BOUGUERRA SOLTANI, PRÉSIDENT DU MSP, À L'EXPRESSION :«Une rencontre de tous les islamistes est prévue»
Dimanche 15 Janvier 2012
Par Tahar FATTANIAprès avoir quitté l'Alliance, le MSP part à la conquête de nouveaux horizons.
Un front anti-fraude, l'inscription des membres de l'ex-FIS sur les listes des candidatures et l'Alliance présidentielle sont les thèmes abordés dans cet entretien.
L'Expression : Permettez-nous de commencer par la décision prise par votre parti de se retirer de l'Alliance présidentielle. Vous avez justifié votre retrait par de nombreux arguments. Fallait-il attendre neuf ans pour que le MSP se réveille?Bouguerra Soltani: L'Alliance présidentielle est née trois mois avant l'élection présidentielle de 2004. A cette époque personne n'a jugé que cette coalition est venue en retard. Aujourd'hui, elle disparaît à cinq mois des élections législatives de 2012. Personne ne peut arrêter un timing pour le début ni la fin de l'Alliance. En ce qui nous concerne, nous avons fait une évaluation de l'Alliance à l'occasion de son 5e anniversaire. Lors des élections législatives de 2007, nous avons fait une deuxième évaluation. Notre proposition, à savoir élargir cette alliance à un partenariat politique, n'a pas été bien entendue par nos anciens partenaires. Au MSP, nous avons fait un bilan sur ce qui a été réalisé réellement sur le terrain par rapport aux engagements signés un certain 16 février 2004 avec le FLN et le RND. Le résultat est qu'une grande différence sépare les réalisations des engagements. Je citerai quelques exemples. L'engagement signé parle de la coordination, sur tous les plans, entre les partis de l'Alliance. Malheureusement, cette question n'est appliquée qu'au niveau du gouvernement et du Parlement. Pis encore, il n'y a pas eu de concertation sur les réformes politiques. Au MSP, nous avons eu cette impression que la coordination s'est limitée et s'est faite entre le FLN et le RND. Ils sont les seuls à avoir adopté les projets de réformes. A cela s'ajoute un point important. Nous avons mené des concertations avec la base militante au niveau des communes et des wilayas. Nous avons constaté qu'il n'y avait aucune trace d'alliance au niveau local. Lors du renouvellement partiel des membres du Conseil de la Nation, il y a eu une alliance entre le RND et le PT et non pas entre les partis de la coalition présidentielle. Plus grave, il n'y a même pas eu une concertation sur la question. Cette alliance est accusée de fermer le jeu politique. Notre retrait de cette coalition va rouvrir le jeu politique. Nos ex-partenaires voulaient à tout prix résumer notre alliance à une seule question, à savoir l'application du Programme du président de la République. La page du soutien au Programme du Président est tournée depuis 2011, car les grands chantiers ont été réalisés, à savoir la concorde civile, la réconciliation nationale et les réformes que j'appelle nationales et non pas politiques. Le grand chantier du Président est de réussir les réformes. Y a-t-il eu concertation ou coordination sur ces réformes? Jamais. Nous n'avons pas été piégés. Nous voulons mettre fin à la surenchère des partis au nom du Programme du Président.
Avez-vous revendiqué le poste de Premier ministre?Nous avons milité pour incarner une culture d'alternance. Une Alliance signifie l'alternance. Il y a eu de l'alternance à la tête de cette coalition, il devait en être de même à la tête du gouvernement. Nous avons demandé aux hauts décideurs si des lignes rouges sont imposées au MSP, ils nous ont répondu non.
«Le divorce» avec vos anciens partenaires a suscité des réactions diverses. Ahmed Ouyahia vous accuse, indirectement, d'avoir attendu «les 5 dernières minutes pour vous inscrire dans l'opposition». Ould Kablia qualifie, quant à lui, votre décision de «tactique politique». Comment réagissez-vous à ces commentaires?Notre séparation avec le FLN et le RND ne porte aucune rancune envers nos anciens partenaires. Pour le secrétaire général du RND, je lui dirai que le match dure 90 minutes et il pourrait y avoir des prolongations, ce n'est pas, donc, une affaire de 5 minutes. La politique est une concurrence entre ceux qui présentent des programmes et des hommes. Nous souhaitons que le prochain match politique fasse plaisir aux spectateurs qui finiront par accepter les résultats de cette rencontre, sans qu'il y ait des buts inscrits en position d'hors-jeu ni avec la partialité de l'arbitre. Donc, les buts décisifs sont ceux inscrits aux dernières minutes. Concernant le ministre de l'Intérieur, je lui dirai que la politique est une tactique M. le ministre. C'est une tactique dans laquelle chaque partie assumera ses responsabilités. En 2012, nous rentrons dans le jeu individuel et non plus collectif.
