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Le « parquet financier » sous le feu des critiques
Mis à jour le 07/05/2013 à 10:33 - Publié le 06/05/2013 à 19:40
Le pôle financier de Paris existe déjà, 5 rue des Italiens.
Le Conseil des ministres étudie mardi un texte créant un procureur financier de compétence nationale. Les magistrats sont sceptiques.
Il n'y a pas que les médicaments qui ont des effets secondaires. Les affaires aussi. Ce mardi, le Conseil des ministres étudie un projet de loi créant un «parquet financier national» voulu par François Hollande pour «moraliser la vie publique» à la suite du scandale suscité par la découverte du compte bancaire étranger de Jérôme Cahuzac.
Une semaine après les aveux de l'ancien ministre du Budget, le chef de l'État avait prévenu: «J'ai décidé la création d'un parquet financier, c'est-à-dire d'un procureur spécialisé, avec une compétence nationale, qui pourra agir sur les affaires de corruption et de grandes fraudes fiscales.»
Ce dernier, qui alliera «concentration des moyens et efficacité des procédures», sera indépendant du parquet de Paris mais sera placé sous l'autorité du procureur général de Paris. Les deux procureurs seront donc concurrents pour les affaires de corruption, le trafic d'influence, le détournement de fonds publics, le blanchiment ou encore la prise illégale d'intérêts… Ce projet est très loin de faire l'unanimité. On peut même dire qu'il fait l'unanimité contre lui. «Le but pour le pouvoir politique est de reprendre la main sur les affaires financières avec quelqu'un de confiance», estime un juge.
Christophe Régnard, le président de l'Union syndicale des magistrats (USM), l'organisation majoritaire, résume ainsi le point de vue de nombre de ses collègues: «Un parquet financier? Je ne comprends pas ce que c'est! Pour l'instant, c'est une espèce d'ovni. Le procureur aura la main haute sur tout. Ce qui revient à dire que l'on concentre dans les mains d'un seul homme les faits de fraude et de corruption au niveau national. C'est dangereux. Quelle sera son autonomie au niveau politique?», s'inquiète-t-il. Le projet de loi prévoit en effet que ce nouveau superprocureur sera nommé par décret présidentiel, sur proposition du garde des Sceaux, après avis du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Actuellement, pour les membres du parquet, l'avis des sages du CSM reste consultatif.
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Le « verrou de Bercy » ne sera pas supprimé. Pour que le procureur se saisisse d'une affaire de fraude, il faut en effet que le ministère de l'Économie et des Finances ait déposé une plainte au préalable
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Dommage collatéral de la création de ce parquet financier, l'actuel procureur de la République de Paris, François Molins. La nomination de cet ancien directeur de cabinet de Michèle Alliot-Marie puis de Michel Mercier à la tête du plus important parquet de France avait été vivement critiquée par le candidat Hollande, notamment lors du débat télévisé de l'entre-deux-tours. Le procureur de Paris est en quelque sorte à l'origine du scandale puisqu'il a ouvert une enquête sur le cas Cahuzac, qui a débouché sur la mise en examen de l'ancien ministre.
«François Molins a ainsi montré qu'il fait ce qu'il veut, il est incontrôlable pour le pouvoir en place», analyse un juge. «Créer un parquet financier est une façon de contourner le procureur de Paris en place, c'est certain, observe Christophe Régnard. Je ne sais pas si c'est l'objectif mais, en tout cas, ce sera une conséquence. De facto, François Molins se verra retirer toute la partie corruption et fraude fiscale qu'il gère actuellement. Même chose pour le parquet de Nanterre.»
Le texte subit une autre critique: le «verrou de Bercy», selon l'expression du monde judiciaire, ne sera pas supprimé. Pour que le procureur se saisisse d'une affaire de fraude, il faut en effet que Bercy, le ministère de l'Économie et des Finances, ait déposé une plainte au préalable. De la même manière que le ministère de la Défense doit déposer plainte pour que le procureur se saisisse d'une enquête sur les ventes d'armes. «Or, dans l'affaire Cahuzac, on a bien vu que le ministère pouvait être juge et partie», fait observer un magistrat.
Dernière inquiétude: quels seront les moyens qui seront alloués à ce parquet financier? «On nous dit que 50 personnes y travailleront, explique l'USM. Trouver 50 magistrats est facile à dire mais on a déjà 150 postes vacants! Cela veut donc dire qu'il y aura des trous dans les tribunaux». Les noms de Jean-Paul Jean et d'Yves Charpenel, deux hauts magistrats proches de la gauche, sont évoqués pour cette nouvelle fonction.