WEB - GOOGLE - ECONOMIE > Conjoncture Pourquoi ils quittent la France
Mis à jour le 19/04/2013 à 19:23 - Publié le 19/04/2013 à 15:43
Pour les cadres comme pour les jeunes diplômés, l'exil apparaît comme une solution de plus en plus intéressante.
DOSSIER - N'en déplaise à nos dirigeants, l'exil des Français s'accélère. Matraquage fiscal, climat dépressif, mépris de la réussite... les raisons du ras-le-bol sont multiples. Le Figaro Magazine est parti à la rencontre de ces citoyens fâchés avec la France de François Hollande.
Du soleil toute l'année, pas d'impôt sur le revenu, de l'immobilier pas cher: la Floride à de quoi faire rêver. Chaque semaine depuis janvier, la chambre de commerce franco-américaine de Miami reçoit de France entre cinq et dix demandes de renseignements de la part de candidats à l'expatriation. Ce qui débouche en moyenne sur deux rendez-vous par semaine sur place, en Floride. Du jamais vu. Pendant les dernières vacances de février, la directrice Laure McKay a vu débarquer des familles entières. «Elles viennent pendant les vacances scolaires pour tâter le terrain», explique-t-elle. La demande a été telle qu'elle a décidé d'organiser sur place lors des prochaines vacances de Pâques, le 7 mai, un «forum d'échanges et de rencontres». Que cherchent ces Français prêts à tout quitter? Faire des affaires. L'un des derniers candidats à l'aventure qu'elle a reçus voulait lancer une société d'import-export, par exemple. «Parfois, s'étonne-t-elle, ils n'ont aucun plan précis. Ils expliquent qu'ils ont «toujours voulu devenir agent immobilier» ou qu'ils «rêvent d'ouvrir un restaurant» même s'ils n'ont aucune expérience.»
N'en déplaise à nos dirigeants, l'exil des Français s'accélère. Matraquage fiscal, climat dépressif, mépris de la réussite, etc., les raisons du ras-le-bol sont multiples. Auxquelles il faut désormais ajouter le scandale Cahuzac, dont on n'a pas fini de mesurer l'impact sur l'état d'esprit des contribuables. «Il ne sert à rien de camper dans le déni, estime Michel Rousseau, de la Fondation Concorde, un think tank libéral. L'exil des patrimoines comme des talents est un problème considérable, qui a de lourdes répercussions sur l'investissement et l'emploi.»
«Résider en France devient lourdement handicapant»Dans un pays qui a toujours été une terre d'accueil plus que d'émigration et n'aime rien tant que de revivre sa Révolution, partir est mal vu. «Casse-toi riche con!» avait hurlé
Libération en une à l'adresse de Bernard Arnault, première fortune française, en découvrant son projet de naturalisation belge en septembre dernier. Puis ce furent Gérard Depardieu et ses pérégrinations belgo-russes. «Minable», avait lâché le Premier ministre Jean-Marc Ayrault à propos de notre «Gégé» national. Alors évidemment, les autres n'ont rien dit. Profil bas. «N'écrivez pas mon nom», suppliaient-ils. Et tandis que depuis l'été dernier, tous les avocats fiscalistes de Paris racontent à qui veut l'entendre ne jamais avoir vu un exil fiscal d'une telle ampleur, Bercy peut se permettre de répondre malicieusement: «Non, vraiment non, il n'y en a pas plus qu'avant. Vous en connaissez, vous, des gens qui partent?»
Mais aujourd'hui, les «cons» se rebiffent, les «minables» se cachent de moins en moins. Et ils parlent. Ils racontent pourquoi ils sont partis ou s'apprêtent à le faire, ce qu'ils pensent de la France... Bernard Charlès, directeur général de Dassault Systèmes, premier groupe informatique français (1), ne s'est pas fait injurier lorsqu'il a calmement expliqué le mois dernier qu'il envisageait un exil fiscal, parce que «résider en France devient lourdement handicapant». En plein strip-tease sur le patrimoine des politiques, un député millionnaire qui siège sur les bancs des radicaux de gauche, l'élu de la Réunion Thierry Robert (2), a lancé ce cri du coeur sur RTL: «Si on continue à ne pas encourager l'investissement et le développement, j'en aurai marre de payer tout le temps et je pourrais quitter la France!»
