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Comment Édith Bouvier a survécu à l'enfer de Homs
Publié le 02/03/2012 à 22:49 Édith Bouvier, à son arrivée à l'aéroport de Villacoublay.
Édith Bouvier et William Daniels, les deux derniers journalistes piégés neuf jours durant à Homs, dans le quartier de Baba Amr, ont enfin pu rejoindre la France vendredi. Retour sur une folle équipée.
Dans leur chambre de l'Hôtel-Dieu, le grand hôpital de Beyrouth, Édith Bouvier et William Daniels sont souriants, soulagés. Après plus de cinq jours d'une équipée semée d'embûches et de dangers, les deux journalistes sont arrivés jeudi soir à Beyrouth, quelques heures après avoir franchi la frontière libanaise. En attendant leur évacuation vers la France, ils racontent leur périple. Leur récit est digne d'un roman d'aventures. Il est aussi un hommage aux courageux insurgés de l'Armée syrienne libre, qui les ont soignés, protégés et transportés, souvent au péril de leur vie, sous les obus et à travers les lignes de l'armée gouvernementale qui assiégeait la ville.
Édith, malgré sa blessure, montre un moral à toute épreuve. S'excuse presque de l'inquiétude qu'elle a suscitée. «Pour l'instant, nous sommes très, très heureux, mais pour le reste, on en discutera plus tard», lui a dit sa mère au téléphone. Édith n'a qu'une hâte, celle de pouvoir marcher, courir. William s'aperçoit qu'il a été tellement occupé par l'évacuation d'Édith qu'il n'a pratiquement pas eu le temps de prendre des photos.
Entrés clandestinement en Syrie grâce aux réseaux de l'Armée syrienne libre, insurgée contre la dictature de Bachar el-Assad, Édith et William étaient arrivés le 21 février au soir à Baba Amr, le quartier de Homs encerclé par l'armée syrienne. Ils ont retrouvé en route le photographe Rémi Ochlik, un copain de William, avec lequel il a couvert la révolution libyenne au printemps dernier.
Un groupe de reporters chevronnésLe 22 février au matin, un pilonnage d'artillerie de l'armée syrienne a frappé le bâtiment dans lequel se trouvaient les journalistes.
Ils retrouvent à leur arrivée un tout petit groupe de correspondants de guerre déjà présents dans la ville encerclée. On les héberge dans une maison à trois étages, surnommée le «centre de presse» par des insurgés syriens qui accueillent à bras ouverts des reporters qui vont aider à faire connaître au monde extérieur le calvaire de la ville, pilonnée par l'artillerie syrienne depuis des mois. Il y a l'équipe du Sunday Times : Marie Colvin, l'une des plus fameuses figures du petit monde des correspondants de guerre. D'un courage à toute épreuve, un bandeau noir sur l'œil, souvenir d'une blessure reçue au Sri Lanka, elle est toujours la première à arriver sur les lignes de front. La dernière à partir aussi. Elle a décidé de rester dans Homs malgré les signes d'une offensive imminente de l'armée syrienne. Paul Conroy, son photographe, est aussi un vétéran. Tout comme Javier Espinosa, le correspondant au Moyen-Orient du grand quotidien espagnol El Mundo, qui sillonne depuis plus de dix ans tous les coins chauds d'Afrique et du Moyen-Orient.
Le lendemain matin, comme tous les jours, les salves d'artillerie commencent à s'abattre sur le quartier. Mais cette fois, les roquettes de 122 mm, les terribles Katioucha tirées par l'armée syrienne, tombent très, très près de la maison. «Il y a eu au moins cinq explosions successives, très proches. On avait vraiment l'impression que nous étions directement visés», racontent Édith et William. «Les activistes syriens qui étaient avec nous, habitués à ces bombardements, ont compris tout de suite le danger. Ils nous ont dit, il faut s'en aller tout de suite.» Le temps d'attraper leur équipement, tout le monde se précipite vers la porte. Marie Colvin et Rémi Ochlik sont les premiers à sortir dans la petite rue. Un jeune Syrien, qui avait entendu le départ d'une nouvelle roquette, retient à la dernière minute Édith et William sur le seuil de la pièce. Le projectile s'abat juste devant le petit immeuble. La déflagration est terrible. Marie Colvin et Rémi Ochlik se trouvent pratiquement sur le point d'impact. Ils sont tués sur le coup.
