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Coup d’Etat au Mali : «C’est l’Algérie qui prend tous les risques»
Publié le 23.03.12 | 10h00
Plus de 1000 kilomètres de frontières communes. Des accords de paix signés à Alger pour mettre fin à la rébellion touareg de 2006.
Plus de 30 000 Maliens réfugiés dans le Sud algérien. Un ventre mou dans lequel circulent des terroristes d’AQMI et des contrebandiers. Le Mali et l’Algérie ont bien des choses en commun. Le coup d’Etat militaire, qui a renversé hier le président Amadou Toumani Touré, aura donc des répercussions inévitables sur la situation sécuritaire au Sahel et sur les relations bilatérales. «Depuis 1960 (indépendance du Mali, ndlr), l’Algérie n’a jamais connu une telle instabilité à ses frontières sud», relève le politologue M’hand Berkouk. «Elle supporte toute la charge de l’instabilité de la région, constate aussi l’ancien ministre et diplomate algérien Abdelaziz Rahabi. Pendant dix ans, en Afrique, l’Algérie a privilégié les relations multilatérales au détriment des relations bilatérales. Tout ça pour avoir une place au G8. Elle est en train de payer cette politique.»
Au Club du Sahel et de l’Afrique du Sud (Organisation de coopération et de développement économiques) à Paris, le directeur Laurent Bossard, joint par téléphone, se montre aussi très inquiet : «On n’a pas encore une vision très claire de ce qu’est et ce que veut ce Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat, mais il semblerait qu’il souhaite régler la rébellion au Nord-Mali par la force. Et l’intensification des conflits dans la région, qui risquent de durer, se ressentira immanquablement en Algérie, car le Sahel est un problème partagé entre les deux pays.» Mais à quoi l’Algérie sera-t-elle confrontée ?
A de nouveaux interlocuteurs avec lesquels elle devra compterAlger a rapidement réagi au coup d’Etat, hier, en rejetant «fermement» ce «changement anticonstitutionnel», mais «il est clair qu’elle n’aura pas d’autre choix que de faire avec le pouvoir en place, à moins que l’Union africaine, qui condamne les coups d’Etat, décide de mettre le Mali en quarantaine. Mais elle ne le fera probablement pas, car ce n’est qu’une condamnation de principe», explique la politologue Louisa Aït Hamadouche. Même si l’Algérie pourrait «invoquer l’insécurité à ses frontières pour négocier avec les rebelles sans l’aval du pouvoir central malien, elle ne le fera pas», admet aussi M’hand Berkouk. Interlocuteur incontournable dans la lutte antiterroriste au Sahel et dans les négociations avec la rébellion touareg, Alger – qui de toute façon n’était pas satisfaite de la politique d’ATT et de ses affinités avec les Occidentaux – continuera donc à jouer son rôle de médiateur, appuyé par ses excellents relais au Mali. «La logique de la sécurité régionale primera sur le reste, poursuit le politologue. Le gouvernement algérien devra trouver un modus vivendi avec le pouvoir quand il arrivera à s’installer.»
A un nouvel afflux de réfugiésSelon le ministre de l’Intérieur, Daho Ould Kablia, l’Algérie aurait accueilli 30 000 réfugiés maliens qui ont fui les combats entre les rebelles touareg et l’armée malienne. Aucune estimation d’ONG ne vient pour l’instant contredire ce chiffre même si, début mars, alors que le Croissant-Rouge recensait entre 500 et 600 personnes, une ONG internationale estimait les réfugiés à plus de 10 000. «Dans les semaines à venir, une guerre civile déclarée aurait pour conséquence une régionalisation du conflit, craint Laurent Bossard. Car dans ces espaces fluides, les réfugiés seraient plus nombreux à se diriger vers l’Algérie mais aussi vers le Niger, qui a une frontière commune avec… l’Algérie. Et cette situation aggravera par ailleurs une crise alimentaire sévère.»
A la nécessité de maintenir l’intégrité territoriale malienne sans faire de l’ingérence«Il est très important qu’Alger maintienne sa ‘‘neutralité positive’’», explique Louisa Aït Hamadouche. En d’autres termes, qu’elle continue de promouvoir un projet économique et politique qui maintienne l’intégrité territoriale du Mali, sans s’ingérer dans les affaires internes de ce pays, une des constantes de sa politique étrangère. «La rébellion touareg doit trouver une solution politique négociée à l’intérieur du Mali», insistent le politologue Ahmed Adimi et Abdelaziz Rahabi. Un difficile exercice d’équilibriste d’autant que cette unité est gravement menacée. Aux revendications d’indépendance des rebelles touareg du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) depuis janvier dernier, se profile l’ombre d’une autre fracture. «Le pire des scénarios serait qu’en plus d’une guerre entre les rebelles touareg et les militaires au Nord, une autre guerre civile éclate entre les militaires loyalistes et putschistes», précise Laurent Bossard. «Il serait dangereux que la lutte contre le terrorisme et celle contre la rébellion soient mises sur un pied d’égalité, estime aussi Louisa Aït Hamadouche. Que l’amalgame soit fait entre les revendications d’ordre socioéconomique et celles d’ordre politique.» Là aussi, le risque est réel, surtout après l’apparition du groupe Ançar Edine, dirigé par Iyad Ag Ghaly, une figure historique de la rébellion touareg qui s’inscrit dans le terrorisme salafiste.
