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La traque des cyber-djihadistes s'intensifie
Mis à jour le 20/09/2013 à 15:08 - Publié le 20/09/2013 à 14:12Romain Letellier alias Abou Siyad al-Normandy a publié d'après le procureur de la République de Paris «de nombreux messages et communiqués d'Aqmi»sur le site djihadiste
Ansar al-Haqq.
Comme Romain Letellier, alias Abou Siyad al-Normandy, le premier fondamentaliste écroué pour «apologie» et «provocation» au terrorisme sur internet, ils sont nombreux à s'emparer de la toile pour diffuser leurs idées.
Face à la menace qui enfle, policiers et magistrats veulent exténuer les fous d'Allah qui enflamment Internet. Fer de lance de la lutte «impérieuse» lancée par le parquet de Paris contre le « djihad médiatique» qui vise à «convaincre et à faire adhérer les individus à la guerre sainte», la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) multiplie ses investigations sur la personnalité de Romain Letellier, administrateur du site djihadiste
Ansar al-Haqq et «diffuseur» présumé de la revue anglophone
Inspire, faisant l'apologie d'al-Qaida à l'échelle planétaire. Agissant sur la Toile sous le pseudonyme d'Abou Siyad al-Normandy, ce fondamentaliste de 27 ans est le premier «cyber-propagandiste» à être écroué depuis la mise en vigueur de la loi du 21 décembre 2012 visant l'«apologie» et «provocation à la commission» d'actes de terrorisme sur Internet.
Interpellé mercredi à Hérouville-Saint-Clair, dans la banlieue de Caen dont il est natif, confessant s'être converti à l'islam il y a «quatre ou cinq ans», il s'est marié religieusement à une jeune femme franco-marocaine originaire du Nord-Pas-de-Calais. Enceinte de deux mois et demi, cette dernière a dénoncé dans les colonnes de
Ouest-France beaucoup de «stress et d'intimidation, de pression psychologique» lors de l'intervention policière.
Disques durs décortiqués
«Ils ont défoncé la porte d'entrée et ils ont tout pris: ordinateurs, disques durs, téléphones et autres documents, a-t-elle expliqué. Et ils nous ont embarqués, Romain et moi. On a d'abord été entendus à Caen, puis transférés à Paris mercredi soir.» Placée sous contrôle judiciaire, elle concède avoir assuré la traduction d'un «site d'actualité» considérant qu'«il n'y a qu'un islam, l'islam modéré ne veut rien dire, ce sont des hérétiques». À ses yeux, «cette affaire est une atteinte à la liberté d'expression.»
Agissant dans le cadre d'une information judiciaire ouverte depuis jeudi pour préciser l'entourage du suspect et son degré d'implication supposée dans la nébuleuse terroriste, les experts du contre-espionnage français décortiquent les disques durs confisqués en perquisition. Présenté de source judiciaire comme un «site de référence pour la mouvance islamiste radicale créé le 20 janvier 2007»,
Ansar al-Haqq compte à lui seul plus de 4000 membres, dont 685 actifs. Désigné comme «émir» au début de l'année, Romain Letellier alias Abou Siyad al-Normandy y a publié d'après le procureur de la République de Paris «
de nombreux messages et communiqués d'Aqmi ». Il aurait aussi traduit en français puis diffusé les dixième et onzième opus de la revue
Inspire, créée le 2 juillet 2010 par al-Qaida dans la péninsule arabique (Aqpa). Ces écrits, précise-t-on de la même source sont tout à la fois «apologétiques, incitatifs et opérationnels».
«Gagner les cœurs et les esprits de la communauté»
«L'émergence d'une communauté djihadiste virtuelle, qui attire un public de plus en plus large et de plus en plus jeune, vecteur de propagande, de radicalisation et de recrutement, à l'origine du basculement d'individus isolés dans le terrorisme, est au cœur des préoccupations en matière de lutte contre le terrorisme», martèle le procureur de la République, François Molins. Aux sceptiques qui en douteraient, le parquet de Paris rappelle cette phrase d'Ayman al-Zawahiri, l'actuel chef d'al-Qaida: «Nous livrons une bataille, et plus de la moitié de cette bataille se déroule sur la scène médiatique pour gagner les cœurs et les esprits de la communauté.»
En d'autres termes, les thèses du djihad, s'exportent désormais de manière au moins aussi redoutable derrière chaque ordinateur que dans les zones de conflits armés, en Syrie, au Mali ou en Afghanistan.
En France, les autorités ont déjà ordonné la fermeture de plusieurs sites radicaux où des exaltés rendent honneur aux «glorieux martyrs» et exhortent à la guerre sainte contre l'épouvantail occidental. À son QG de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) abrite une plate-forme spécifique. Des cyberenquêteurs scrutent les forums de discussion ainsi que les chaînes de vidéos, telles que YouTube ou Dailymotion.
C'est ainsi que les policiers, en marge de l'interpellation en juillet 2012 d'un jeune islamiste tunisien à Toulon, ont pu mettre au jour et désactiver ce que Manuel Valls décrit comme une «véritable boîte aux lettres d'al-Qaida au Maghreb islamique». Outre la confection d'engins explosifs, ce webmaster fanatisé diffusait des informations sur l'infiltration d'agents gouvernementaux dans les rangs d'Aqmi ou sur le déplacement de ministres susceptible d'être brandis comme des cibles.
Décapitations par des soldats russes
Deux mois auparavant, les autorités françaises avaient fermé le site Internet de l'organisation islamiste dissoute Forsane Alizza, alias «les Cavaliers de la fierté». Opération délicate puisque, comme souvent, le serveur était hébergé en Californie et renvoyait à plus d'une demi-douzaine d'adresses IP. Plus récemment, la police a assigné à résidence dans le nord de la France Mansur K., réfugié politique tchétchène soupçonné de faire l'«apologie du terrorisme» sur les réseaux sociaux. Sur Facebook, il aurait véhiculé «des messages de la rébellion islamiste, allant même jusqu'à montrer des décapitations par des soldats russes».
Persuadé que «les sites sont souvent hébergés à l'étranger», Manuel Valls multiplie les contacts avec ses homologues européens et américains pour mener une traque planétaire. Devant la cruauté de certaines images, les administrateurs des sites hébergeurs interviennent régulièrement pour suspendre le compte de l'intéressé. Mais le nettoyage, qui peut prendre plusieurs jours, laisse souvent filtrer un venin qui embrigade les esprits.