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Conclave : dialogue tendu entre les cardinaux à Rome
Mis à jour le 06/03/2013 à 23:31 | publié le 06/03/2013 à 20:10
Réunion de cardinaux au Vatican, lundi. Beaucoup veulent un Vatican conçu comme un lieu de service des Églises continentales et non comme un lieu de pouvoir.
Nombre d'entre eux souhaitent une révision radicale du gouvernement de l'Église. D'autres résistent.Premier vrai coup de théâtre du conclave. Les cardinaux américains, qui tenaient chaque après-midi une passionnante conférence de presse à deux pas du Vatican, juste après le briefing média officiel du Saint-Siège, ont renoncé. Ou ont dû renoncer, comme le prouve l'annulation de dernière minute du rendez-vous. La religieuse américaine travaillant pour la conférence épiscopale des États-Unis, sœur Mary Ann Walsh, qui coordonnait ces échanges, a donné cette explication: «Des remarques ont été formulées dans le cadre des congrégations générales à la suite de fuites d'informations confidentielles dans la presse italienne. À titre de précautions, les cardinaux (des États-Unis) ont accepté de ne plus donner d'interviews.»
Le comble de l'histoire est qu'aucun des quatre cardinaux américains, deux par jour jusque-là, qui ont donné ces conférences de presse devant une centaine de médias - dont des télévisions en direct, sans filet - n'a strictement enfreint aucun secret. Ils commentaient aimablement cette actualité de l'Église en s'excusant poliment de ne pouvoir répondre à certaines questions dès lors qu'elles touchaient le contenu des débats. Les «fuites» dont il est question viennent de confrères italiens qui les tiennent de… cardinaux italiens - et autres -, bien anonymes ceux-là, mais peu soucieux, semble-t-il, du serment de secret qu'ils ont prononcé.
Cette anicroche médiatique révèle, en fait, un bras de fer en cours parmi les sénateurs de l'Église entre les épiscopats américains et allemands et d'autres plus discrets qui n'entendent pas se laisser mener comme des enfants de chœur par une curie toute puissante qui voudrait, de facto, contrôler la succession de Benoît XVI, qui lui a échappé. Rien n'est joué pourtant: le Saint-Esprit censé, selon l'ecclésiologie catholique, inspirer les cardinaux a souvent déjoué les calculs les plus habiles!
Plus de trente années de dérives de pouvoirsEn attendant, la tension monte avec un premier point de fixation, la date d'entrée en conclave. Là, la ligne de fracture est évidente. Le cardinal Angelo Sodano, doyen du Sacré Collège, n'a jamais caché sa volonté d'aller vite. Ce qui explique les ralliements actuels dans le «camp» italien. Les cardinaux italiens serrent les coudes contre toute attente. Ils étaient encore très divisés il y a une semaine. Mais la plupart des cardinaux, tout juste arrivés à Rome, veulent prendre le temps de mieux se connaître. Et veulent surtout poser des questions de fond avant d'entrer dans la chapelle Sixtine.
On devrait savoir aujourd'hui, jeudi, où deux séances de travail sont prévues, l'une le matin et l'autre l'après-midi, qui va l'emporter. Les 115 cardinaux électeurs seront normalement tous présents. Il en manquait deux mercredi, un Vietnamien, Mgr Pham Minh Mân, et un Polonais, le cardinal Nycz, archevêque de Varsovie, dont beaucoup se demandent pourquoi il est si en retard… Bref, avec ce quorum atteint, les cardinaux pourront voter, à la majorité simple, s'ils anticipent ou pas - comme Benoît XVI en a ouvert la possibilité en modifiant le règlement la semaine dernière avant de s'en aller - la date d'entrée en conclave. Il pourrait débuter lundi soir 11 mars ou le 15 mars, voire plus tard. Certains imaginant une élection le 19 mars, jour de la Saint-Joseph, une date très importante dans l'Église catholique. Qui laisserait d'ailleurs tout le temps nécessaire pour «installer» le pape, lors d'une grande messe solennelle, avant la semaine sainte, qui commence le dimanche des Rameaux, le 24 mars.
Mais ce différend de calendrier est le symptôme d'une tension beaucoup plus profonde qui s'exprime comme jamais entre cardinaux. Ce ne sont pas des querelles théologiques ou de sensibilités politiques qui sont en jeu. Ni un débat entre conservateurs et progressistes, comme à une époque encore récente.
La crise de gouvernance de la curie romaine et la renonciation du Pape sont vraiment passées par là. Beaucoup de cardinaux pensent que l'heure est venue de revoir de fond en comble le fonctionnement de la curie. Ils veulent une réforme de système: un secrétaire d'État avec moins de pouvoirs ; un Conseil des ministres effectif autour du pape ; un Vatican conçu comme un lieu de service des Églises continentales et non comme un lieu de pouvoir.
Ce qui fait craindre une crise de niveau institutionnel, donc très grave, à la vieille garde italienne qui tient tout, en vérité depuis longtemps. Après Paul VI, ni Jean-Paul II ni Benoît XVI n'ont vraiment gouverné la curie. Ce sont donc plus de trente années de dérives de pouvoirs qui implosent.
En cette heure de remise en cause fondamentale - par le Collège des cardinaux lui-même et non par la gauche progressiste, ce qui ne s'est jamais vu à ce point en 1978 et en 2005 -, les tenanciers refusent donc de confier les clés du royaume à quelqu'un qui ne serait pas du sérail curial. D'où ce raidissement. D'où l'alliance sacrée italienne. Mais, cette fois, elle pourrait être vaine.