Et puis, il y a ceux qui sont partis depuis un certain temps et qui expliquent pourquoi ils ne sont pas près de rentrer dans ce pays qu'ils adorent, mais qui «ne s'aime pas lui-même». Un pays «déprimé», disent la plupart. Un pays «qui a pourtant tout pour lui». Selon un sondage réalisé le mois dernier pour le site Mondissimo, dédié aux expatriés, 40 % des Français travaillant à l'étranger ne veulent pas revenir en France. Et pour cause: 82 % d'entre eux disent attendre d'abord un «changement de mentalité», et notamment «un nouveau climat fiscal, social et politique».
Enfin, des chefs d'entreprise n'hésitent pas à dire leurs difficultés à recruter des salariés de haut niveau à l'international «dès que l'on dit qu'on est français». Et si Bernard Arnault a renoncé à la nationalité belge, il a rompu huit mois de silence pour raconter longuement dans les colonnes du
Mondeson désarroi d'entrepreneur dans un pays où «on aime bien les footballeurs, pas les chefs d'entreprise».
Que s'est-il passé pour que les langues se délient? Est-ce l'accumulation de casseroles au sommet de l'Etat? Ou les revirements successifs du gouvernement? «Il y a trop d'instabilité fiscale, ils n'ont plus confiance dans la parole de l'Etat», explique un gestionnaire d'actifs. Et l'homme des hausses d'impôts, le «Superman de Bercy», l'impitoyable ministre du Budget Jérôme Cahuzac, se fait pincer pour avoir planqué de l'argent en Suisse et à Singapour afin de le soustraire à l'impôt... De quoi faire se gondoler plus d'un exilé fiscal!
Ce moment de franche rigolade passé, les sujets de préoccupation ont repris le dessus: l'entêtement sur la taxe de 75 %, l'alourdissement de l'ISF, la perspective d'une loi limitant les salaires des patrons du privé, l'amputation des allocations familiales des classes aisées, l'alourdissement envisagé de la fiscalité sur les gros contrats d'assurance-vie... Et maintenant, le grand déballage sur le patrimoine des élus, qui risque d'attiser la haine à l'égard des classes aisées. «C'est le concours du plus miteux! se désole un banquier qui s'apprête à faire ses valises. Autrefois, c'était bien d'être honnête, aujourd'hui, c'est bien d'être pauvre.»
Pour les gros contribuables, la coupe est pleine. Officiellement, entre 800 et 1000 foyers quittent notre pays chaque année pour payer moins d'impôts. Ce sont les vrais «exilés fiscaux». Toujours selon le ministère des Finances, seuls 128 contribuables ont payé en 2011 l'
exit tax, cet impôt créé sous Nicolas Sarkozy pour décourager les fuites de capitaux (il s'agit de ponctionner les plus-values «latentes» des détenteurs de fortunes qui quittent le territoire). Autant dire personne! Sauf que, de l'avis général des fiscalistes, ces chiffres sont largement sous-estimés et datent de 2011, c'est-à-dire avant que les effets des hausses d'impôts Sarkozy ne se fassent sentir et avant le coup de massue de François Hollande.
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40 % des Français travaillant à l'étranger ne veulent pas revenir en France
selon un sondage réalisé pour le site Mondissimo
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Le désamour touche aussi les jeunes actifsPour la Fondation Concorde, «l'exil patrimonial» connaît en réalité une forte accélération depuis près d'un an. Et de citer notamment l'explosion des ventes de biens immobiliers dans les quartiers parisiens où résident le plus grand nombre d'assujettis à l'ISF. Selon les chiffres fournis par le réseau immobilier haut de gamme Daniel Féau Immobilier, les ventes de biens d'une valeur supérieure à 1,5 million d'euros ont fait depuis un an un bond de 75 % à Neuilly, 69 % dans le VIe arrondissement de Paris, 63 % dans le XVIe, etc.
Car à défaut de données fiscales d'ensemble, on en est réduit à guetter les mouvements individuels. Ici, c'est un installateur d'alarme de l'Ouest parisien qui a perdu six clients depuis l'automne ; là, c'est un fabricant de piscines dont plusieurs chantiers sont à l'arrêt dans des résidences secondaires pour cause de départ à l'étranger des propriétaires, etc. La galerie d'art contemporain parisienne Jérôme de Noirmont, qui ferme ses portes, a vu une centaine de ses habitués quitter la France. Ces anecdotes font le miel des dîners en ville parisiens. L'exode toucherait-il seulement la capitale? Pas forcément. Mais même des villes moyennes de province ont leurs exilés fiscaux. On aurait dénombré trois départs à Bourges...
