SÉTIF : UNE FEMME DÉCÈDE SUITE À UNE OPÉRATION D’ESTHÉTIQUE :
Le chirurgien risque trois ans de prison
Le tribunal correctionnel de Sétif s’est penché, la semaine dernière, sur une affaire d’une erreur médicale qui serait à l’origine du décès d’une femme de 32 ans, hospitalisée dans une clinique privée pour une opération de chirurgie esthétique.
La victime était rentrée pour une simple liposuccion du ventre. Elle n’en verra malheureusement jamais les effets sur son corps. Une «grave erreur médicale», selon les termes de sa famille, lui a coûté la vie. Mardi dernier, au box des accusés, se tenait le chirurgien ayant pratiqué l’intervention. Ce dernier, spécialisé en chirurgie générale, est poursuivi pour homicide involontaire et mise en danger d’autrui.
Les faits de cette tragique affaire remontent, selon les débats enregistrés lors du procès, au mois de septembre de l’année 2010. La victime, âgée de 32 ans, se lance dans une guerre aux kilos superflus. Elle s’impose un régime alimentaire sévère, s’adonne à de longues heures de sport quotidien, mais ne trouve pas satisfaction. Elle recourt, alors, à la chirurgie esthétique. Elle a décidé de faire pratiquer une plastie abdominale, en raison d’un excès cutanéograisseux de sa paroi abdominale antérieure. Elle subit une première intervention à Alger. Loin d’être satisfaite du résultat, elle sollicite de son chirurgien une seconde opération. Le praticien refusera et lui déconseille tout acte chirurgical dans l’immédiat, et ce, jusqu’à la cicatrisation complète de l’opération, à savoir trois à six mois après la première liposuccion.
Mais la victime, cherchant coûte que coûte la délivrance d’un corps mal aimé, se tourne vers un chirurgien installé à Sétif. Ce dernier n’étant spécialisé ni en chirurgie esthétique ni plastique accepte de l’opérer, tout en lui vantant d’avance les résultats de l’opération et la belle silhouette qu’elle pourrait avoir. Ce dernier accepte même de lui remodeler le visage en lui injectant du Botox. L’entretien s’est déroulé le 19 septembre 2010, et l’opération fut programmée pour le lendemain dans une clinique privée. Heureuse de cette aubaine, la victime ne fera attention ni au prix dérisoire de l’opération exigé par le chirurgien, alors que pour de tels actes il faut débourser 40 à 50 millions de centimes, ni à l’absence de l’examen clinique préopératoire nécessaire dans pareille situation.
Selon des experts interrogés lors du procès, l’examen clinique pré-opératoire est indispensable avant toute intervention de ce genre. L’examen doit préciser les antécédents médicaux et chirurgicaux, les habitudes alimentaires, diététiques et sportives, les pathologies (diabète, hypertension artérielle), les prises médicamenteuses, notamment anxiolytiques, antidépresseurs, hypnotiques et les traitements déjà utilisés contre la cellulite. L’intoxication tabagique doit être quantifiée car ses effets délétères et fragilisant sur la micro-vascularisation cutanée sont connus : l’aspiration chez un fumeur doit être moins étendue et moins superficielle afin d’éviter une nécrose cutanée. Aussi, des bilans biologiques doivent être exigés. Les examens comportent également une consultation en cardiologie avec électrocardiogramme, vérification de l’absence de prise de médicaments contenant de l’aspirine, consultation d’anesthésie obligatoire, précédant légalement d’au moins trois jours l’intervention. L’anxiété est habituelle avant toute intervention : la prescription d’un anxiolytique à faible dose pendant 5 jours avant l’opération est souvent judicieuse. Enfin, un vêtement compressif sur mesure, adapté aux zones à traiter, doit être commandé à l’avance et apporté au bloc opératoire.
Malheureusement, toutes ces étapes ont été ignorées par le chirurgien qui n’est pas spécialiste en la matière. L’opération réalisée dans une clinique privée et qui devait faire le bonheur de la patiente virera au drame. La victime se réveillera avec des nécroses cutanées du ventre en plus de douleurs atroces. Au bas de l’abdomen, le chirurgien lui a laissé une ouverture de plusieurs centimètres autant en longueur qu’en largeur, et pour rattraper le coup, il a voulu récupérer de la peau sur les cuisses de sa victime. Résultat, des balafres impressionnantes sur les parties opérées. L’état de santé de la femme se détériore de jour en jour, et le chirurgien ne faisait que lui injecter de la morphine pour atténuer les douleurs de ce «ratage». Mais devant l’état critique de la patiente, il consent à l’évacuer au CHU de Sétif. Malheureusement, ayant subi une thrombose pulmonaire avec une infection virale, elle succombera finalement à une septicémie (infection générale due à une pullulation de bactéries pathogènes dans le sang) moins d’une semaine après son opération.
En réponse à la question du président du tribunal sur les causes ayant entraîné le décès, le chirurgien les incombe au tabagisme avéré de la patiente. Une réponse qui ne satisfait pas le magistrat qui lui fait rappeler qu’étant médecin, son rôle était de dissuader un fumeur de subir ce genre d’opération. «Les patients doivent être tenus au courant et mis en garde contre tous les risques et les dangers de l'acte qu'ils vont subir», dira le président du tribunal correctionnel. Voulant connaître les aptitudes du chirurgien à pratiquer ce genre d’acte chirurgical, le président se voit répondre qu’il n’est pas un spécialiste en chirurgie esthétique ou plastique mais qu’il avait participé à des séminaires et à des stages sur ce sujet à l’étranger tout en lui exhibant des attestations de participation. Prenant la parole, le procureur de la République fustige le praticien, responsable selon lui du décès de la victime. «Au détriment de l’éthique, certains médecins ne reculent devant rien pour parvenir à leurs fins. De nombreux médecins non spécialisés effectuent des actes de chirurgie plastique, sans aucun état d'âme.
Il est vrai qu’aucun chirurgien n’est à l’abri d’un accident lors d’une intervention, mais le risque est multiplié par mille lorsqu’on s’invite dans une spécialité qui n’est pas la sienne. C'est dire, qu'a priori, un geste chirurgical anodin peut avoir des conséquences dramatiques. Cela peut aller jusqu'à la mort. Concernant le praticien et le service où cette intervention a été réalisée, ce n’est pas un service spécialisé en chirurgie plastique et au vu du drame qui s’est produit, on peut s’interroger sur la compétence de ce praticien dans cette discipline (…) Ceci a causé la mort à la patiente du fait de dépassements et de fautes graves.» Et le représentant du ministère public de requérir à l’encontre du chirurgien une peine de trois ans de prison ferme assortis d’une amende de 100 00 dinars ainsi que l’interdiction d’exercer la médecine durant cinq ans. Le verdict est attendu pour les prochains jours.
Imed Sellami