Dans un hôpital de fortuneDans la maison, le souffle de l'explosion projette la porte vers l'intérieur de la pièce. Dans la poussière et les débris de l'explosion, Édith réalise qu'elle ne peut plus bouger la jambe. «J'ai hurlé», dit-elle. À tâtons dans une épaisse fumée, William parvient à la porter à l'abri dans un coin, derrière le frigo. Puis ils se réfugient dans la salle de bains, où ils attendent que se calme l'orage d'acier qui se déchaîne à l'extérieur. À la première accalmie, le jeune homme, qui a sans doute sauvé la vie d'Édith et William en les retenant à l'intérieur à la dernière minute, fonce chercher des secours. Il revient avec une voiture de l'Armée libre syrienne, qui les emmène vers le petit hôpital de campagne installé par les insurgés dans un appartement. Une pièce sert de bloc opératoire. Trois chambres ont été transformées en salle de soins, où jour et nuit, des infirmiers et des médecins volontaires opèrent et administrent les premiers soins à des dizaines de civils blessés chaque jour, hommes, femmes, enfants, victimes du bombardement incessant de l'artillerie syrienne.
Alors que les obus continuent d'exploser autour de l'immeuble, ils donnent de la morphine à Édith pour calmer la douleur et examinent sa blessure. «Ils m'ont fait une radio et ont réalisé que ma jambe était fracturée au niveau du fémur», dit Édith. «Ils m'ont dit: Il faut t'opérer rapidement. Il faut t'évacuer! C'est là que commence la grande évasion…»
Les quatre journalistes sont installés dans l'une des maisons les plus sûres du quartier de Baba Amr, juste à côté de l'hôpital. Un pâté de maisons serrées autour d'une cour étroite, dont les pièces intérieures sont relativement protégées contre les obus qui s'abattent en permanence. Javier Espinosa et William Daniels sont indemnes. Paul Conroy a été aussi blessé, mais peut marcher. Édith est la plus gravement atteinte. Outre le fait qu'elle ne peut être déplacée qu'avec les plus grandes précautions, les médecins craignent que ne se forme un caillot dans sa jambe blessée. S'il remonte jusqu'au cœur, c'est la mort assurée.
Le quartier de Baba Amr est assiégé. Les rues sont coupées, les francs-tireurs et les chars de l'armée syrienne ouvrent le feu sur tout ce qui bouge. Le dernier lien du quartier avec l'extérieur est une canalisation longue de trois kilomètres, par où arrivent encore au compte-gouttes des vivres et des médicaments. C'est par cette voie que les journalistes sont entrés dans Baba Amr. Mais la blessure d'Édith rend impossible de la faire passer par ce boyau, auquel on accède par une échelle dans un trou d'homme.
Presque aucun contact avec le monde extérieurL'espoir repose d'abord sur les ambulances. La Croix-Rouge Internationale à Damas et à Genève a mobilisé ses équipes, pris contact avec le Croissant-Rouge syrien et s'efforce d'obtenir une courte trêve des autorités qui assiègent la ville pour tenter de secourir les blessés, syriens et étrangers, pris au piège dans Baba Amr.
À l'intérieur, les quatre journalistes n'ont que des contacts épisodiques et limités avec le monde extérieur. Quelques échanges via Skype au moyen de l'unique connexion Internet que les insurgés ont réussi à rétablir, mais pas assez pour coordonner quoi que ce soit de précis. Ils doivent en plus parcourir les rues soumises au feu des tireurs embusqués pour atteindre le bâtiment où se trouve cette dernière ligne de communication. Dans Baba Amr pilonné du matin au soir, parfois avec une pause à l'heure du déjeuner des artilleurs, les habitants du quartier restent cachés dans leurs maisons pendant la journée. Ils sortent le soir, et les rues sont pleines de monde.
«Quand les bombes tombaient, ils nous disaient, c'est Bachar qui nous dit bonjour», se rappelle Édith.
