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John Kerry s'aventure dans le chaudron coréen
Mis à jour le 12/04/2013 à 06:31 - Publié le 11/04/2013 à 18:39
Les soldats américains en manœuvre aux alentours de Yeoncheon, en Corée du Sud, à proximité de la frontière avec le Nord.
Séoul redoute que la visite du secrétaire d'État américain ne donne lieu à une provocation de la Corée du Nord.
Bras de fer sur le 38e parallèle. À quelques heures de l'arrivée de John Kerry à Séoul, les militaires nord-coréens jouaient avec les nerfs et les satellites espions du Pentagone. Jeudi, sur la côte orientale de la péninsule, deux rampes de lancement mobiles ont été soudain dressées vers le ciel, mettant en alerte les états-majors.
La venue du nouveau secrétaire d'État américain, vendredi, chez l'allié sud-coréen, est perçue comme une occasion en or pour le jeune Kim Jong-un de défier Washington en conduisant une nouvelle provocation. Et les stratèges s'attendent à un tir «imminent» d'un missile de moyenne portée de type Musudan, dont deux exemplaires ont été transportés sur place en début de semaine par train. Un engin jamais testé d'une portée de plus de 3000 kilomètres, capable d'atteindre, en théorie, la base américaine de Guam, dans le Pacifique. «Avec sa rhétorique belliqueuse, ses actions, la Corée du Nord joue avec le feu et n'aide pas à désamorcer une situation instable», a déclaré, inquiet, Chuck Hagel, le secrétaire d'État à la Défense américain. Et de décrire une situation «inflammable» sur la péninsule, où 28.500 GI sont postés. Barack Obama, qui rencontrait jeudi soir le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, à la Maison Blanche, a appelé Pyongyang à renoncer à son «attitude agressive».«Personne ne souhaite voir un conflit, a-t-il expliqué, mais les États-Unis sont prêts à prendre les mesures nécessaires pour défendre leur allié.»
DérapageEn réalité, les militaires américains ne croient pas à une frappe nord-coréenne mais redoutent un dérapage ou une erreur de trajectoire qui pourrait déstabiliser l'Asie du Nord-Est. Ces dernières heures, l'Armée populaire de Corée a déplacé plusieurs lanceurs mobiles, près de la ville de Wonsan et dans la province de l'Hammgyeong du Sud, brouillant les pistes et faisant craindre des tirs simultanés. Les forces américaines ont relevé leur niveau de surveillance afin de traquer dès les premières secondes le départ de missiles pour, le cas échéant, les intercepter. Anxieux, le Japon a déployé des Patriot au cœur de Tokyo et à Okinawa, gardant le souvenir amer du survol de son archipel par des projectiles nord-coréens en 2009 et 1998.
À Séoul, la vie continue sur les grandes artères commerciales de la mégalopole de 15 millions d'habitants et personne ne s'attend à une attaque de Scud ou de Nodong qui entraînerait une réplique «immédiate» des forces alliées, selon un haut responsable sud-coréen. Les stratèges misent plutôt sur un lancement de missile spectaculaire s'abîmant dans le Pacifique après une longue course, afin de marquer les esprits et de monopoliser la une des médias de la planète comme lors des tests de Taepodong en 2006 et 2009. Afin d'apaiser les tensions et d'offrir une porte de sortie à Kim, le Pentagone a indiqué qu'il n'abattrait pas l'engin si celui ne se dirigeait pas vers un territoire allié.
Selon la plupart des experts, la menace du Musudan est un nouveau coup de «bluff» du «leader suprême». «Ils n'ont pas les moyens de frapper Guam. Un missile doit être testé de nombreuses fois avant d'être opérationnel et ils sont encore loin du compte en matière de ré-entrée de l'engin dans l'atmosphère», explique Antoine Bondaz, chercheur à Sciences Po et à la Direction générale de l'armement (DGA). Sans compter que le Nord ne serait pas capable de miniaturiser une arme atomique pour la monter sur un missile.
En réalité, le tir de missile, qui pourrait également survenir le 15 avril, date anniversaire de Kim Il-sung, fondateur de la dynastie, est une arme politique dans la manche de son petit-fils, engagé dans un jeu de poker menteur avec Washington depuis fin janvier. «Il joue à faire peur à l'Amérique pour la contraindre à venir à la table des négociations. La Corée du Nord n'est pas une priorité pour Obama, donc Kim doit faire beaucoup de bruit dans l'espoir d'arracher des garanties de sécurité et économiques via à un traité de paix», décrypte Cheong Seong Chang, expert au Sejong Institute.
Partie de pokerAprès avoir conduit un test atomique le 12 février, menacé la Maison-Blanche de «frappe thermonucléaire» et retiré ses ouvriers du parc industriel de Kaesong, l'héritier élevé en Suisse semble déterminer à poursuivre sa surenchère. Mais les États-Unis refusent, pour l'heure, d'entrer dans son jeu.
La riposte diplomatique sera au cœur des discussions entre la présidente sud-coréenne Park Geun-hye et John Kerry, qui arrive du G8 de Londres pour rappeler l'engagement des États-Unis à défendre son allié. En cas de tir, les alliés demanderont une réunion d'urgence du Conseil de sécurité, loin des espoirs de négociations bilatérales formés par Pyongyang. «Si les Américains acceptent de lui parler, Kim aura gagné son pari», juge Bondaz. La partie de poker n'est pas terminée.