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Guy Bedos : «Comme une histoire d’amour qui s’achève»
Publié le 19 décembre 2013 à 18:26
Guy Bedos, le 4 décembre 2006 à Strasbourg.
CRITIQUE
One-Man Show. A trois jours de sa retraite d’humoriste, Guy Bedos, 79 ans, revient sur sa carrière, la scène, la politique.
Cela fait déjà un bail que le cheveu a viré au blanc, mais l’œil, lui, n’a rien perdu de cette étincelle espiègle qui a toujours singularisé le personnage. A 79 ans, Guy Bedos conserve des allures madrées assorties à la relative souplesse du geste. Quant à la parole, elle n’a bien sûr rien perdu de cette liberté qui a fait de l’artiste un franc-tireur, passé sniper dans l’art de viser des cibles contre lesquelles il eut tôt fait d’acquérir une coriace réputation. Oui, mais voilà : Guy Bedos a décidé de ranger au placard l’immuable tenue de scène (costume et cravate noirs, chemise blanche) dans laquelle on l’a vu tant de fois. Pour ne pas faire le spectacle de trop, précise-t-il, filant ainsi la métaphore du boxeur qui choisit de raccrocher avant d’aller au tapis.
«Je préfère arrêter avant de me retrouver un jour dans l’obligation d’arrêter», dit encore Guy Bedos, qui va solder là presque un demi-siècle de music-hall.
Fermement installé (avec Desproges, Coluche, Jean Yanne…) dans le gruppetto des plus grands humoristes français plusieurs décennies durant, Bedos est apparu au théâtre (
la Résistible ascension d’Arturo Ui, de Brecht) et au cinéma (
le Pistonné, le diptyque
Nous irons tous au paradis - Un éléphant ça trompe énormément, Réveillon chez Bob…). Mais c’est dans le one-man show que le natif d’Alger, fils d’Alfred Bedos, directeur de laboratoires de produits pharmaceutiques, et de Hildeberte Verdier, a acquis ses lettres de noblesse. D’abord en duo, avec sa défunte compagne, Sophie Daumier (
la Drague grimpera haut en 1973 dans les hit-parades), puis tout seul comme un grand, qu’il ne tardera pas à devenir, après la séparation du couple, en 1977.
Présent sur tous les fronts - notamment dès qu’il s’agit d’éreinter celui des Le Pen -, Guy Bedos s’impose ainsi en poil à gratter du pouvoir, très dur avec la droite, pas vraiment tendre avec la gauche, s’emplafonnant les uns et les autres au gré de saillies truffées d’invectives qui lui valent des noises (dernièrement, l’ex-ministre Nadine Morano, traitée sur scène de
«conne» -
«Je n’insulte pas, j’informe», plaidera le bretteur).
Créé fin 2011 au théâtre du Rond-Point, à Paris, le dernier et ultime spectacle de Guy Bedos porte le titre explicite de
Rideau ! Entre sketchs cultes et revue de presse, il démontre que l’artiste a su garder la ligne. Depuis deux ans, les salles ont fait le plein partout en France et lundi, c’est donc la der des ders : un Olympia, où il joua si souvent, pour celui qui assure être
«plus modeste qu’on ne l’imagine». Une fin avec des points de suspension, puisqu’il compte bien encore écrire, et jouer, même avec parcimonie, au théâtre et au cinéma. Mais une fin quand même, lourde de signification, comme l’intéressé s’en explique ci-après, entre deux tafs.
Lundi soir à l’Olympia, le rideau tombe sur le dernier one-man show de votre vie, et là…Déjà, je pense que je serai entouré de pas mal de gens qui ne sont pas mes pires ennemis… Mais je ressentirai quand même de la mélancolie, car j’ai vraiment adoré ce métier-là.