Le vendredi 24, les tirs incessants se calment soudainement. «C'était la première fois que ça se produisait», dit William. Javier Espinosa et lui en profitent pour aller voir les corps de Marie Colvin et de Rémi Ochlik, qui ont été enroulés dans des linceuls improvisés et placés dans une pièce vaguement réfrigérée. Les Syriens leur présentent leurs condoléances. Ils ont récupéré toutes les affaires des deux journalistes. Javier et lui écrivent les noms au marqueur sur les deux linceuls improvisés. «Ne vous inquiétez pas, on va faire sortir les corps avec vous», leur disent les insurgés syriens. William récupère l'appareil photo de son ami Rémi. Le solide boîtier est complètement éventré, comme ouvert en deux par une force d'une violence inouïe. Puis les deux journalistes regagnent leur abri.
La Croix-Rouge bloquée à 500 mètres«Quand on est revenus, on a vu dans la rue plusieurs ambulances du Croissant-Rouge syrien», dit William. «Personne de la Croix-Rouge en revanche. Le médecin syrien qui dirige le petit convoi nous aperçoit, et nous dit: “Ah bonjour, vous devez être les journalistes. Nous ne venons pas pour vous chercher, nous sommes là pour les blessés syriens. Mais je peux vous mettre en contact avec la représentante de la Croix-Rouge, qui se trouve à 500 mètres d'ici.”»
«L'armée syrienne ne veut pas laisser la Croix-Rouge avancer, mais si vous montez avec nous, on vous emmène auprès d'eux à l'hôpital d'Homs», explique le médecin du Croissant-Rouge. «Vous devrez aussi vous expliquer avec les autorités syriennes sur les raisons de votre présence», ajoute-t-il.
Avec la radio de l'une des ambulances, William parvient à entrer en contact avec la responsable du CICR en Syrie, Maryanne Gasser, et lui demande pourquoi elle ne peut pas faire les derniers 500 mètres jusqu'à eux. «Elle m'a dit qu'elle comprenait parfaitement le problème, qu'elle négociait et avait bon espoir de recevoir l'autorisation de venir jusqu'à nous.»
«Nous nous sommes réunis tous les quatre et mis d'accord pour demander qu'au moins une voiture du CICR soit présente dans le convoi avant de partir», expliquent Édith et William. «On avait peur que se produise quelque chose comme lorsque Gilles Jacquier avait été tué, par des prétendus tirs rebelles venus d'on ne sait où. On se disait, on va se faire tirer dessus, et les autorités diront les terroristes les ont tués.»
Le responsable du Croissant-Rouge leur glisse qu'ils «pourraient se faire attaquer par l'ALS en sortant». L'attitude des ambulanciers syriens inquiète aussi les journalistes. «Ils avaient l'air de chercher quelque chose, ils regardaient partout», raconte William. Quand ils découvrent la chambre d'Édith, ils rentrent à une trentaine de personnes dans la pièce. Dans Baba Amr, tout le monde se souvient que plus personne n'a eu de nouvelle des blessés évacués précédemment par le Croissant-Rouge.
«La seule chose qu'on a hésité à faire, c'était la vidéo»Lorsque la nuit tombe, le CICR est toujours bloqué. Les ambulances repartent. «Ils nous ont dit, on revient vous chercher dans vingt minutes. On ne les a jamais revus», disent Édith et William. «Ils avaient en revanche parfaitement localisé où on était. Le soir même, les obus sont tombés juste à côté de notre immeuble.» «On s'est fait engueuler. L'ambassade de France nous a demandé pourquoi on n'était pas montés dans les ambulances», raconte William. «Ils nous ont dit d'attendre, que les ambulances allaient revenir le lendemain.»
Les journalistes craignent d'être arrêtés par les autorités de Damas, mais ont décidé de prendre les ambulances quand elles reviendront. «On s'est préparé en détruisant les pages de nos carnets, et nos cartes SIM libanaises avec les numéros de téléphone, pour éviter que des gens soient compromis», dit Édith. Mais elle explique que les insurgés syriens ne les ont jamais contraints à quoi que ce soit. Ni empêchés de monter dans les ambulances, comme l'a affirmé la propagande du régime.
«On n'a jamais eu l'impression que l'Armée syrienne libre empêchait les ambulances de rentrer. Ils ont accepté toutes les demandes de cessez-le-feu. Ce n'était pas eux qui tiraient sur la ville de toutes façons», expliquent Édith et William. «La seule chose qu'on a hésité à faire, c'était la vidéo», dit Édith. «C'était leur idée. Au début, on ne voulait pas. Mais on s'est aperçus qu'ils avaient très peur que le régime prétende qu'on était gardés en otage et les fasse passer pour des terroristes.»
