SID AHMED GHOZALI À L'EXPRESSION«Notre participation aux législatives est peu probable»
Dimanche 22 Janvier 2012
Par Tahar FATTANI«Pendant que nous sommes exclus de parler, les islamistes parlent»
«Un parti politique doit se réunir, doit aller vers la population, écouter les problèmes et donner des solutions.»
Ancien chef de gouvernement et président du Front démocratique, parti non agréé, Sid Ahmed Ghozali aborde dans cette interview la situation politique en Algérie, les prochaines élections législatives et les chances des islamistes. Il explique notamment le bras de fer qui l'oppose au ministère de l'Intérieur pour l'octroi de l'agrément de son parti.
L'Expression: La nouvelle loi sur les partis vient d'être publiée dans le Journal officiel. Avez-vous reçu quelque chose de concret de la part des autorités concernées pour l'agrément de votre parti?Sid Ahmed Ghozali: Non. Je n'ai rien reçu. Je ne connais pas la loi non plus. On se base sur ce que les journalistes rapportent à l'opinion ou ce que les militants disent, sur des rumeurs ou confidences faites par le pouvoir, mais jamais sur quelque chose de concret ni sur ce que dit la loi. De toutes les façons, le Front démocratique n'est pas concerné par cette loi. Le FD est accepté, donc agréé depuis 12 ans, par la loi de 1997 article 22. Nous connaissons la loi et nous connaissons la réalité pour pouvoir nous poser des questions. La mise en relation de ce qu'on appelle la nouvelle loi avec les nouveaux partis ne concerne pas le Front démocratique. L'article 22 de la loi de 1997 prévoit que si le gouvernement, au bout de deux mois, ne répond ni par oui ni par non, le parti est accepté par la loi. Cela était notre cas depuis juillet 2000. Depuis la même date, le gouvernement a entravé l'application de la loi. Il nous a empêché d'activer. Le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales répond, à chaque fois interrogé par les députés ou par les journalistes, que le dossier du FD est à l'étude, laissant entendre qu'il n'avait aucun problème. Interrogé par un député qui a lui signifié que la loi prévoit deux mois pour répondre aux demandes d'agrément de partis, le ministre répond: «Je sais que la loi prévoit deux mois, mais ce n'est pas suffisant.» Nous sommes devant une situation où le ministre de la République dit clairement que la loi prévoit ceci, «mais je ne l'applique pas, car ce n'est pas suffisant».
Après une attente de 12 années, pourquoi votre parti n'a pas été agréé à votre avis?Je répète que j'ai eu l'agrément dans le Journal officiel, l'autorisation de préparer et tenir le congrès. Il y a eu 1 100 congressistes élus en tant que tels qui ont tenu le congrès avec des marges très supérieures à celles prévues par la législation. La loi prévoit 25 membres fondateurs, nous, nous avons été 135 membres fondateurs. La loi prévoit 2500 militants sur 25 wilayas, nous, nous avons fait adhérer 10.000 militants sur plus de 40 wilayas. Quand je dis que le gouvernement entrave l'application de la loi, je veux dire qu'il agit par la voie du bouche-à-oreille, pour que nous n'ayons pas la possibilité d'activer. Un parti politique doit se réunir, doit aller vers la population, écouter les problèmes et donner des solutions. Nous avons essayé de tenir des meetings, mais les responsables de wilayas exigent un papier écrit du ministère. Le parti qui n'active pas, c'est un parti qui est mort. Pour ces raisons, le pouvoir politique algérien n'accepte pas de parti autrement que ceux qui sont soumis. Le fait que le gouvernement entrave l'application de la loi, prouve que le pouvoir politique ne veut pas de parti autres que ceux qui sont à son service. On empêche les gens qui sont catalogués à tort, comme des ennemis du pouvoir, car nous ne sommes pas l'ennemi du pouvoir. Mon rôle n'est pas d'être un ennemi du pouvoir. C'est le pouvoir qui considère comme ennemi tous ceux qui ne lui sont pas soumis. Le pouvoir politique considère toute la société, civile et militaire, comme des gens qui sont là pour obéir. Il commet, ce faisant, une faute grave. On ne peut pas faire marcher une société en donnant des ordres.
