LE MONDE | 10.03.2014 à 09h45 • Mis à jour le 10.03.2014 à 10h38 | Par Pierre Le Hir
Le trou de la couche d'ozone au-dessus de l'Antarctique en septembre 2011
On les croyait bannis. Mais certains passent entre les mailles du filet. Quatre nouveaux gaz de la famille des composés chlorés, destructeurs de la couche d'ozone, viennent d'être détectés, pour la première fois, dans l'atmosphère. C'est ce que rapporte une étude internationale (Royaume-Uni, Allemagne, Australie, France, Pays-Bas et Suisse) publiée en ligne, dimanche 9 mars, par la revue Nature Geoscience. Ses auteurs, qui concluent à l'origine humaine de ces émissions, suspectent la production de pesticides et de solvants.
Ces résultats sont le fruit d'une minutieuse enquête menée dans les deux hémisphères. Les chercheurs ont analysé des échantillons d'air collectés depuis le milieu des années 1970 au cap Grim, à la pointe nord-ouest de la Tasmanie (Australie), une région exempte de source de pollution proche. Ils ont fait de même avec des échantillons d'air emprisonné dans la neige compactée de la calotte polaire du Groenland, à partir de carottages effectués dans le cadre du forage international North Greenland Eemian Ice Drilling (NEEM), associant quatorze pays dont la France.
Camp de base du forage international NEEM au nord du Groenland
DEPUIS LES ANNÉES 1960
Au sud comme au nord, a été découverte la présence, dans les archives glaciaires et aériennes, de trois chlorofluorocarbures (CFC) et d'un hydrochlorofluorocarbure (HCFC) qui n'avaient jusqu'ici jamais été repérés. De plus, les modèles de transport des gaz dans la neige mis au point par deux laboratoires grenoblois (LGGE et GIPSA-lab, CNRS-Université Joseph-Fourier) montrent que ces composés étaient absents de l'atmosphère avant les années 1960. Ce qui « suggère qu'ils sont produits par les activités humaines », commente le premier auteur de l'étude, le Britannique Johannes Laube (Université d'East Anglia).
Les CFC, longtemps utilisés comme fluides réfrigérants, comme solvants ou dans les aérosols, ont été proscrits en raison de leur effet délétère sur l'ozone stratosphérique, qui protège la Terre des rayonnements ultraviolets : sans lui, la vie sur la planète serait impossible. Le protocole de Montréal, entré en vigueur en 1989 et ratifié par 196 pays, a progressivement réduit leur usage, totalement proscrit depuis 2010 à l'exception d'applications de niche, notamment médicales. Ces substances ont été remplacées par les HCFC, moins stables et donc moins destructeurs pour la couche d'ozone – mais à puissant effet de serre–, eux-mêmes en cours d'élimination au profit d'une nouvelle classe de produits, les hydrofluorocarbures (HFC), qui ne contiennent pas de chlore.
INSECTICIDES ET SOLVANTS
Comment, alors, les quatre gaz, tous visés par l'accord de Montréal, se retrouvent-ils dans l'atmosphère ? Pourquoi les concentrations de deux d'entre eux, loin de diminuer, n'ont-elles cessé d'augmenter depuis 1960, celle du HCFC nouvellement détecté bondissant de 45 % au cours des dernières années ?
Les auteurs notent que certains des gaz incriminés sont employés comme intermédiaires dans la production d'insecticides ainsi que dans celle des nouveaux HFC, ou encore qu'ils servent de solvants pour le nettoyage de composants électroniques. Les données publiques sur ces composés étant « extrêmement rares ou inexistantes », ajoutent-ils, « il ne peut pas être conclu » que leur présence dans l'atmosphère est imputable à ces fabrications chimiques, qui en sont néanmoins « des sources possibles ».
PRÉSENTS POUR DES DÉCENNIES
Pour en avoir le cœur net, les chercheurs préconisent donc de poursuivre les investigations et de « reconsidérer » la façon dont les industriels déclarent les gaz chlorés, dont les isomères (molécules de même formule brute mais d'agencement atomique différent) échappent au filtre du protocole de Montréal.
Au total, calculent Johannes Laube et ses collègues, 74 000 tonnes de ces quatre gaz ont été émis au cours du demi-siècle écoulé. C'est peu, en comparaison du million de tonnes de CFC annuellement relâché dans les années 1980. Mais, souligne Patricia Martinerie, chercheuse au LGGE et cosignataire de l'étude, « ces composés sont détruits très lentement dans l'atmosphère, si bien que même si leurs émissions étaient stoppées immédiatement, ils resteront présents pendant plusieurs décennies ».