Mais les ambulances ne reviennent pas. Ou du moins pas assez près pour que les journalistes soient en contact avec elles. Le dimanche soir, l'alerte est donnée dans le quartier insurgé. Les blindés de la redoutable 4e division de Maher el-Assad sont arrivés en renfort. L'assaut final est imminent, sans doute le lendemain matin. «Les Syriens nous ont dit qu'ils allaient tenter d'évacuer tous leurs blessés et nous ont proposé d'en faire partie», dit Édith. Décidés à ne pas laisser passer cette dernière chance, les journalistes acceptent.
William et les infirmiers placent Édith sur une civière et l'enroulent dans du ruban adhésif. «J'étais scotchée à la civière, dit Édith, et heureusement, vu ce qui allait suivre.»
Les blessés sont chargés dans des véhicules et emmenés de nuit vers l'entrée du tunnel. «Il y en avait des dizaines et des dizaines. C'est alors que j'ai réalisé les terribles blessures de certains autres blessés et que j'étais loin d'être la plus gravement atteinte», dit Édith.
L'interminable traversée du tunnelÉdith est la plus difficile à transporter, et elle est parmi les derniers à pénétrer dans le tunnel. Scotchée sur sa civière, elle est descendue par ses brancardiers à la verticale dans le trou d'homme. L'étroite galerie est haute d'à peine 1,60 mètre et l'on n'y avance que plié en deux. On s'y croise avec difficulté, et le tunnel est rempli de gens qui fuient eux aussi le quartier. Le convoi de blessés progresse avec lenteur. La galerie est en partie effondrée par endroits. L'obscurité est totale. On avance à la lueur des lampes frontales. Paul Conroy et Javier Espinosa sont devant. Quatre volontaires brancardent Édith en se relayant tous les trente mètres. Alors qu'ils parviennent presque à l'autre extrémité, un mouvement de panique se déclenche sous terre. L'armée syrienne vient de déclencher un tir d'artillerie nourri sur la sortie du tunnel. Déjà à l'extérieur, Paul Conroy et son groupe sont séparés des autres et se fondent dans la nuit et la pluie. Javier Espinosa, qui porte à l'abri un blessé, se retrouve lui aussi isolé avec un petit groupe.
William Daniels (ici à son retour, vendredi, avec Nicolas Sarkozy) n'a pas quitté les côtés de sa consœur blessée.
Édith et William, eux, sont restés prisonniers dans leur souterrain. À l'intérieur du tunnel, c'est le chaos. Les explosions résonnent dans la galerie qui se remplit de poussière et de l'odeur âcre de la cordite. Les brancardiers finissent par déposer Édith et partent chercher du secours. «L'un d'eux m'a posé sa kalachnikov sur moi. Et m'a mis la main sur le front en récitant une prière. J'étais assez peu rassurée. Et il est parti», dit Édith.
William et Édith scotchée sur sa civière se retrouvent seuls dans le noir et la fumée. Des coups de feu résonnent. «On ne savait rien. On ne comprenait rien à ce qui se passait. La sortie était-elle bloquée? Les soldats syriens allaient-ils descendre? J'ai eu très envie de m'enfuir. Avant de me rappeler que j'étais immobilisée», dit Édith.
William essaye de tirer la civière, mais réalise qu'il est impossible à un homme seul de traîner le fardeau sur plus de deux kilomètres. Et le boyau est trop étroit pour qu'il puisse la porter sur son dos. Soudain, un bruit de moteur résonne dans la galerie. C'est une moto. Un motard solitaire, téméraire, monté sur une vieille bécane déglinguée, est venu voir s'il restait des blessés et arrive dans leur direction. Deux ou trois de ces engins servaient à transporter des gens et du ravitaillement dans le tunnel. On leur faisait faire demi-tour à grand-peine aux quelques endroits où la galerie s'élargit un peu.
