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Otages français : sur la piste de l'islamisme nigérian
Mis à jour le 21/02/2013 à 08:49 | publié le 20/02/2013 à 20:34
Abubakar Shekau (au centre), chef du groupe islamiste Boko Haram, flanqué de deux militants. Image extraite d'une vidéo diffusée sur YouTube en avril 2012.
Le groupe Boko Haram et ses satellites se livrent à des surenchères antioccidentales.La responsabilité des mouvements islamistes nigérians dans l'enlèvement d'une famille française au Cameroun semble se confirmer. Tant le lieu du rapt, sur la route de Dabanga, à seulement quelques kilomètres du Nigeria, que les méthodes incriminent ces djihadistes. Les premières recherches ont permis de retrouver le 4×4 des victimes le long de la frontière, et plusieurs témoins affirment avoir vu des Occidentaux accompagnés d'hommes armés à moto qui se dirigeaient vers le Nigeria. Le groupe Boko Haram, très actif, passe pour le principal suspect. «Nous estimons que c'est la secte Boko Haram qui a procédé à l'enlèvement», a affirmé le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian. Des soldats français, venus de la base tchadienne de N'Djamena toute proche, sont intervenus en hélicoptère, dès mardi soir, pour tenter de bloquer la frontière. «Ils sont arrivés très vite et ils sont revenus mercredi mais sans succès», détaille au
Figaro Augustin Awa Fonka, le gouverneur de la province.
Pour Peter Sharwood-Smith, expert en sécurité pour la société Drum-Cussac à Lagos, Boko Haram n'est cependant peut-être pas directement impliqué. «Boko Haram est devenu une sorte de nom parapluie pour les nombreux groupes intégristes qui pullulent au Nigeria. Mais savoir qui exactement est à l'origine de cette attaque est extrêmement délicat.» Seule certitude à ses yeux, la France était visée, à cause de son intervention au Mali. Les liens entre les groupes nigérians et les djihadistes maliens sont connus. Plusieurs témoins ont fait état à Gao de combattants parlant anglais ou haoussa aux côtés de miliciens du Mujao (Mouvement unicité et djihad en Afrique de l'Ouest), l'une des factions maliennes proches d'al-Qaida. Le Cameroun ne serait que le théâtre d'un combat plus global. «C'est surprenant de les voir au Cameroun seulement parce qu'ils n'y étaient jamais allés. Mais on savait que plusieurs groupes en avaient les capacités», souligne Peter Sharwood-Smith.
Vers un islam «pur»Ansaru, est l'un d'eux. Cette milice née en 2012 et qui se présente, à l'image du Mujao, comme servant la cause de l'islam en Afrique noire, monte en puissance. Inconnu il y a peu, ce groupe est présenté comme une scission de Boko Haram, et a déjà trois séries d'enlèvements à son actif. En décembre, il a capturé un ingénieur français, Francis Collomp, près de la frontière du Niger. Samedi dernier, un commando enlevait sept étrangers travaillant pour une entreprise libanaise. Dans sa revendication, Ansaru affirmait agir «sur la base des transgressions et des atrocités commises envers la religion d'Allah (…) par les pays européens dans plusieurs endroits dont l'Afghanistan et le Mali». Fin janvier, les combattants avaient attaqué un convoi de militaires nigérians en route pour le Mali, tuant deux soldats.
Avec 900 hommes, le Nigeria dispose du plus gros contingent dans la force africaine qui soutient les armées française et malienne. «Ansaru est un suspect idéal et il revendique ses actions. Nous serons vite fixés. Mais il faut faire attention. L'idée que des fractures nettes sépareraient un groupe d'un autre est fausse. Ils peuvent se regrouper pour une chose et s'opposer pour une autre. Et tous viennent de la même matrice», prévient Peter Sharwood-Smith.
L'essor de l'islam radical au nord du Nigeria remonte au début des années 2000 et puise dans la vieille confrontation opposant le sud du pays chrétien au nord à dominante musulmane. Profitant à partir de 1999 de la démocratisation du géant de l'Afrique (quelque 160 millions d'habitants), des prêcheurs revendiquent le retour vers un islam «pur», et la lutte contre un pouvoir central perçu comme impie et corrompu. Boko Haram (de boko, «livre» en haoussa, et haram, «interdit» en arabe) est officiellement créé en 2002, près de Maiduguri, autour de Mohammed Yusuf, un imam autodidacte. Sa doctrine est faite d'un curieux mélange d'islamisme, de rejet de la culture occidentale, perçue comme coloniale, et d'opposition à Abuja. Très vite Boko Haram plonge dans la confrontation armée. Dans cette région déshéritée, le mouvement fait des émules. En 2007, Boko Haram revendique ses premiers attentats à la bombe.
Dérive dans l'ultraviolence L'État nigérian se décide à intervenir, à sa manière, violente et brutale. La répression aurait fait des centaines de victimes dont, en 2009, Mohammed Yusuf lui-même, mort peu après son arrestation. En réponse, Boko Haram se radicalise encore. En trois ans, ses attaques contre des lieux publics et des églises, ses assassinats, auraient fait plus de 1 500 morts, selon Human Rights Watch, et des milliers de réfugiés. En 2011, le groupe montre qu'il voit plus loin que ses ambitions jusqu'alors très locales, et se signale au monde en s'en prenant au QG de l'ONU en plein centre de la capitale fédérale. Dès lors, les entreprises étrangères fuient la région.
Cette dérive dans l'ultraviolence entraîne des critiques sévères au sein même des djihadistes. Certains se désolidarisent et montent ou rejoignent d'autres factions, comme Ansaru. Ces petits groupes, aux contours flous, prônent d'autres modes d'actions, comme les attentats ciblés ou les enlèvements d'étrangers.