Massacres et viols collectifs entre 1997 et 2005 : Peine capitale pour deux terroristes sanguinaires
Publié le 06.05.13 | 10h00
| © Photo : H. Lyes
La peine capitale a été prononcée, hier, par le tribunal criminel près la cour d’Alger, à l’encontre de deux terroristes, auteurs de plusieurs massacres et viols collectifs commis de 1997 à 2005. Ils ont reconnu leur participation à des embuscades contre les forces de sécurité, mais nié avoir tué des civils, espérant bénéficier de la clémence. Le témoignage de quelques victimes a jeté l’émoi dans la salle d’audience.
Le tribunal criminel près la cour d’Alger a vécu, hier, une journée particulière. Au programme, le procès de deux terroristes, Kourri El Djillali et Antri Ali, qui faisaient partie du sinistre Groupe islamique armé (GIA), présumés auteurs de dizaines de massacres et viols collectifs ainsi que de nombreuses embuscades et assassinats dans plusieurs régions du pays, notamment Chlef, Relizane, Tipasa et Blida. Les faits contenus dans la trentaine de pages de l’arrêté de renvoi donnent froid dans le dos et surtout renvoient vers cette décennie de terreur, de mort et de dévastation.
Le regard figé sur la greffière, l’assistance était choquée par les «faits d’armes» des deux accusés, dont les victimes se comptent par dizaines entre élèves d’école coranique, bergers, agriculteurs, nomades mitraillés ou égorgés. La liste est tellement longue qu’elle donne l’impression d’être interminable.
En 1997, Kourri El Djillali, niveau 4e année moyenne, avait à peine 16 ans lorsqu’il rejoint la section du GIA d’Abou Al Hassane, dans la daïra de Chlef, où activait son oncle paternel, sous la direction de l’émir Abou Al Houmam. «Vous avez entendu les faits qui vous sont reprochés. Qu’avez-vous à dire ?» lui demande le juge Omar Belkherchi. «Vous aussi vous voulez me liquider ? Vous ne voulez pas entendre la vérité ? Je vais parler mais si je me mets à la barre et non de ce box», lance l’accusé. Le président rejette sa demande et lui explique que «la barre est faite pour les avocats et non pour les accusés». Kourri insiste. Il veut à tout prix se rapprocher du juge, mais ce dernier campe sur sa décision. «De quoi avez-vous peur ? Vous avez toute la liberté de dire ce que vous voulez de là où vous êtes», déclare Omar Belkherchi. Kourri rétorque : «Je n’ai rien fait.» Le juge exhibe un des procès-verbaux d’audition de l’accusé : «Vous avez reconnu avoir pris part à des massacres collectifs à Oued Roumane, Remka, Oued Rhiou,
El Marsa, Blida, etc.» Kourri imperturbable répond : «Je n’ai rien fait. J’avais rejoint le GIA en 1997, mais en 1999, je l’ai quitté avec une quarantaine d’éléments à cause des massacres. Lorsque le juge me parlait de ces faits, c’était pour l’aider à en connaître les auteurs. Je n’y ai pas participé.» Le magistrat insiste : «Vous avez reconnu avoir pris part à des embuscades contre les forces de sécurité...» L’accusé : «J’ai participé à une embuscade contre 5 militaires à Oued Roumane, à Chlef…» Le président : «Avec un pistolet automatique ?» L’accusé : «Non, le pistolet Beretta avec lequel j’ai été arrêté est une arme de ville. Lors de l’embuscade, j’avais une kalachnikov.» Le juge : «Vous avez également tué des gardes communaux ?» L’accusé : «J’ai pris part à l’embuscade et deux gardes communaux ont été tués. Ce sont les seuls faits que j’ai reconnus !»
Le président : «Vous avez reconnu avoir participé à un massacre collectif de 50 citoyens à Tadjina, au cours duquel 9 femmes ont été enlevées et violées par le groupe. Vous avez avoué avoir violé la nommée Fatma-Zohra, âgée de 20 ans et la jeune Malika, âgée de 16 ans, avant qu’elles ne soient égorgées…» Ces propos déstabilisent Kourri : «Je ne peux pas répondre à des questions qui ne me concernent pas. Ce sont des faits que le juge a ajoutés à mon PV. Je n’ai reconnu que les embuscades contre les militaires.» Le magistrat reprend la lecture de certains procès-verbaux d’audition : «Vous avez avoué l’assassinat de 15 citoyens…», mais il est vite interrompu par l’accusé. «J’ai déjà été jugé et condamné pour ces faits !» Le juge : «Parlez-nous des 8 bergers et des 7 élèves de l’école coranique, des 40 citoyens égorgés, des 13 membres d’une famille massacrés et même de ce couple de septuagénaires tués, et l’un d’eux, le mari, achevé à coups de pierre après avoir été jeté dans un puits…» L’accusé : «Je n’ai rien fait. Ce sont plusieurs affaires que le juge a confondues pour m’impliquer !» Il transpire beaucoup.
