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Cet argent liquide qui irrigue la police
Mis à jour le 03/05/2013 à 19:16 - Publié le 03/05/2013 à 18:51
Claude Guéant lors d'un déplacement à Lille, alors qu'il était ministre de l'Intérieur, le 30 janvier 2012.
Enquête sur « la cassette du DGPN » alors que Manuel Valls a demandé un audit à la suite des explications de Claude Guéant.
Claude Guéant a-t-il ouvert la boîte de Pandore en évoquant ses primes en liquide, après la perquisition de son domicile en février dernier? Il pensait pourvoir justifier de certains achats, pour un montant de 20.000 à 25.000 euros, effectués entre 2002 et 2006. Pour acquérir des biens ménagers, réglés sur factures. Et voici que ses explications justifient une enquête administrative réclamée par le ministre de l'Intérieur actuel, Manuel Valls, à la demande, dit-on, de Jean-Marc Ayrault à Matignon.
Les primes qu'aurait touchées l'ancien bras droit de Nicolas Sarkozy étaient, à en croire Claude Guéant, des primes issues de la ligne budgétaire des «frais d'enquête et de surveillance» attribués à la Place Beauvau de façon tout à fait légale, puisque cette ligne est votée par le Parlement dans le budget annuel du ministère de l'Intérieur. Reste à savoir en quoi de telles primes peuvent concerner les membres des cabinets ministériels, dès lors que, depuis 2002, les primes de cabinet ont été supprimées pour être intégrées dans la fiche de paie.
Il semblerait qu'à Beauvau, la réforme du système de primes ait été plus complexe à mettre en œuvre que dans d'autres ministères, car il existait une certaine confusion entre les anciennes primes de cabinet, supprimées donc officiellement sous Jospin, mais aussi les «frais d'enquête et de surveillance», largement distribués à tous les échelons. Cette phase transitoire de 2002 à 2006, où a régné un certain flou, s'est soldée par la création des «primes au mérite».
L'argent des «frais d'enquête et de surveillance», dits frais de «l'article 92», arrivait chez le directeur général de la police nationale (DGPN). Et c'est encore le cas aujourd'hui! Car ces frais sont toujours inscrits au budget du ministère. Avant d'être distribués, ils atterrissent dans ce qu'il est convenu d'appeler la «cassette du DGPN», abondée mensuellement de plusieurs dizaines de milliers d'euros.
Le DGPN en conserve une part pour ses propres collaborateurs et peut-être même pour lui-même - «C'est selon les tempéraments», confie un homme du sérail. Il distribue l'essentiel des sommes aux directeurs centraux qu'il coiffe, de la DCRI à la PJ, en passant par la PAF et la DCSP. À charge pour ces grands subordonnés de redistribuer la manne. Tous les grands policiers, de droite comme de gauche, ont perçu ce type de frais. Leurs collaborateurs également, dans un système totalement opaque et discrétionnaire que Manuel Valls semble néanmoins expliquer.
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«L'usage légitime des frais de police doit être strictement contrôlé. Ils sont destinés à combattre efficacement certaines formes de délinquance»
Manuel Valls
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«L'usage légitime des frais de police, officiellement dénommés frais d'enquête et de surveillance, doit être strictement contrôlé», estime-t-il. Mais selon lui «ces frais sont destinés à combattre efficacement certaines formes de délinquance ou de criminalité», à «rechercher du renseignement, rémunérer des informateurs» et à «financer certaines investigations, qui ne peuvent pas toujours s'effectuer dans le cadre des procédures comptables habituelles, sous peine que les policiers enquêteurs soient immédiatement repérés».
Un policier ajoute: «Les frais, c'est ce qui permet de dédommager les fonctionnaires pour leurs heures de planque, cassés en deux dans des camionnettes crasseuses, la petite secrétaire du patron qui ruine aussi sa vie de famille à taper des rapports jusqu'à pas d'heure. Cet argent huile la mécanique.»
Le système aurait-il alors été dévoyé? L'hôte de Beauvau cherche à comprendre. Et il le dit: «La préservation de la légitimité de ces moyens d'action exclut toute dérive quant à la destination de ces fonds et à la rigueur de leur gestion.» Il affirme même: «Au sein de mon cabinet, l'ensemble des rémunérations et indemnités sont conformes au régime légal en vigueur et font l'objet d'une déclaration fiscale.»
«Le temps d'une totale transparenceMais au sein de la Direction générale de la police nationale, aujourd'hui encore, à quoi servent exactement les fameux frais de la «cassette du DGPN»? L'enquête administrative réclamée par Manuel Valls a été confiée à l'Inspection générale de l'administration et à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN). Les résultats définitifs sont attendus d'ici à «un mois». Et un premier rapport d'étape devrait intervenir sous huit jours.
Au moins ces policiers-là savent sur quoi ils enquêtent. Les cadres de l'IGPN touchent depuis toujours des «frais d'enquête et de surveillance». Tout comme les policiers de la brigade financière qui ont découvert les factures de Claude Guéant qui font polémique.
Pour Henri Martini, secrétaire général d'Unité-SGP (majoritaire chez les gradés et gardiens), il est «temps de faire une totale transparence» sur ces fonds, a-t-il écrit à Manuel Valls. Le syndicat Unsa-Police, de son côté, explique «être surpris par le versement de primes et/ou d'indemnités qui ne seraient pas clairement référencées et auraient donc pu être versées sans aucun contrôle et de manière occulte». Et pourtant, dans la «Grande maison» depuis des années, tout le monde savait. Beaucoup touchaient. Et tout le monde se taisait. Il est temps de changer d'époque.
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Vendre un tableau: une procédure très encadréeClaude Guéant, qui dit avoir vendu en 2008 deux tableaux à un avocat malaisien pour 500.000 euros, n'a pas demandé de certificat d'exportation, a indiqué jeudi le ministère de la Culture. Pourtant la loi, érigée afin de protéger le patrimoine français et de lutter contre les trafics, est formelle: en cas de vente d'un bien culturel de valeur à l'étranger, il faut obtenir une autorisation de sortie de territoire. Si le tableau, la statue, l'incunable, la mosaïque, etc., est cédé en dehors de l'Europe, il faut même obtenir une licence d'exportation définitive. Pour les tableaux anciens, la valeur minimale déclenchant une procédure de certificat est de 150.000 euros.
Sauf à considérer que les deux toiles d'Andries Van Eertvelt vendues par Claude Guéant avaient une estimation de départ inférieure à 150.000 euros - et sauf à imaginer que les tableaux n'aient jamais quitté la France -, une demande auprès du ministère de la Culture aurait donc dû être faite par l'ancien ministre de l'Intérieur. Ce dernier aurait probablement obtenu une autorisation de sortie de territoire: seules les œuvres de très grande valeur, présentant un intérêt patrimonial majeur ou un éventuel intérêt pour un musée public, sont scrutées à la loupe par l'administration.
En tout état de cause, un particulier ou un professionnel (antiquaire ou galeriste) qui ne se soumet pas au jeu du certificat se rend coupable d'exportation illégale de biens culturels. Selon le Code du patrimoine, ce délit est passif de deux années d'emprisonnement et d'une amende de 450 .000 euros.