Vous avez associé cette fin à la mort…Oui, mais pour moi, ce n’est pas une notion synonyme de tristesse. J’ai passé ma vie à flirter avec la mort et l’ai même souvent espérée, depuis l’enfance. N’oublions pas aussi que je milite depuis longtemps pour le droit à mourir dans la dignité, la fin est parfois d’une telle violence et cruauté, j’ai accompagné suffisamment d’amis, comme Desproges, par exemple, pour le savoir. Mais pour en revenir à ces adieux, c’est sûr que quelque chose va mourir en moi. Comme une histoire d’amour qui s’achève. Pendant un demi-siècle, ce contact physique, charnel avec le public m’a enchanté. Je vais continuer à m’exprimer, mais rien, pas même une pièce de théâtre, avec son jeu de profil, ne pourra plus me procurer une telle satisfaction. Donc, une part de moi va disparaître.
Comment tout a commencé ?C’est un hasard si je me suis mis un jour à écrire des sketchs. Je venais du théâtre classique et j’ai même signé ma première mise en scène à 17 ans et demi, à l’école de la rue Blanche :
Arlequin poli par l’amour, de Marivaux. Puis un jour, je me suis retrouvé comédien sur le marché, chômeur, totalement embarrassé par les propositions qu’on me faisait : je ne savais pas comment jouer les jeunes gens dans ce théâtre «digestif» qui ne me convenait pas. Et j’ai interprété un premier sketch, signé Jacques Chazot, lui l’homo de droite et moi l’hétéro de gauche, à la Fontaine des quatre saisons où je croisais Boris Vian, Béjart débutant. Ce cabaret était dirigé par Pierre Prévert, le frère de Jacques. C’est lui, Jacques, l’idole de mon adolescence, qui m’a dit un jour :
«Vous devriez écrire.» J’ai acheté un cahier et, le lendemain, c’était parti. Après, encore, il y a eu François Billetdoux, qui a favorisé mon engagement à la Galerie 55 ; Raymond Devos, qui m’a aussi aidé ; la bande qu’on formait avec Jean-Pierre Marielle, Belmondo, Rochefort et quelques autres ; des rencontres avec Judith Magre, Martine Sarcey, Maria Pacôme… Jusqu’à deux événements importants dans ma carrière : un jeune producteur qui m’a demandé d’adapter mon spectacle au cinéma, qui est devenu
Dragée au poivre et a connu un grand succès ; ensuite, la rencontre avec Barbara : nous n’étions pas du tout intimes, mais elle restait une camarade très fréquentable et nous nous sommes retrouvés en covedettes à Bobino, là encore un carton. Son seul défaut, c’est qu’elle s’asseyait en coulisse pour regarder mon spectacle, soi-disant pour «respirer» son public, et elle me faisait peur.
Vous qui, enfant, souffriez de TOC., quel fut votre rituel scénique ?Je ne bois pas de whisky, mais un soir, à mes débuts, j’en ai pris avant de monter sur scène et, depuis, je n’ai jamais pu aller au public sans une lampée dans le gosier. Je travaille entouré de cinq personnes, dont certaines depuis quarante ans. Et, un jour, Véronique, la copine qui s’occupe de ma loge, a senti la nécessité d’y installer des images de ma vie. Alors, chaque soir, sur le miroir, elle colle des photos d’êtres chers, mais aussi de mes chats, de la Méditerranée qu’on voit depuis ma maison, en Corse. Etant très angoissé de nature, je me suis offert à toutes sortes de pratiques médicales, l’acupuncture, des techniques de respiration asiatique, quelques exercices physiques. La scène m’a rendu insomniaque et fait longtemps de moi un camé aux somnifères, dont certains sont interdits en pharmacie, voire n’existent plus. Aujourd’hui, je me contente de demi-comprimés, plus doux. J’ai besoin aussi d’arpenter l’espace où je vais jouer, il faut l’apprivoiser, tout compte pour moi, jusqu’à la couleur des sièges : je préfère le rouge à l’orange, par exemple. J’ai le trac pour tout. Ce métier fait qu’on reste un écolier toute sa vie : deux ou trois jours de relâche en tournée et je dois réviser mes textes, plus corriger sans cesse la revue de presse.
Vous dites de ce métier qu’il vous a «bouffé»…Ma vie de famille, mon couple… là je parle d’aujourd’hui. Une telle passion pour la scène fait que par la force des choses, on en devient bigame.
