La vente à découvert, une pratique risquée
LEMONDE.FR | 12.08.11 | 11h21 • Mis à jour le 13.02.12 | 16h21
Sur les neuf premiers mois de l'année, le bilan des fusions et acquisitions reste très positif.AFP/STR
La Grèce les a interdites en début de semaine. La France, l'Italie, l'Espagne et la Belgique ont pris la même décision, jeudi 11 août dans la soirée : les ventes à découvert sont interdites pour les valeurs financières. En France, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a interdit cette technique sur les titres émis par les grandes banques et sociétés d'assurance, comme AXA, BNP Paribas SA, le Crédit agricole ou encore la Société générale.
PARI À LA BAISSE
Appelée "short selling" ou "shorting" en anglais, cette technique consiste à vendre un titre dont on anticipe la baisse. Et qu'on ne possède pas toujours, du moins pas encore au moment de la vente. Le vendeur s'engage en fait à fournir un titre à un certain prix à une certaine date, en faisant le pari que le cours de ce titre va baisser entretemps.
La vente à découvert peut être un emprunt : l'acheteur emprunte un titre en échange de la promesse de le rendre quelques jours plus tard au moment de la "liquidation". Il va ensuite le vendre, dans l'espoir que le cours baisse et qu'il puisse le racheter moins cher avant de le rendre à son prêteur. Lorsque la vente a découvert est gagée sur un emprunt de titre, elle peut en outre être reportée.
Elle peut aussi se pratiquer "à nu" : dans ce cas, l'acheteur n'emprunte rien : il se contente de vendre à terme des titres qu'il ne possède pas encore. Il parie alors sur la baisse du cours de ce titre, pour pouvoir l'acheter à moins cher que ce qu'il a promis de le vendre. Mais, pratiquée massivement, cette technique peut provoquer la baisse des cours que souhaitent les vendeurs.
UN MÉCANISME DANGEREUX
Ce mécanisme présente plusieurs dangers. Le premier étant que lors d'une vente à découvert, le vendeur n'est pas obligé de posséder l'argent pour acheter ce qu'il compte vendre. Contre paiement d'une commission dite "de règlement différé" (CRD), il pourra ne payer que cinq, dix voire vingt jours plus tard, à condition que les titres en question soient éligibles au SRD ("service du règlement différé"), ce qui est le cas de la plupart des grandes capitalisations boursières.
Ensuite, une vente à découvert peut également se faire sans posséder l'intégralité de l'argent pour l'achat des titres, ce qu'on nomme "effet de levier" : il suffit d'avoir de 20 % (pour les bons du Trésor) à 40 % (pour les actions) du montant total qu'on doit régler pour acheter, en faisant le pari que le gain obtenu va permettre de rentabiliser le tout. Pour le vendeur, un mauvais pari peut s'avérer catastrophique : s'il a utilisé l'"effet de levier" en anticipant une baisse qui n'a pas eu lieu, il risque de perdre très gros.
Les ventes à découvert peuvent également être confiées... à des ordinateurs. Cette pratique de "trading automatique" joue sur des écarts très resserrés dans le temps, et souvent à de larges échelles : un programme informatique est chargé de pratiquer la vente et le rachat très rapide de titres dès que ce dernier s'oriente à la baisse. S'il est trop massif, ce trading automatique présente le risque de "déformer" les cours en amplifiant les baisses. Autre accusation récurrente : l'alliance de ventes à découvert avec des "rumeurs de marché" lancées intentionnellement pour favoriser la baisse d'un titre.
UNE INTERDICTION CONTRE-PRODUCTIVE ?
Autant de pratiques qui rendent les ventes à découvert dangereuses. Pour autant, leur interdiction n'a pas toujours l'effet escompté. Au cœur de la crise financière, en septembre 2008, la France avait déjà interdit ce type de vente. Elles ont été rétablies en février 2011, et devaient être mieux encadrées.
D'autres pays, de l'Allemagne au Royaume-Uni, avaient pris des décisions similaires. Or, selon des études économiques réalisées par la suite, cette interdiction n'a qu'un effet limité. Et présente des risques : en limitant la spéculation à la baisse, elle maintient artificiellement le cours d'un titre et risque de provoquer sa sur-évaluation. Sans compter le signal qu'elle envoie aux opérateurs de marché, qui risquent d'en déduire que la situation est grave.
Samuel Laurent