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Égypte : un dimanche de colère contre Morsi
Mis à jour le 30/06/2013 à 22:40 - Publié le 30/06/2013 à 22:24
Des centaines de milliers de manifestants égyptiens se sont rassemblés devant le palais présidentiel au Caire lors d'une manifestation appelant à la destitution du président Mohamed Morsi, le 30 juin.
Au milieu de la place Tahir, dimanche 30 juin, un immense drapeau égyptien est porté par les manifestants opposés au président Mohamed Morsi. Ils scandent «le peuple veut la chute du régime».
Une jeune fille égyptienne tient une affiche destinée au président égyptien, où l'on peut lire «dégage» en arabe, devant le palais présidentiel, au Caire ce dimanche.
Egalement massivement mobilisés, faisant craindre de nouvelles violences, des partisans islamistes du président égyptien montrent des exemplaires du Coran lors de la manifestation, près de la mosquée de Nasr City, dans la banlieue du Caire, le 30 juin.
Des manifestants anti-Morsi (en bas) et les résidents pro-Morsi d'une zone de Sidi Gaber, s'affrontent dans une rue latérale, en marge de la manifestation à Alexandrie.
Les opposants du président égyptien Mohammed Morsi protestent devant le palais présidentiel au Caire, dimanche soir. L'opposition a appelé les manifestants à rester dans la rue jusqu'à ce que Morsi quitte le pouvoir.
Les manifestants opposés au président égyptien Mohamed Morsi ont déclenché des feux d'artifice lors de la manifestation qui les réunit ce dimanche sur la place Tahrir au Caire.
EN BREF
- L'armée égyptienne estime à «plusieurs millions» le nombre de manifestants qui défilaient dimanche à travers le pays.
- Deux morts ont été recensés dans des heurts entre pro et anti-Morsi.
- Le QG des Frères musulmans au Caire a été attaqué.
A l'entrée de la place Tahrir, le ton est donné. «Accès interdit aux Frères musulmans», prévient une large banderole, accrochée à une minibarrière métallique. De part et d'autre de ce «check point» improvisé, des volontaires en veston jaune fluo fouillent les sacs, scrutent les cartes d'identité. «Question de sécurité!», prévient l'un d'eux, convaincu que les supporteurs de Mohamed Morsi sont prêts à tout pour faire échouer leur rassemblement pacifique.
Il est à peine 14h30 ce dimanche 30 juin, et déjà quelques centaines de manifestants se sont réapproprié cette place symbolique, épicentre de la révolte qui, en février 2011, mit fin aux années Moubarak. «Nous ne partirons pas avant le départ du nouveau président!», martèle Marwat Hisham, foulard bleu sur tunique multicolore. Cette infirmière, mère de quatre enfants, a pourtant voté pour lui, il y a exactement un an. Elle a même cru en ses promesses de démocratie et de justice sociale. «Au final, on a hérité de coupures d'électricité, de pénurie en essence et d'un président réduit à aller quémander de l'argent à l'Arabie saoudite et au Qatar!», râle-t-elle, en l'accusant d'avoir «entaché l'image du vrai islam».
Derrière elle, de jeunes révolutionnaires distribuent des cartons rouges, frappés d'un «Dégage!», rédigé en lettres blanches. Le mot, collé sur toutes les lèvres, est répété à l'unisson à travers des haut-parleurs géants, d'où s'échappent, en alternance, des chants patriotiques. Soudain, un épais vrombissement s'abat sur Tahrir. Les têtes se lèvent, étonnées. Quatre hélicoptères rasent le ciel du centre-ville, entamant une petite ronde au-dessus de la grande place, pour ensuite disparaître dans le ciel azur sous un tonnerre d'applaudissements. Surprenante ovation adressée à l'armée dans un pays encore endeuillé par la médiocre transition postrévolutionnaire encadrée par le Conseil suprême des forces armées, avant l'élection de Morsi.
Nabil Atia, un ancien colonel présent dans la foule, s'en explique. «L'armée est du côté du peuple. Elle le défendra jusqu'au bout pour débarrasser le pays du régime des Frères musulmans!», dit-il. Pour lui, deux scénarios sont possibles: «Soit Morsi finit par s'assagir en décidant de se retirer. Soit ses partisans déclenchent un cycle de violence qui mènera à la guerre civile. C'est cette deuxième configuration que l'armée fera tout pour éviter.»
