerhouni et Tounsi) connaissaient bien le pays et le personnel dirigeant, mais n’avaient pas le poids des chefs des Régions militaires (…).» Harbi parle par ailleurs d’un «accord entre Bitat, Yahiaoui et Chadli pour gouverner le pays. Mais la formule d’un triumvirat fut écartée par la direction de l’armée, au profit de celui qu’elle avait désigné».
«Deux tendances politiques s’affrontaient dans ce duel sans merci que se livraient le ministre des Affaires étrangères et le coordinateur du FLN. La première tendance qui contrôlait les appareils d’encadrement existants avait le soutien du PAGS, des Frères musulmans, baâthistes (…) et la seconde incarnée par Bouteflika appuyée par la bourgeoisie privée et une partie non négligeable de la bourgeoisie d’Etat et qui promettait dans les allées du pouvoir une certaine ouverture politique et économique», a souligné pour sa part Abdelkader Yafsah (La question du pouvoir en Algérie). Yefsah affirme que Merbah – assassiné en 1993 – aurait menacé les opposants à Chadli de rendre publics des «dossiers compromettants les concernant».
Yahiaoui comme Bouteflika et tous les autres soupirants (Taleb Ibrahimi, Belaïd Abdeslam, Bencherif, etc.) passent gentiment à la trappe. Intronisé, Chadli, le primus interpares, l’«officier le plus ancien dans le grade le plus élevé» éclate en larmes, raconte le commandant de la gendarmerie, Ahmed Bencherif. «Des membres du Conseil de la révolution comme Abdelghani et Taïbi El Arbi ont déclaré sincèrement qu’il fallait désigner le plus faible qui était Chadli, et Merbah, que Dieu ait son âme, s’est réjoui de ces propos, et il a tenu, après cela, une réunion de l’ensemble des commandants des Régions militaires, en sa qualité de secrétaire général du ministère de la Défense, et il les a informés que Chadli Bendjedid a été désigné à la tête de la Présidence. Chadli s’est effondré en larmes, puis il s’est dépêché d’écarter les membres du Conseil de la révolution.»
Bouteflika criera au «coup d’Etat à blanc». Sur les ondes d’Europe1, Bouteflika déclarait en 1999 : «J’aurais pu prétendre au pouvoir à la mort de Boumediène, mais la réalité est qu’il y a eu un coup d’Etat à blanc et l’armée a imposé un candidat.»
Mohand Aziri
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