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La présidentielle iranienne sous contrôle
Mis à jour le 13/06/2013 à 19:40 - Publié le 13/06/2013 à 19:36
Manifestation jeudi à Téhéran en faveur de Saïd Jalili, le négociateur nucléaire, donné comme favori du premier tour.
À Varamine, les réseaux du guide s'activent pour orienter les suffrages d'une population appauvrie.Assis sur le trottoir, Mortaza attend les clients devant son échoppe de matériels électriques: «Je vais voter Jalili, c'est un révolutionnaire, et c'est le candidat d'Ali Khamenei, notre guide de la République islamique», dit ce quinquagénaire aux cheveux blancs.
À Varamine, ville de 50.000 habitants située à 80 km au sud-est de Téhéran, à la porte du désert, il suffit de regarder les affiches pour s'apercevoir que l'issue du premier tour de la présidentielle ne fait aucun doute. Pas un fanion du candidat réformateur Hassan Rohani. Quelques-uns de Mohammad Ghalibaf, le maire de Téhéran, plutôt modéré. Et une forêt de drapeaux jaunes et de panneaux à la gloire de Saïd Jalili, le négociateur nucléaire, un ancien gardien de la révolution, donné comme favori de ce premier tour.
Ce conservateur bon teint, qui a déclaré lors d'un débat télévisé que la place de la femme était «au foyer à élever les enfants», bénéficie à plein du réseau de pouvoirs du guide suprême du régime à travers le pays. Un puissant réseau d'influences qui va des imams dans les mosquées aux gardiens de la révolution et aux bassidjis, ces miliciens en charge de protéger un pouvoir islamique toujours contesté. Sans oublier les subventions que le représentant d'Ali Khamenei distribue aux pauvres, dans cet Iran des campagnes qui constitue le réservoir électoral des conservateurs. Or les plus démunis pèsent à hauteur d'environ un tiers des 50 millions d'électeurs.
À la veille du scrutin, on se pressait aux guichets des banques de Varamine. «Je viens retirer l'aide que l'État m'a versée», affirmait Reza, un retraité. Chaque mois, l'équivalent de dix euros par personne, c'est-à-dire pour Reza, son épouse et ses cinq enfants, 70 euros, soit la moitié de sa retraite. «Avec l'inflation qui est galopante, cette aide nous permet de mieux manger», se réjouit cet ancien mécanicien, qui votera également Jalili.
C'est le président sortant, Mahmoud Ahmadinejad, qui avait instauré ces allocations au profit des plus déshérités. Ce clientélisme devrait profiter à Saïd Jalili, qui a le même électorat que lui. D'autant qu'après avoir été à couteaux tirés avec Ahmadinejad, le guide Khamenei serait parvenu à neutraliser son bouillant président - dont le candidat Rahim Machaie a été écarté de l'élection - en lui proposant un marché que décrit un expert de la scène politique locale. «Le directeur de cabinet du guide suprême a rencontré Ahmadinejad pour proposer de lui épargner des poursuites judiciaires s'il restait calme pendant la campagne. Ce qui est le cas pour l'instant, puisqu'on n'a pas entendu Nejad. Et si dans un deuxième temps, Ahmadinejad soutient Jalili en province, le régime le réintégrera dans le jeu politique, après l'élection du candidat du système.»^
Un pouce dans l'encreLoin du grand bazar politique, Hussein attend son cours de religion, assis au fond d'une pièce sombre. Ce jeune bassidj de 18 ans à la barbichette noire l'avoue: «Je suis là pour orienter le vote des gens.» Sous entendu, en faveur de Jalili. À Varamine, les miliciens seraient 700. «Je vois les gens personnellement, dit-il, ou avec d'autres bassidjis, on réunit des habitants à la mosquée Saeb Zaman», du nom de l'imam caché dans la tradition chiite. Dans cet édifice en mosaïque turquoise opère le personnage central du maillage politico-social: le représentant personnel du guide suprême à Varamine, Morteza Mahmoudi, un seyyed (descendant du prophète) reconnaissable à son turban noir sur la tête.
Dans chaque grande ville d'Iran, Ali Khamenei dispose d'un relais aux larges pouvoirs: directeur de conscience et père nourricier du petit peuple. «Seyyed Mahmoudi peut donner des ordres à la police, raconte un proche du dignitaire religieux. Il a également autorité sur les pasdarans (les gardiens de la révolution), sur la centaine de mosquées de Varamine et leurs imams. Il dispose d'une clinique pour soigner les malades, et puis il distribue lui aussi une aide financière.»
Souvent liées aux bassidjis, quelque 320 familles reçoivent du seyyed l'équivalent de 25 euros par personne, soit deux fois plus que les subsides de l'État. Durant son prêche de vendredi, l'imam Mahmoudi ne manquera pas d'indiquer quel est le candidat le plus «compatible» avec la République islamique. Comme tous les Iraniens, les électeurs de Varamine mettront un pouce dans l'encre et leur empreinte digitale figurera sur une feuille volante jointe à leur carte d'identité. «Si tu n'as pas voté, tu auras moins de chances d'avoir accès à l'université», regrette Matineh, une étudiante. Tel autre jeune aura plus de mal à trouver un travail dans une administration locale. Dans «l'Iran d'en bas», la chasse aux voix est une affaire d'État.