Plus inattendu, cette théorie d'un chaos uniquement contrôlable par l'armée est aujourd'hui souvent reprise par l'opposition, pourtant connue pour son dégoût des uniformes. Accroupi sous une des nombreuses tentes dressées le long de l'avenue qui fait face au palais présidentiel de Héliopolis, également noire de monde, Imad Gawan n'a pas honte de le dire: «Je ne pardonnerai jamais aux militaires ce qu'ils ont fait. Mais si je devais choisir, j'estime qu'ils sont “moins pires” que les Frères musulmans.»
L'indéniable succès de «Tamarod»
À l'origine, tout est parti d'un ras-le-bol. Ou plus précisément d'une pétition. Lancée en avril dernier par de jeunes révolutionnaires désenchantés, réunis autour d'un nouveau mouvement «Tamarod» (Rébellion), elle propose alors aux signataires de s'allier aux appels à la destitution de Mohammed Morsi. Le texte, porté par la colère contre un président accusé d'incompétence et de dérive autoritaire, suggère que l'intérim soit assuré par le chef de la Haute Cour constitutionnelle jusqu'à de nouvelles élections. Au début, les volontaires du mouvement se comptaient par centaines. Très vite, leur nombre a augmenté.
Disséminés à travers tout le pays, ils ont, des jours durant, accosté les passants, battu le rappel dans le métro, collé des affichettes sur les voitures. Installés au quatrième étage d'un vieil immeuble du centre-ville cairote, non loin de l'emblématique place Tahrir, leurs responsables ont récolté les papiers, recensé les noms, fait le décompte des signatures. À la veille du 30 juin, ils murmuraient fièrement en avoir récolté 22 millions - soit bien au-delà des 13, 5 millions de voix obtenues par Morsi au premier tour de la présidentielle. Le chiffre est invérifiable. Mais signe de l'indéniable succès de «Tamarod», le président a paniqué. Dans un discours fleuve de 2 heures 30, retransmis jeudi 27 en direct à la télévision, il a reconnu certaines «erreurs» et promis une révision de la Constitution.
Quelques jours plus tôt, ses partisans avaient lancé une contre-pétition, «Tagarod» («Dépouillements»). Ils avaient même mobilisé leurs ouailles, vendredi 21 juin, lors d'un rassemblement de soutien au raïs islamiste. En vain. Alors, la semaine suivante, le 28 juin, ils ont réitéré, plus nombreux, plus loquaces, mieux organisés. Ce jour-là, il y avait de la tension dans l'air. Dans plusieurs villes du pays, des accrochages ont éclaté. Remontés à bloc, les anti-Morsi ont attaqué plusieurs permanences du parti Liberté et Justice, la branche politique des Frères musulmans. En face, les supporteurs du président ont répliqué. Au total, des dizaines de blessés, et trois morts - dont un jeune Américain, tué alors qu'il prenait des photos à Alexandrie, la deuxième ville du pays. Un bilan qui s'ajoute aux cinq morts de la semaine écoulée, marquée par une série d'incidents entre groupes rivaux.
Ce dimanche 30 juin, si des heurts ont été signalés en dehors du Caire (voir encadré), l'ambiance restait relativement calme place Tahrir. Dans la soirée, l'armée égyptienne a estimé à «plusieurs millions» le nombre de manifestants qui défilaient dimanche à travers le pays. Il s'agit «de la plus grande manifestation dans l'histoire de l'Egypte», a ajouté cette source sous couvert de l'anonymat. «Je vais vous faire un aveu: je ne m'attendais pas à un tel succès. Mais je ne peux m'empêcher d'avoir peur et de penser à la suite. Car la suite, on n'y a pas vraiment réfléchi», confie une manifestante. La nuit, poursuit-elle, «s'annonce longue et agitée».
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Deux morts dans des heurts entre pro et anti-MorsiDeux personnes ont été tuées dans des affrontements entre opposants et partisans de Morsi. La première victime a été est morte au sud du Caire dans des heurts qui ont également fait une quarantaine de blessés. Une deuxième personne a été tuée dans le centre de l'Egypte lorsque des hommes armés à bord d'une moto ont ouvert le feu sur des manifestants. Cet incident a eu lieu dans la province d'Assiout devant un local des Frères musulmans. Au Caire, le QG des Frères musulmans, la formation dont est issu le président Mohamed Morsi, a été attaqué au Caire avec des cocktails molotov.