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Au Mali, les islamistes s'enracinent à Gao
Mis à jour le 10/08/2012 à 21:47 | publié le 10/08/2012 à 21:16
Deux mois après avoir pris le contrôle de la ville, les djihadistes appliquent la charia tout en s'efforçant de gagner le soutien de la population.Gao s'est habitué à la charia. Dans la cité du fleuve du nord malien, aux mains des islamistes du Mouvement unicité et jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) depuis des semaines, plus une femme ne circule sans son voile. «Même les petites filles doivent être couvertes, les infirmières aussi sinon il y des remontrances», affirme Ousmane Daba, l'un des chefs du Conseil régional des jeunes de Gao. Les bars ont tous été fermés, comme les dancings. Les plus célèbres ont fini en flammes. Les autres en mosquée. «Les islamistes nous demandent de prier dedans», sourit un habitant qui tient à rester anonyme. Pour autant, le même affirme «n'avoir aucun pro­blème avec les islamistes». «Tout se passe bien avec eux. La vie est calme», reconnaît le journaliste Amadou Maïga.
Ce soulagement, perceptible dans toute la ville, le Mujao, né d'une scission d'al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), a su le faire naître. En mars dernier, quand les hommes du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), une rébellion touareg laïque, chassent l'armée malienne en déroute de Gao, la cité sombre dans la peur. Sur fond de vieilles tensions entre la minorité locale touareg et la majorité composée de tribus noires, les Songhaï et les Peuls, le MNLA se fait vite rejeter. «Les guerriers rançonnaient les gens», raconte, encore ulcéré, un professeur de Gao. Le Mujao, entré dans la ville dans les pas du MNLA, se mue peu à peu en défenseur du peuple. Fin juin, le meurtre d'un conseiller municipal précipite la chute des rebelles touaregs. Le MNLA ouvre le feu sur la foule venue protester. Le Mujao tire à son tour et chasse les laïques.
À peine au pouvoir, le Mujao s'attache à se faire discret. Les contrôles tatillons disparaissent. Les soldats du djihad, le plus souvent des étrangers venus de Mauritanie, du Nigeria ou du Sénégal, restent cantonnés dans le désert, à une quinzaine de kilomètres, autour de leur chef Hamada Ould Mohammed Kheirou. Très présents aux premières heures, les hommes d'Aqmi semblent s'être volatilisés. «On sait qu'ils sont là dans des villas, que Mokhtar Belmokhtar vient régulièrement, mais on ne les voit pas», confie un habitant. Aujourd'hui, dans les rues, c'est tout juste si de temps à autre passe un pick-up monté du drapeau noir des djihadistes. Seule la nouvelle police islamiste de Gao, qui a fait du vieux commissariat son siège, patrouille.
En parallèle, les barbus ont lancé une «politique de grands travaux», curant les caniveaux de la ville, à l'abandon depuis un demi-siècle. Ils s'attachent à faire tourner la centrale électrique six heures par jour. «Nous ne sommes pas là pour gêner les gens mais pour appliquer la charia comme le veut Allah», affirme, dans un français haché, Abdulhakim, le chef du Mujao à Gao.
Enseignement d'un islam strictMême sur la loi islamique, les têtes pensantes d'Aqmi ont décidé de prendre leur temps. Abdulhakim, un Sahraoui ­algérien vétéran du djihad, connaît bien Gao pour y avoir vécu plusieurs mois en 2007. Dans son 4 × 4 pillé au consul d'Algérie, il parcourt les venelles de la ville, entouré d'une poignée d'Algériens, et ne manque jamais de descendre offrir un paquet de dates ou de discuter avec les jeunes, un sourire en bandoulière. Les interdictions, comme celle de jouer au foot, d'écouter de la musique «haram» ou de se baigner dans un fleuve, très impopulaires, ont été levées. Jusqu'à nouvel ordre. «Les gens de Gao veulent la charia. Ils doivent seulement comprendre, doucement-doucement. C'est pas nous, les hommes, qui le voulons, mais Allah», dit-il.
«C'est une stratégie pour gagner les cœurs. Mais dès qu'ils le pourront, les islamistes nous imposeront leurs lois avec l'aide des fils de Gao», analyse, pas dupe, Ousmane Daba. Depuis des semaines, le Mujao, grâce à son trésor de guerre, a massivement recruté parmi les jeunes locaux désœuvrés. Dans le quartier Njawa, un camp d'entraînement a déjà transformé des dizaines de «petits» en néoislamistes. On y enseigne l'islam le plus strict et les méthodes les plus expéditives. Les gamins, la tête gonflée, retrouvent ensuite leur rue d'origine, une trique et, parfois, une kalachnikov à la main. L'humeur, dans Gao, a changé.
«Ce sont eux les plus extrémistes. Les voleurs sont maintenant systématiquement fouettés», insiste un intellectuel. Ces derniers jours les incidents graves se sont enchaînés. Dimanche, le journaliste Malick Maïga, vedette d'une radio locale, a été brutalement battu. «J'étais dans le studio. Trois islamistes locaux, que je connais, sont entrés. Ils m'ont frappé et m'ont entraîné dehors où des gens attendaient. Ils m'ont mis dans une voiture, et ont roulé vers le cimetière où j'ai été passé à tabac», raconte-t-il. Laissé pour mort, il ne doit sa survie qu'à un passant qui l'a conduit à l'hôpital. La foule, furieuse, a manifesté sur la grande place de Gao. Abdulhakim s'est vite excusé, calmant la colère des habitants.
Amputation publiqueLa veille déjà, un différend autrement plus grave avait opposé les jeunes islamistes à la population. À l'aube, des centaines de personnes s'étaient massées autour du commissariat pour empêcher l'amputation publique d'un voleur. Contrairement à Tombouctou et ­Aghelock, où un couple illégitime a été lapidé à mort, Gao n'avait connu aucune manifestation sanglante de fanatisme. Une fois encore Abdulhakim avait cédé. Fiers de leur victoire, les jeunes avaient entonné l'hymne national malien.
Mais à Ansongo, une bourgade à une centaine de kilomètres de Gao, il n'y a pas eu de mobilisation. Mercredi, les hommes du Mujao, aidés de locaux, ont pu exécuter leur première sentence et couper la main d'un malheureux voleur de Mobylette. Amadou Maïga n'en est pas surpris. Et il s'inquiète: «Ce sont de plus en plus des gens de Gao qui imposent la charia. Aujourd'hui, même si on chasse les islamistes étrangers, ils laisseront derrière ces gens qu'ils ont gagnés à leur cause et à leur idéologie. Il faut agir vite.»
Comment? Nul ne le sait pour l'heure. D'éventuelles négociations pour obtenir la réunification pacifique du pays et chasser les islamistes semblent difficiles. Le médiateur de la crise et président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, a exclu de prendre langue avec al-Qaida. Abdulhakim n'est guère ouvert au dialogue. «On peut discuter avec tout le monde tant qu'ils acceptent la charia. Pour les autres, les infidèles qui veulent imposer les Américains et les Français, ce sera la guerre. À Gao, l'islam gagnera avec l'aide de Dieu.»