Quelles sont les ambitions du MSP en prévision des prochaines élections législatives?Notre objectif principal est qu'un parti islamiste se place à la tête du Parlement. C'est notre priorité. Pour notre parti, nous ne parions pas sur le nombre, mais sur la place à occuper. Nous tablons être parmi les premiers. Ce qui nous intéresse est le classement et non pas le nombre de sièges.
La scène politique nationale pourra bien connaître une alliance entre partis islamistes. Si un tel projet venait à voir jour, allez-vous accepter des repentis dans vos listes électorales?Effectivement, il y a des initiatives pour unir les rangs des islamistes et rentrer avec des listes communes en prévision des prochaines élections législatives. Des contacts ont été établis avec tous les partis agréés. D'autres contacts seront établis avec les autres islamistes qui seront agréés prochainement. Je dirai que des contacts sont en cours même avec les anciens de l'ex-FIS. Je ne parle pas des repentis, mais de tous ceux qui ont assaini leurs situations avec la justice. Pour ces gens, la loi ne leur interdit pas de militer dans un parti politique. A présent, le débat est ouvert. Rien n'est décidé. Si le projet est accepté par toutes les parties, les anciens de l'ex-FIS peuvent être dans les listes communes que présentera la mouvance islamiste. Une rencontre importante est prévue pour trouver les moyens à même d'unifier les listes électorales des islamistes. Cette rencontre aura lieu avant la convocation du corps électoral par le président de la République. Les concertations préliminaires auront lieu avant la fin du mois en cours. Il reste à régler quelques questions techniques et annoncer la tenue de cette rencontre politique.
La victoire des islamistes au prochain scrutin est qualifiée «de miracle». Le ministre de l'Intérieur estime que «l'Algérie fera l'exception» et écarte la possibilité de voir les formations de cette mouvance arriver en tête de ce scrutin. Vous ne partagez certainement pas cet avis?Le positionnement objectif de la mouvance islamiste est d'occuper la première place au Parlement. L'Algérie ne fera pas l'exception. Je dirai au ministre de l'Intérieur que ceux qui ont déclenché la guerre d'Algérie, M.Ould Kablia étant parmi eux, connaissaient bien comment «la contagion de la révolution» s'est propagée en Afrique, au Maghreb et même en Amérique latine. Ces pays et leurs populations ont été libérés grâce à la Révolution algérienne. Aujourd'hui, la révolution de la démocratie va contaminer d'autres nations. Il s'agit d'une contagion qui n'a pas de vaccin. Même si on refuse d'admettre cette vérité, l'avenir l'imposera. Seule la fraude empêchera la victoire des islamistes aux législatives. Le miracle dont parlent certaines personnes est de tenir des élections libres et ne pas voir les islamistes triompher.
Une fois les islamistes «majoritaires» au Parlement, allez-vous demander l'application de la charia?La charia est victime de l'injustice en Algérie. L'implication de la charia dans la bataille politique lui portera de l'injustice. Aujourd'hui, on parle de la démocratie et des libertés. Ce sont des questions prioritaires. Ceux qui ont la phobie de la charia, nous leur disons que cette question ne figure pas dans notre agenda pour l'instant. Le peuple algérien est musulman. C'est à ce peuple musulman de décider de quelle façon il sera gouverné. Notre priorité est de réviser la Constitution et de basculer du régime présidentiel à celui parlementaire. L'application de la charia est un sujet qui ne fait pas débat.
L'étiquette d'un MSP au pouvoir vous est déjà collée. Vous cherchez à vous donner une autre couleur d'un parti opposant pour convaincre les citoyens à voter en votre faveur...Nous ne cherchons aucune place, mais nous retrouvons notre espace naturel, démocratique, nationaliste, islamiste made in HMS.
