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Georges Lautner au terminus des prétentieux
Mis à jour le 23/11/2013 à 00:23 - Publié le 23/11/2013 à 00:15
Georges Lautner, vers 1996.
Le réalisateur des Tontons flingueurs est décédé vendredi. Considéré comme un cinéaste populaire, il aura, somme toute, marqué le cinéma français de son empreinte subversive, au silencieux.Il avait écrit ses Mémoires sous la forme d'un abécédaire,
On aura tout vu (Flammarion, 2005). À la lettre A, «Audiard», bien sûr car si on vous demande de citer un seul film, oui, un seul film, de Georges Lautner, comme par réflexe tout pavlovien, stimulus-réponse, vous lancerez, et sans hésitation aucune:
Les Tontons flingueurs. Le réalisateur est ainsi entré directement dans l'histoire du cinéma comme un suppositoire, en 1963, un film qui eut dû s'appeler, selon la légende,
Le Terminus des prétentieux. Le cinéma se nourrit de sa légende. On a glosé, depuis, sans fin, sur
Les Tontons, sur la fameuse scène de la cuisine qui n'était pas tout à fait prévue dans le scénario. D'aucuns, interrogez les gens dans la rue, connaissent des répliques de ce film par cœur comme on récitait de tête, jadis, des vers de Molière, de Corneille ou de Racine. Et pourtant, Lautner avait déclaré: «Je n'ai jamais compris pourquoi ce film avait marché. La critique était contre nous. C'est sorti, à l'époque, dans quatre salles à Paris. Ça n'a pas été un triomphe». Avec le temps, Les Tontons se bonifièrent, prirent de la bouteille. Quoi qu'on en dise, le réalisateur tira, malgré lui, des chèques, avec beaucoup de provisions, sur ce drôle de chef-d'œuvre. Et Audiard devint le phare et l'ombre de Lautner.
Georges Lautner a toujours été un homme d'amitié et c'est ainsi que le cinéma a, très tôt, comblé son caractère fidèle: «Il faut savoir, dans le boulot, utiliser l'amitié pour deux raisons: primo pour en tirer le maximum ; secundo, pour se marrer». Pas idiot.
Georges Lautner est né le 24 janvier 1926 d'un père aviateur, Léopold - qui périt en 1938 dans un accident lors d'un meeting aérien - et d'une mère comédienne, Renée de Saint-Cyr. Sur la mort de son père: «Là, j'ai commencé à comprendre que la vie, ce n'était pas ce qu'on lisait dans les bouquins d'enfant. C'était vraiment le premier choc dégueulasse, la première épreuve qui m'a toujours marquée…» Études chaotiques à Janson de Sailly. Il ne s'est jamais vengé de la vie dégueulasse, oh non, il a préféré s'en amuser, c'est qu'il avait l'amour de la déconnade en bandoulière. Lautner, mine de rien, a révolutionné le cinéma à la française, coup de jarret à celui de Renoir ou de Carné. La nouvelle vague n'y compris que couic. On ne peut pas faire avaler de la langue de bœuf et de la tête de veau à des jésuites de la pellicule. Mais Lautner s'en est toujours fichu. Il a tracé avec intelligence son chemin.
Détourner les codes
Il avait le public dans sa poche. On lui doit un certain respect. Il avait ce don de la parodie, un peu comme Sergio Leone, il détourna les codes. Lautner, mine de rien, était un maniaque, un maniaque du cadrage, du gros plan, du rythme et du montage. Il fit du dialogue un gros plan. Son format fut le Cinémascope, on se souvient par exemple de son actrice fétiche, Mireille Darc,
Des pissenlits par la racine, la mascotte, femme libérée de la bande à Audiard. C'est Alain Poiré, le producteur, qui lui donna les mains libres, une sorte de mécène. Le polar était son genre, il le tordit à l'envi. Toujours autour de lui, sa bande: Paul Meurisse - on se souvient de la série
Le Monocle -, Michel Serrault, Maurice Biraud, Louis de Funès, Francis Blanche, on en passe. Et puis, bien sûr, il y eu
Les Bons Vivants,
Les Barbouzes - bien inférieur aux
Tontons, disons-le - et
Laisse aller, c'est une valse. Mais, faut-il encore le rappeler, c'est avec
Les Tontons Flingueursque Lautner restera dans les annales du cinéma français. Ce film a tout d'une blague et c'est ainsi qu'il prit des allures de chef-d'œuvre. Il devait, dit-on, s'appeler
Grisbi or not grisbi, titre du roman d'Albert Simonin, un clin d'œil ironique au film de Jacques Becker,
Touchez pas au grisbi. «Y connaît pas Raoul», comme disait Bernard Blier dans
Les Tontons. Les répliques fusent comme des coups de flingues au silencieux.
Un maître étalon du cinéma français
Pour Lautner, les années 1980, furent les années Belmondo. De Godard à Audiard,
Flic ou voyou(1979),
Le Guignolo(1980),
Le Professionnel(1981), l'acteur remplit les salles en cascade. Audiard disparu, Lautner demande à Jean-Loup Dabadie, un expert du dialogue haute couture, un sacré coup de main:
Attention une femme peut en cacher une autre(1983). Remarquons que Lautner fit débuter Eddy Mitchell devant la caméra. Lautner, c'est plus de 40 long métrages, c'est, bien sûr et avant tout, Lino Ventura, c'est Jean Gabin (Ah,
Le Pacha, musique de Gainsbourg!). Un minutieux du cadrage. Il est, dans son genre, un maître étalon du cinéma français. On n'en finira pas de le réévaluer, de le sortir de la tourbe populo dans laquelle l'a enfermé la critique. Revoir à ce sujet ces premiers jets:
Arrêtez les tambours,
Marche ou crèveou
Le Septième juré(1962) où, bien sûr, on a l'immense plaisir de revoir Bernard Blier en pharmacien, ce pilier, ce mur porteur de notre cinéma. Il n'y a que les aigris, les coincés, pour bouder l'immense talent de Georges Lautner, cette fleur d'oseille qui fut, malgré tout, quelque peu occulté par le génie de Michel Audiard. Ce qu'on appelle du cinéma d'auteur, non?