Votre dossier est-il conforme à la nouvelle loi et pourquoi le FD est-il empêché d'activer comme vous le prétendez?Je ne prétends rien et je ne fais que rappeler des faits certains, les documents en possession du pouvoir, les archives et les interpellations écrites sont là pour le prouver. Le FD s'est strictement conformé à la loi qui était en vigueur pendant la période allant du dépôt du dossier à ce jour. Durant douze années ils n'ont jamais dit le contraire ni rien d'autre que ce que j'ai cité ci-dessus. Jamais, il n'y a pas eu de contacts. J'ai saisi le ministre chaque année, mais aucune suite n'est donnée à ma requête. Par ailleurs, qui assure que le gouvernement va respecter cette nouvelle loi, car il a violé les mêmes textes durant douze années. Je ne crois pas à ses intentions de créer de nouveaux partis. On n'a pas besoin de faire de nouvelles lois, mais de lever les interdictions illégales imposées à ce jour, tout simplement. Le gouvernement est venu changer des lois, la Constitution notamment, pour parer à la menace. Les problèmes sociaux, le chômage, la corruption et autres problèmes ne sont pas le résultat d'une mauvaise Constitution. Celle-ci n'est pas responsable de la situation dans laquelle nous nous retrouvons actuellement. Les réformes dans le domaine législatif sont déjà faites depuis longtemps. En Algérie, la mère des réformes a été faite en 1989. Cette réforme n'a pas été appliquée depuis.
Le FD va-t-il participer aux prochaines élections législatives? Quelles seront vos ambitions en prévision de ce scrutin?Oui, si je suis autorisé. Mais je sais que je ne le serai pas. Les militants algériens ont adhéré au FD pour participer à la vie civile. On les en a empêchés. Parlant d'échéances électorales, vous vous adressez à une personne exclue de candidature durant six échéances, dont trois présidentielles, puisque le parti n'était pas autorisé à présenter des candidats. Puis c'est quoi cette façon d'autoriser des partis à trois mois des élections? On demande à un parti qu'on a empêché pendant 12 ans, de redéployer ses forces à quelques mois d'une élection. On ne nous laisse même pas le temps d'aller vers les gens pour les convaincre. On nous a coupés du peuple durant 12 ans. Lorsque vous êtes interdit de passer dans les médias lourds, c'est une façon de vous empêcher de vous adresser au peuple. Vous savez, je n'ai même pas le droit de réunir le conseil national, qui est la direction politique, qui regroupe 190 membres. Vu tous ces empêchements, la possibilité de participer aux prochaines élections est peu probable. Supposons qu'on nous laisse participer, cela veut dire qu'on nous demande de participer à une course avec un handicap de 5000 mètres. Donc, nos chances seront celles d'un athlète, quelle que soit sa force, qui aborde une course avec un handicap de 5000 mètres. Dans une telle situation, pourquoi ne pas reporter ces élections? Les résultats de ces prochaines élections sont décidés dès maintenant. Les élections libres ce n'est pas seulement lorsqu'on ne triche pas, mais c'est lorsque les électeurs sont privés a priori du droit de choisir tel ou tel compétiteur jugé indésirable par le pouvoir. De surcroît, est-il possible d'accepter que la règle du jeu
soit changée à la veille de la compétition? La scène politique est animée par le discours des alliances, soit entre partis islamistes ou démocrates. Le FD est-il favorable à rentrer dans une Alliance?Nous utilisons un jargon qui n'a de sens que si certaines conditions sont réunies. Un pays comme la Belgique est le prototype d'un pays gouverné par des Alliances. Pourquoi? Parce qu'il y a des élections libres, avec la participation de plusieurs partis. Lorsqu'on parle d'alliance dans le système actuel, on est en train d'utiliser une terminologie qui ne s'applique pas à la réalité algérienne. Nous appliquons un langage qui ne convient pas à la situation algérienne. Il n'y a pas d'Alliance autrement que contre des partis indépendants. Pour le parti islamiste, il appartient au pouvoir. L'actuelle assemblée est-elle une assemblée d'élus? Tous ont été désignés sous forme de soi-disant élection. L'APN n'a repoussé aucun projet du gouvernement. Ce Parlement a changé la Constitution en deux minutes et en deux occasions. Il ne peut y avoir d'opposition puisqu'elle n'est pas acceptée par le pouvoir. Tous les partis qu'ils soient islamistes, trotskistes ou démocrates sont des acteurs auxquels on a assigné des rôles. Les partis qui répondent à la définition réelle d'un parti sont au nombre de deux ou trois. Le premier existe depuis 1963 et il a été marginalisé, mais il est en marche. Le second, le Parti communiste, devenu MDS. Tous les autres partis sont une machinerie au service de l'Etat.