Mais le désamour va bien au-delà des aspects fiscaux et financiers. Ces cadres ou ces entrepreneurs qui quittent la France ne sont pas ou que peu touchés par le tour de vis fiscal entrepris depuis l'été dernier. New York est le point de chute privilégié des jeunes actifs, comme Bastien, qui vient d'ouvrir une cantine française branchée à Manhattan. «Paris, c'est très bien pour passer des vacances mais pas pour travailler, dit-il. A New York, il se dégage une énergie individuelle incroyable. On regarde les gens marcher et on a envie de marcher avec eux. On veut être dedans, sur le ring, dans la bagarre.»
Les jeunes diplômés n'ont jamais autant ressenti l'appel du large. Selon une enquête récente Ifop pour le cabinet Deloitte, ils sont 27 % à envisager leur avenir professionnel hors de France. C'est deux fois plus qu'il y a un an! Pour ceux qui sortent des grandes écoles, l'expatriation est une démarche quasi naturelle. «Ils ont eu dans leurs écoles de commerce ou d'ingénieurs des expériences à l'étranger, via des stages, des programmes d'échanges. Ils sont nettement plus détendus que nous ne l'étions à leur âge à l'idée de commencer leur vie professionnelle hors de France, raconte un père de famille dont les deux fils vivent et travaillent à l'étranger. Beaucoup de ceux que je connais ont envie de monter leur boîte et se disent: «Je vais passer dix à quinze ans à l'étranger avant de revenir.»» La question qui se pose désormais est de savoir s'ils auront toujours envie de revenir.
(1) Filiale du groupe Dassault, propriétaire du «Figaro». (2) Il a été élu sous l'étiquette MoDem. ____________________________________________________________________________________________________________
«En France, on a du mal à se faire une place»Maureen Nyamey vit et travaille à New York depuis trois mois Elle n'a que 25 ans, mais elle a déjà «fait le tour de la France»! Déjà? Maureen pouffe et se reprend: «J'avais fait le tour de mon marché, de mes clients... Ça marchait bien, mais j'avais besoin d'un challenge.» C'est son employeur, Natexo, une jeune boîte spécialisée dans le marketing sur internet, qui lui a offert cette opportunité en lui demandant d'ouvrir son bureau à New York, où Maureen a débarqué en février. «Je serais partie de toute façon, confie la jeune femme originaire de l'Oise, la France, c'est bouché. Quand on ne connaît personne, quand on n'a pas de réseaux, tout est compliqué. On a du mal à se faire une place et on ne valorise pas la réussite.» A New York, ses journées sont bien remplies («Il faut se battre!»), mais elle en est persuadée: «Quand ça marche, c'est multiplié par dix par rapport à la France, à la fois en termes de satisfaction et d'impact financier.» Maureen n'est pas brouillée avec la France, où elle passera bientôt quelques jours de vacances, mais elle a l'intention de rester quelque temps outre-Atlantique. Comme beaucoup de ses camarades de promotion à l'école de commerce, qui sont partis démarrer leur vie professionnelle à l'étranger. En attendant, elle papote tous les week-ends avec sa mère et ses soeurs sur Skype.
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«Pourquoi vouloir tuer l'entreprenariat?»Alexandre Perrot vit et travaille à New York depuis un an Il a fait des pieds et des mains auprès de son boss l'an dernier pour partir à New York et participer au développement international de la société de conseil en business intelligence pour laquelle il travaille. A 30 ans, Alexandre Perrot trouvait que la France offrait «un système trop sécurisé», qui «ne valorise et ne stimule pas les jeunes actifs». Faire toute sa carrière dans une même entreprise, très peu pour lui! «Ici, on peut se faire virer du jour au lendemain, mais du coup les opportunités pleuvent, raconte le jeune homme. En France on préfère tout limiter, tout sécuriser et en plus payer les gens qui ne travaillent pas...»Quand Alexandre regarde les infos venant de France, il ne regrette pas son choix. Surtout quand il a vu «le projet de loi qui a amené le mouvement des pigeons, dit-il. Qu'est ce qui leur est passé par la tête de vouloir tuer l'entreprenariat?».Au quotidien, c'est «la mentalité française» qui lui manque le moins, notamment l'absence de service, l'agressivité dans les rapports. «On dirait que les gens sont payés pour être désagréables et surtout ne pas vous rendre service, dit-il. Les gens aux Etats-Unis sont tellement plus aimables, souriants et compréhensifs. Il n'y a pas de comparaison.» Un credo qu'on entend souvent dans la bouche des expatriés français...