A une «pakistanisation» de la région sud«Je suis très inquiet par ce qui se passe au Mali et du rôle que l’on veut faire jouer à l’Algérie», confie Abdelaziz Rahabi. Sa crainte : que les Américains, en sous-traitant la lutte contre le terrorisme à l’Algérie, appréciée pour son équipement et son savoir-faire en la matière, en fassent une cible de choix, comme le prouvent les prises d’otages régulières et l’attentat à Tamanrasset le 3 mars dernier. «Ils ont mené la même politique au Pakistan pour combattre Al Qaîda en Afghanistan», ajoute-t-il. Autre menace d’instabilité à ne pas sous-estimer : la Libye, où les équilibres précaires instaurés par El Gueddafi ont été rompus. Un avis que partage le politologue Ahmed Adimi : «On voit bien que, malgré les demandes d’aide internationale, la France et les Etats-Unis ne veulent pas régler le problème au Sahel.» Pour Abdelaziz Rahabi, un des problèmes est lié à la différence de lecture sur les raisons de cette instabilité. «L’Algérie et la France sont d’accord sur les mesures à prendre pour sécuriser le Mali, mais pour le reste de l’Europe, le terrorisme au Sahel n’est pas une priorité. Son engagement reste faible et circonstanciel. En résumé, c’est l’Algérie qui prend tous les risques…»
Condamnation unanimeDe nombreux pays ont condamné le coup d’Etat militaire et appelé au rétablissement de la légalité. Les Etats-Unis «condamnent avec force les violences à l’initiative d’éléments des forces armées du Mali», a déclaré un porte-parole de la Maison-Blanche, Jay Carney. Le président de la Commission de l’Union africaine (UA), Jean Ping, a demandé aux mutins de «mettre un terme à leur action». Le Conseil de paix et de sécurité de l’UA doit tenir aujourd’hui une réunion d’urgence avec les ambassadeurs. Les 15 pays membres de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont réitéré leur politique «de zéro tolérance à l’égard de toute tentative de prise ou de maintien du pouvoir par des moyens anticonstitutionnels».
Le secrétaire général de l’Organisation de la Coopération islamique (OCI), Ekmeleddin Ihsanoglu, a exhorté les putschistes à «respecter la démocratie et à permettre rapidement au peuple malien de s’exprimer librement sur la situation dans le pays». La France a annoncé la suspension de sa coopération et appelé au «respect de l’intégrité physique» du président ATT. Dans un communiqué, la chef de la diplomatie de l’UE, Catherine Ashton, a appelé au «rétablissement de l’ordre constitutionnel et à la tenue d’élections le plus rapidement possible». Mercredi soir, dès les premières informations sur la situation à Bamako, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon avait «appelé au calme et à ce que les doléances soient résolues pacifiquement».
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Edito : une stratégie du clan SarkozyLa première chose qu’on ne peut se cacher dans la crise malienne, c’est l’implication directe de la France qui, presque officiellement, a soutenu la rébellion qui causait pourtant tant de soucis aux autorités maliennes. On s’est rendu compte que le Quai d’Orsay était le mieux informé sur le déroulement du putsch. Le Quai n’a jamais demandé un retour au pouvoir de ATT, président élu, bien qu’il fût à seulement quelques semaines de la prochaine présidentielle et qu’il n’allait pas briguer à nouveau la magistrature suprême. Le Mali, rappelons-le, est un pays du pré carré ex-colonial et la France, qui contrôle la monnaie qui y a cours, ne s’y considère pas comme un simple partenaire.
La France n’a jamais toléré dans «sa» sous-région un coup d’Etat, une contrariété stratégique majeure, une rébellion, voire une victoire électorale, si elle ne l’a pas elle-même commandité – comme on l’a vu avec les années Gbagbo. L’Elysée n’a jamais pardonné à ATT d’avoir refusé la présence de l’armée française sur son sol dans la soi-disant mobilisation contre AQMI. De plus, le Mali, qui s’est montré plutôt tiède sur la Libye d’El Guddafi et la Côte d’Ivoire, avait refusé obstinément de ratifier les accords de réadmission des immigrés expulsés par la France. Le coup d’Etat procède donc d’une stratégie du clan Sarkozy.
L’Elysée va rapidement proclamer la «normalisation» avec sa cohorte de promesses d’élections avec calendrier, comme s’il n’y en avait jamais eues auparavant. Cette même France va organiser un équilibre entre la rébellion touareg et la junte militaire qui sera appuyée de marketing dans les médias français. Dans ces conditions, des moyens militaires colossaux – voire une base militaire – seront offerts au Mali «à la demande», l’objectif étant de sécuriser durablement les investissements français en Libye, nouvelle vache à lait. ATT avait cru pouvoir refuser de concéder toutes ces facilités, et le scrutin présidentiel envisagé risquait de compliquer l’équation française.
Une génération «spontanée» de putschistes est toujours l’équation finale, la plus facile. Il ne faut jamais oublier que le mandat de Sarkozy a toujours été celui de VRP des capitalistes français, ceux-là mêmes qui, parallèlement, ont accaparés les médias les plus tonitruants. Et on a pu noter leur capacité à rester insensibles face à la masse de nos morts. Ce énième coup de force est un coup porté à l’UA et à l’Afrique tout entière. L’UA demeure une organisation bureaucratique qui ne vaut rien. Du moins jusqu’à date, comme disent les Québécois.
Par Jean-Marc Soboth : journaliste d’investigation
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Mélanie Matarese