Le FLN avait appelé Abdelaziz Bouteflika à se présenter pour un quatrième mandat en 2014 au nom de ce parti. Est-ce le cas du MSP?Nous sommes pour la limitation des mandats dans la nouvelle Constitution. Le président de la République doit être rééligible une seule fois. Nous militons pour le régime parlementaire et la limitation des mandats. Cette position nous l'avons exprimée même à la présidence de la République. C'est la Constitution qui garantit une telle démarche. Si la nouvelle Loi fondamentale ne prendra pas en compte ces deux paramètres, ce sera un non-événement pour nous au MSP.
Vous avez estimé légitime d'avoir l'ambition d'être président de la République. Or, votre mandat à la tête du MSP prendra fin en 2013. Allez-vous vous présenter pour un 3e mandat?J'ai déclaré que je ne ferai pas plus de deux mandats. Notre ambition, en tant que parti, est de viser les élections prochaines en 2014. Quant à moi, je suis pour la limitation des mandats au sein de mon parti et même à la tête de la présidence de la République.
Les garanties avancées en vue de tenir des élections transparentes ont-elles convaincu le MSP?Pas tout à fait. Nous demandons trois choses. Que le Président légifère par ordonnance pour clarifier les prérogatives de la Justice dans l'organisation et la surveillance des élections, nous souhaitons travailler avec toutes les forces politiques agréées pour constituer un front national anti-fraude et il faut dévoiler le secret de la boîte noire de la fraude qui est le bureau de vote.
Avez-vous entamé des contacts pour constituer ce front national anti-fraude?Oui. Nous avons établi des contacts. Nous avons appelé à la nécessité de se concerter avec tous les partis pour protéger le choix du peuple et surveiller l'élection depuis le début de la révision des listes électorales au vote. Nous voulons passer du discours politique à des dispositions concrètes. Nous allons établir des contacts avec tous les autres partis pour trouver les mécanismes nécessaires susceptibles d'assurer une élection libre et transparente. Nous avons contacté tous ceux qui partagent cette question. Nous allons contacter officiellement des partis comme le FFS ou le PT et autres pour constituer ce front. Nous espérons faire de cette question un discours commun et unificateur.
N'y a-t-il pas un risque de revivre le scénario de 2007 avec un faible taux de participation?Jusqu'au jour d'aujourd'hui, l'opinion publique n'a pas manifesté son intérêt pour les réformes. Le ministre de l'Intérieur a bien exprimé sa crainte quant aux taux d'abstention. Nous, partis politiques, partageons la même phobie. Nous avons besoin d'un choc national pour sensibiliser les électeurs qui sont toujours indifférents. Seul le chef de l'Etat pourra déclencher ce déclic. Sinon, nous allons revivre le même scénario de 2007.
Vous avez critiqué Ahmed Ouyahia sur sa position vis-à-vis de la Turquie. Votre défense du Premier ministre turc, Erdogan, ne cache-t-elle pas certaines intentions politiques dans l'avenir?Nous n'avons pas défendu Erdogan. Nous avons défendu une cause juste. Nous soutenons cette cause par conviction. Nous militons pour que la France officielle reconnaisse ses crimes historiques en Algérie. Nous l'appelons à s'excuser et indemniser les Algériens à titre symbolique. Ce qu'a dit Erdogan s'inscrit dans cette optique et nous le remercions. Pour des lectures politiques, nous sommes conscients que les Turcs ne viendront pas voter en Algérie. Idem pour les Tunisiens, les Egyptiens et Marocains. Les électeurs sont des Algériens. Nous défendons une cause légitime qui s'inscrit dans le cadre de la mémoire historique du peuple algérien.
Vous parlez des réformes, du régime parlementaire et de la nouvelle Constitution. Serez-vous favorables à l'officialisation de tamazigh dans la nouvelle Constitution?La question n'a pas été débattue par nos institutions. Le MSP considère que la constitutionnalisation de tamazight est un acquis national. Nous soutenons toutes les démarches visant à renforcer les liens entre toutes les composantes de la société algérienne. Après les élections, cette question fera l'objet d'un débat, dans notre parti, en prévision de la nouvelle Constitution.