Le spectre de la victoire islamiste plane sur ces élections, alors que certains parlent de «l'exception algérienne». Partagez-vous cette analyse vu notamment que la conjoncture régionale est favorable à cette mouvance?Quand le ministre de l'Intérieur dit que les islamistes ne vont pas gagner, cela suppose qu'il a pris des dispositions pour qu'ils ne gagnent pas. Puis, il faut refuser de tomber dans le chantage à l'islamisme. Cette histoire d'islamiste, on la sort pour faire peur aux Algériens, par une confusion entre islamistes et terroristes. Le pouvoir veut dire soit on continue dans la même situation, soit les islamistes vont accéder au pouvoir. Pour la victoire de cette mouvance, logiquement ils remporteront les élections. S'il y a des élections libres, bien évidemment qu'ils gagneront. Pourquoi? D'abord, il n'y a aucune alternative. Ceux qui ne se sont pas laissés emporter par cette mouvance, on les a bâillonnés. C'est le pouvoir même qui les a bâillonnés. Pendant que nous sommes exclus de parler, les islamistes parlent. Les pouvoirs locaux ont tout fait pour bâillonner les voix qui peuvent être une alternative au pouvoir islamiste. Dans un tel cas, nécessairement, s'il y des élections libres, ils gagneront.
Le débat est centré également sur le retour des anciens de l'ex-FIS à la scène politique. Quelle est la position de votre parti sur cette question?L'ex-FIS a été interdit par la loi. Il a été légalement dissout. Ses dirigeants qui étaient coupables de violence ont été jugés et sanctionnés. De quel droit interdirait-on à des militants du FIS de participer à la vie politique? Il n'y a pas au sein de ce parti que des gens qui ont les mains entachées de sang. Il y a eu une masse de cadres, de militants qui n'ont jamais recouru à la violence. Moi-même j'en ai connu, puisque j'en ai mis dans mon gouvernement, à l'exemple de feu Guechi, Ahmed Marani ou feu Bachir Fekir qui étaient membres fondateurs du FIS. Ils l'ont quitté. Ils ont reconnu qu'ils avaient eu tort de créer le FIS. Ils avaient expliqué qu'ils rejetaient le mélange entre la politique et la religion. Ils se détachaient de la violence à l'époque. Au-dessus de tout cela, il y a eu la réconciliation nationale. Que le FIS en tant que tel ne pourra pas revenir à la scène politique est une chose car il a été dissout légalement.
Ne craignez-vous pas une abstention massive?Ce que je prévois, les Algériens ne voteront pas s'il n y a pas de changement. L'Algérien sait que son vote ne servirait à rien dans le cadre de simulacre d'élections, donc il ne va pas au vote. Il y a toujours eu une abstention massive, seulement on l'a caché. Il ne faut pas qu'on nous éloigne des vrais problèmes des Algériens. Il y a une volonté délibérée pour empêcher les Algériens de regarder les vrais problèmes du pays. Le rôle du pouvoir politique, là je ne vise pas des personnes, mais un système, est de s'occuper des problèmes des gens. Il faut qu'on se pose des questions, si la situation sociale, politique et économique actuelle est bonne ou pas. Si elle ne l'est pas, le pouvoir est responsable. Je suppose que le pouvoir est tenu par des gens qui cherchent le bien de ce pays, mais ils le font très mal, parce qu'ils partent de postulat complètement faux. On ne peut résoudre un problème sur la base d'un faux diagnostic.