Y a-t-il des gens que vous avez regretté avoir égratignés ?Oui, au risque de vous étonner : Jacques Chirac, aussi menteur, voleur, etc., qu’il ait pu être. Un jour, j’ai reçu un Molière et, alors que je ne le connaissais pas, il m’a écrit pour me témoigner son estime et me dire le plaisir qu’il avait éprouvé à être
«égratigné» par moi, alors qu’à l’époque, franchement, je le lacérais. Jamais, en tout cas, Chirac ne m’a inspiré la même antipathie, la même colère que Sarkozy et ses sbires. On m’a collé la réputation d’être méchant, ce que je récuse. Je ne cherche pas à blesser à tout prix. Mais je peux être violent, oui.
Quelles sont les personnalités politiques, mortes ou vivantes, que vous aimeriez (ou auriez aimé) voir à vos adieux ?Aucune. Ni de gauche, ni de droite. Mitterrand est venu plusieurs fois. Il était extrêmement indulgent et, à ma connaissance, n’a jamais censuré quiconque, alors que sous Giscard, j’ai vraiment été McCarthysé, blacklisté, notamment dans l’audiovisuel. Tout juste Mitterrand me disait-il :
«Vous y allez fort quand même…» Ah si, Michel Rocard sera là, mais c’est un ami. Nous faisons tous deux partie du collectif Roosevelt, fondé par Stéphane Hessel. Et Pierre Larrouturou, qui est un économiste quand même plus approchable qu’Alain Minc et Jacques Attali - en plus, je comprends presque tout ce qu’il dit.
Avez-vous eu dans votre carrière des rendez-vous manqués ?Je ne les ai pas retenus, préférant me souvenir du hasard qui a provoqué de belles rencontres : Stephane Hessel, avec qui nous nous sommes retrouvés dans des associations, comme le DAL ou pour les sans-papiers, auxquelles j’appartiens, ainsi qu’à la Ligue des droits de l’homme. J’ai aussi eu la chance de tourner avec Jean Renoir, de rencontrer Jacques Prévert, Simone Signoret, ma «prof de sciences-po»… J’ai aussi aimé l’écriture de Jules Renard, Paul Léautaud, des Américains Philip Roth, Salinger, Steinbeck, qui m’ont donné l’envie d’écrire pour d’autres raisons que celle de faire rire à tout prix.
Qui voyez-vous comme fils spirituels ?Mon propre fils, Nicolas, qui l’est, à sa façon. Muriel Robin, avec qui je rejouerai à l’Olympia un sketch que j’avais écrit pour nous deux il y a vingt ans. De même, je suis ami avec Michel Boujenah alors que nos répertoires sont si différents. J’aime bien François-Xavier Demaison, le côté cégétiste de Christophe Alevêque… Mais je ne suis pas aussi proche de certains qu’on pourrait l’imaginer : Stéphane Guillon, par exemple, doit plus penser à moi que je ne pense à lui.
L’univers médiatique est aujourd’hui saturé d’humoristes supposés, cela galvaude-t-il le métier ?Je le pense. A mes débuts, il n’y avait que Fernand Raynaud et Raymond Devos. Ça ne se bousculait pas dans ce qu’on appelait alors le cabaret. La radio et la télé ont de tout temps servi de tremplin, mais quand même, aujourd’hui, c’est l’embouteillage. Je ne les regarde pas de haut, du moins pas tous, mais bon… Quand j’en vois certains qui pouffent les premiers à ce qu’ils viennent de dire, j’ajoute qu’il faut bien que quelqu’un se dévoue.
A quoi attribuez-vous votre longévité ?Je ne sais pas. Les gens ont dû être sensibles à ma liberté de parole. Je console plus que je ne construis. Certains me disent encore
«On a besoin de vous».Je pense, par ma résistance affichée à tous les pouvoirs, être devenu un porte-parole.
Le premier regret qui vous vient à l’esprit ?J’en ai tellement… Ne pas avoir été Woody Allen, ou Charlie Chaplin.