«Il était stupéfait de nous voir là-dedans», dit William. Avec l'aide du motard providentiel, il arrache Édith à son cocon de ruban adhésif et la font monter en selle en lui pliant le plus délicatement possible le genou et le pied pour la faire tenir sur l'engin. Commence alors une folle course souterraine et motocycliste. L'engin surchargé fonce dans le boyau, les trois passagers courbés sous le plafond qui les frôle, vers l'entrée du tunnel. «La moto heurtait les parois, on manquait de tomber. Je me suis cognée plusieurs fois, je me suis aperçue que je saignais à la tête», dit Édith. Contre toute attente, ils parviennent néanmoins à revenir à l'entrée du tunnel et à hisser Édith vers la sortie.
Opération d'urgenceÀ la surface, quelques militants syriens voient stupéfaits surgir du sol Édith, en culotte et en chaussettes depuis qu'elle a perdu la couverture qui l'emmaillotait, la jambe bandée, le visage couvert de sang, et qui leur demande une cigarette. L'un des Syriens la charge sur son dos et la transporte vers une voiture.
Quand elle arrive de nouveau à l'hôpital, les médecins sont eux aussi étonnés de la voir. «Qu'est-ce que tu fais là?», m'a dit l'un d'entre eux. «Toi, tu vas finir tes jours ici? Si c'est dans longtemps, je veux bien, mais pas tout de suite», leur répond Édith. Les médecins sont inquiets des conséquences de cette escapade sur sa jambe. Ils décident de l'opérer. Après sa folle course souterraine et une nuit de terreur, ils lui injectent de la Kétamine, puissant anesthésiant, mais aussi connu aussi pour ses effets stupéfiants, et l'opèrent d'urgence.
Lorsqu'elle se réveille au petit matin, les rebelles syriens lui proposent de tenter le tout pour le tout. Il reste une solution, la plus risquée, mais c'est la dernière chance: sortir de Homs par un véhicule, le long d'un itinéraire secret. «On a accepté. On sentait qu'on était à bout, psychologiquement et physiquement, et qu'il fallait qu'on sorte», dit Édith.
Après avoir franchi la frontière libanaise, Édith Bouvier a finalement pu être prise en charge médicalement.
Les détails de cet itinéraire ne peuvent pas être divulgués, pour ne pas mettre en danger les nombreuses personnes qui vont leur venir en aide au cours de cette partie de leur périple. Mais les difficultés sont évidentes, et l'opération comporte des risques énormes. Il leur faut d'abord échapper à l'encerclement de l'armée syrienne, qui entoure Homs de façon quasi hermétique. Et ensuite échapper aux nombreux barrages, avant de franchir les champs de mines posés le long de la frontière libanaise. De plus, leur présence dans la ville est maintenant bien connue, et le régime de Damas a mis ses hommes en alerte maximum. Complication supplémentaire, alors qu'à l'aller, il était envisageable de franchir des points de contrôle en se couvrant la tête d'un foulard, ce n'est plus possible à présent que leurs visages ont été diffusés sur toutes les télévisions. La nouvelle de l'arrivée de Paul Conroy, puis celle de Javier Espinosa ont mis en alerte les Syriens. Ils sont l'objet d'une chasse à l'homme à grande échelle.
L'Armée syrienne libre va pourtant tenter l'impossible. Les insurgés mobilisent tous leurs réseaux, toutes leurs filières d'évasion tout en laissant entendre qu'ils sont encore dans Homs pour brouiller les pistes.
Quatre jours pour parcourir 40 kmDans la campagne qui entoure Homs, et dans la tempête de neige et de pluie glacée qui souffle sur la région, les fugitifs vont de cachette en cachette. Accueillis, malgré les risques, dans des maisons par des habitants qui les saluent par leurs prénoms, leur itinéraire est chaque fois minutieusement ouvert par des éclaireurs qui reconnaissent les routes et les chemins détournés, il va leur falloir quatre jours pour parcourir la quarantaine de kilomètres qui les séparent de la frontière libanaise. «Ils se sont vraiment mis en danger pour nous, ils ont tout fait pour nous», dit Édith. Petit à petit, changeant de véhicules, tantôt à l'arrière d'un pick-up ou dans la benne d'un camion, qui cahote sur les chemins pierreux des montagnes, ils avancent lentement vers la frontière libanaise.
Ils finissent par l'atteindre jeudi à la nuit tombée. Quelques mètres après l'avoir franchie, Édith appelle ses parents pour les rassurer. «Je ne leur ai pas dit où j'étais. Juste que j'étais saine et sauve.»