Le juge appelle Antri Ali, âgé de 34 ans, niveau scolaire 9e année fondamentale et originaire de Msedak, wilaya de Chlef. Très nerveux, les yeux perçants, le regard froid, d’emblée il nie tous les faits qui lui sont reprochés. «Je ne suis pas un terroriste. J’ai rejoint le maquis à 16 ans à cause de la répression du pouvoir. J’ai pris les armes pour combattre le pouvoir qui m’a enchaîné à un tracteur pour me traîner sur plusieurs mètres», lance-t-il brutalement, avant d’être stoppé par le magistrat. «Vous avez avoué avoir pris part à des assassinats de citoyens à Oued Roumane, à une fusillade à la sortie d’une mosquée, à des viols collectifs et au massacre de 50 personnes à Tadjna», rappelle le juge. L’accusé : «Je n’ai rien fait. Je suis une victime. J’ai participé à des opérations contre le pouvoir. Je n’ai pas tué de civils !» Le juge : «Alors combien d’embuscades avez-vous menées ?» L’accusé : «Je ne sais pas… plusieurs !» Le magistrat : «Soyez plus précis. Combien d’embuscades avez-vous menées ?» L’accusé : «Plus d’une dizaine.»
Le juge : «C’est tout ? Combien de morts y a-t-il eu ?» Antri répond : «Je ne me rappelle pas…» Le président revient à la charge : «Vous avez déclaré au juge avoir participé au massacre de 20 citoyens qui sortaient d’une mosquée, à l’assassinat de 6 élèves d’une école coranique et…»
Il est interrompu par la voix forte de l’accusé : «Je ne reconnais pas ces faits !» Il reprend sa place et le procureur général se lève pour faire son réquisitoire. Pour lui, «les aveux des deux accusés sont largement suffisants pour lever toute équivoque sur la véracité des faits qu’ils ont commis». Il rappelle «les nombreux faits d’armes» de Antri Ali, citant l’assassinat de 10 bergers, l’enlèvement d’une adolescente de 14 ans violée et égorgée, le massacre de 25 citoyens, puis de 50 autres, sans oublier les «dizaines de membres de forces de sécurité» ainsi que ceux de Kourri El Djillali «aussi nombreux que ceux de son acolyte».
«La gorge de ma fille a été tranchée de l’oreille droite à l’oreille gauche»Le représentant du ministère public souligne que les deux accusés avaient été «arrêtés en possession d’armes automatiques, ce qui dénotait leur volonté délibérée de poursuivre leur stratégie de tueries et de massacres collectifs». Pour toutes ces raisons, le procureur général requiert la peine capitale à l’encontre des deux accusés.
Leur avocat désigné d’office, maître Brahimi Bahlouli, commence par faire une mise au point des plus étranges : «J’ai toujours refusé de prendre ce genre de dossiers qui nous renvoient vers la décennie noire, malheureusement, ils me rattrapent à chaque fois, et à chaque fois, je suis dans l’obligation de les défendre en me limitant aux révélations faites à l’audience (…). J’aurais aimé que les victimes soient aujourd’hui présentes…» L’avocat est interrompu par une femme, la mère de l’étudiante Amel Zanoun, égorgée en 1997 à Sidi Moussa dans un faux barrage, par un groupe du GIA. «La gorge de ma fille a été tranchée de l’oreille droite à l’oreille gauche parce qu’elle était étudiante en droit. Lui, le berger qui avait 16 ans, a tué ma fille étudiante qui avait à peine 22 ans et n’avait rien à voir avec le pouvoir. Ces gens sont des violeurs et des criminels. Je ne leur pardonnerai jamais. Son père est mort de douleur quelques années plus tard et moi je souffre toujours de l’avoir perdue. Qu’a-t-elle fait ? Faisait-elle partie du pouvoir pour mériter ce sort ?», lance-t-elle à l’adresse du tribunal, dans un silence glacial plongeant toute l’assistance dans l’émotion, au point où certains ont laissé couler des larmes. Visiblement touché, le président la rassure et redonne la parole à l’avocat en l’invitant à «éviter de susciter les réactions des familles des victimes et de leur association», dont certaines représentantes sont dans la salle d’audience.
Me Bahlouli se ressaisit : «Dans ce dossier, je me limite uniquement à ce que j’ai entendu à l’audience. Nous avons tous vécu l’enfer et les horreurs de ces années de cendres qu’il n’est pas question de remuer. Il y a des faits qui ne peuvent être imputés à Kourri parce qu’ils ont fait l’objet d’une condamnation à Chlef. Il vous a dit qu’il avait à peine 16 ans lorsque les criminels l’ont enrôlé. Ils ont profité de son ignorance et de sa jeunesse. Il est plus victime qu’auteur.»
L’avocat précise que cette affaire devrait être scindée en trois dossiers : deux des accusés au box, le troisième de Zlita Missoum, un terroriste condamné à la perpétuité, présenté par Me Bahlouli comme étant le bras droit de Antar Zouabri. «Si le président de la République a donné une chance aux égarés, pourquoi le tribunal n’accorderait-il pas la clémence à Kourri ?», lance l’avocat en plaidant la clémence pour les deux accusés. Kourri reprend la parole et s’adresse à la mère de Amel : «Que Dieu apaise votre douleur, mais est-ce nous qui avons tué votre fille ?» «C’est le GIA qui a tué ma fille, et le GIA c’était vous tous. Vous êtes des tueurs et des violeurs», dit-elle, avant que le juge ne lui demande de se calmer.
Après délibération, le tribunal condamne les deux accusés à la peine de mort, sous les acclamations des familles des victimes criant «Vive la justice», «Debahine ketaline ou ikoulou moudjahidine» (tueurs égorgeurs et ils se disent moudjahidine). Des moments poignants, qui n’ont laissé personne insensible.
Salima Tlemçani
© El Watan