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«La loi française change tout le temps»Me Gabrielle Odinot partage son temps entre Paris et New York Elle jure ne pas avoir anticipé le résultat de la présidentielle française mais sa décision d'ouvrir un bureau à New York en juillet dernier est tombée à pic. Depuis, cette avocate partage son temps entre son cabinet parisien et les Etats-Unis où, par le biais de sa structure Hub4US, elle aide des chefs d'entreprise à développer leurs activités sur le marché américain, voire à se relocaliser. «Le projet de développement sert parfois à valider un projet d'expatriation du dirigeant et de sa famille», précise Gabrielle Odinot, qui a observé que les candidats au départ «sont de plus en plus jeunes, avec des idées très radicales et pas toujours très réalistes». A charge pour elle de les faire redescendre sur terre. Comme ce couple de stylistes parisiens qui a débarqué il y a quelques semaines après avoir tout vendu - showroom, appartement... - et qui voulait tout recommencer outre-Atlantique, alors même qu'ils n'ont pas de visa de résident. Lequel est loin d'être facile à obtenir, précise l'avocate. Que fuient tous ces entrepreneurs? L'absence de «visibilité» en France, explique-t-elle. «Ils se plaignent que la législation change tout le temps, qu'ils n'ont pas de sécurité législative et fiscale. Ce qui est très anxiogène pour un chef d'entreprise.» A cela s'ajoute une forme de «déprime». «Ils sont à la fois décontenancés et pessimistes», résume-t-elle.
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«Marre du climat revanchard en France»Thierry, financier, est installé à Londres depuis l'an dernier Thierry a saisi une «opportunité professionnelle» et est parti l'an dernier avec femme et enfants. Direction: Londres. Ce financier de profession en avait marre du «matraquage fiscal» et du «climat revanchard» qui règne en France. Marre d'entendre les dirigeants politiques accuser «les gens qui gagnent de l'argent de ne pas contribuer à l'effort national alors qu'on paye beaucoup, beaucoup d'impôts». Marre qu'«aucun effort sérieux ne soit fait du côté des dépenses publiques». Triste enfin de voir son pays «s'enfoncer lentement dans le déclin, la division et le pessimisme». Vue de l'étranger, «la France apparaît sous un jour très noir», dit Thierry. Un pays où «l'environnement général est défavorable à la création d'entreprises». L'idée de taxer le capital comme le travail? «Une absurdité totale», selon lui, qui veut croire que son pays va un jour retrouver son dynamisme, comme la Grande-Bretagne a su le faire à la fin des années 70, après une longue période de déclin.
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Le coup d'éclat de galeristes parisiensJérôme et Emmanuelle de Noirmont La une de la presse nationale, des centaines d'e-mails du monde entier... Jamais Jérôme et Emmanuelle de Noirmont n'auraient imaginé que leur lettre annonçant la fermeture de leur galerie d'art contemporain produirait un tel effet. «L'onde de choc nous sidère», racontent-ils, quelques jours plus tard. Le couple l'admet: «Nous voulions mettre les points sur les «i».» Dans cette fameuse lettre, les Noirmont expliquent qu'ils ferment leur galerie, ouverte il y a vingt ans, car ils ne peuvent plus se mesurer aux grandes galeries internationales, sauf à se lancer dans une vaste et coûteuse expansion. Or, ajoutent-ils, «le mauvais contexte politique, économique et social de la France d'aujourd'hui, auquel s'ajoutent un climat idéologique malsain et une pression fiscale étouffante, obèrent toute perspective d'avenir du marché de l'art et altèrent tout enthousiasme comme tout esprit d'entreprendre!» Partir? Ce couple de quinquas, parents de trois enfants, refuse de l'envisager: «C'est ici que nous avons envie de faire avancer les choses.» Ils vont donc poursuivre l'aventure de l'art contemporain, différemment.