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L'adieu dans le calme des Tunisiens au «martyr» Belaïd
Publié le 08/02/2013 à 19:36
Des milliers de personnes ont suivi, vendredi, la procession des funérailles de Chokri Belaïd, qui a été enterré au cimetière el-Jalez, dans la banlieue sud de Tunis.
Quelque 40.000 personnes ont assisté aux funérailles de l'opposant assassiné Chokri Belaïd. Dans la foule, de nombreuses voix ont dénoncé l'emprise des islamistes.Le corps de Chokri Belaïd fut, dès vendredi matin, transporté de la maison de son père, dans le quartier populaire de Djebel el-Jelloud («le mont des tanneurs»), à la maison de la culture de cette banlieue limitrophe de Tunis par le sud, afin que la population puisse symboliquement veiller le mort. Puis le corps de celui que la population appelle déjà le «martyr de la liberté» est chargé sur un véhicule militaire, sur lequel se tiennent des soldats à béret rouge.
Le cercueil est recouvert du drapeau tunisien. Le convoi s'ébranle vers le nord à 11 heures en direction du cimetière central de la capitale, el-Jalez, situé à trois kilomètres de là. La foule est si dense qu'il n'avance qu'à une allure d'escargot. Plus le convoi se rapproche du cimetière - établi sur les pentes menant au mausolée du saint protecteur de Tunis, Sidi Bel Hassan -, plus la foule grossit. Car elle est alimentée par de multiples petites manifestations de quartier qui, banderole en tête, se joignent au flot des citoyens venus rendre un dernier hommage à l'inlassable défenseur des droits de l'homme, père de deux petites filles. Ils sont plus de quarante mille personnes, selon le ministère de l'Intérieur, hommes et femmes mélangés, à braver le froid, le vent, les averses.
Youyous stridentsAvant que le convoi ne s'ébranle, Basma, la veuve de Chokri, rappelle à la foule, grâce à un micro, «qu'ici, nous respectons les morts et qu'il n'est pas question de nous laisser aller au désordre. Car les débordements ne profiteraient qu'à nos adversaires!» Mercredi 6 février, le lendemain de l'assassinat de Me Belaïd, des jeunes en colère s'étaient affrontés aux forces de l'ordre en scandant «yasskout al nidam» (que le régime chute!). La police ayant répondu par des tirs de grenades lacrymogènes, les jeunes avaient cassé des abribus pour bâtir des barricades de fortune, tout le long de l'avenue de Paris.
Basma Belaïd est obéie. C'est une procession pleine de ferveur mais sans désordre qui s'allonge sur toutes les voies entourant le cimetière, survolée en permanence par un hélicoptère militaire. En ce jour de grève générale, tous les commerces ont tiré leurs rideaux de fer. Par moments, des groupes de femmes poussent de stridents youyous. Dans le monde arabe, ces cris accompagnent d'habitude des événements heureux (mariages, naissances, circoncisions…) En Tunisie, le youyou est également utilisé comme traditionnel hommage aux morts importants.
«Nous sommes tous bouleversés», confie une jeune femme au visage fin, keffieh autour du cou. Ingénieur de 25 ans, accompagnée de sa sœur et son fiancé, Hajer explique: «Nous n'avons jamais été violents en Tunisie. Le peuple ne veut pas d'une plongée dans l'islamisme comme en Égypte. Nous les femmes, nous défendrons les droits que Bourguiba nous a accordés il y a deux générations!» Il y a autant de femmes voilées que dévoilées. Certaines marchent derrière une banderole, où est écrit: «Martyr, ne t'inquiète pas! Jamais nous ne dévierons de la voie que tu nous a tracée.»
«Obscurantisme»Soudain, surgit un groupe d'hommes et de femmes en noir. Ce sont des avocats et des magistrats, revêtus de leurs toges d'audience. «Nous sommes venus honorer un confrère et un démocrate courageux», dit Nadhir Ben Yedder, avocat d'affaires d'une quarantaine d'années. «Mais nous sommes aussi ici pour manifester contre l'obscurantisme d'une minorité agissante qui veut effacer deux siècles de modernité en Tunisie. Nous sommes des milliers de Chokri Belaïd en Tunisie, à refuser le modèle rétrograde des wahhabites du Qatar et d'Arabie saoudite.»
Les cheveux voilés, une femme au foyer ayant dépassé la cinquantaine renchérit: «Ces types-là, cela fait deux ans qu'ils sont chez nous. Moi, cela fait un demi-siècle que je vis ici ; je ne leur laisserai jamais ma place!»
Dans le monde arabo-musulman, la Tunisie a toujours été le pays le plus avancé dans la séparation du religieux et du politique. Mais Me Ben Yedder considère qu'il n'y a rien à espérer d'un parti comme Ennahda et de ses chefs, «tant qu'ils n'auront pas effectué leur révolution copernicienne» les libérant de l'idéologie des Frères musulmans. Avec un sourire désabusé il résume sa pensée par un trait d'esprit: «Le bon musulman est un homme qui se concentre sur sa relation avec Dieu. Les Frères musulmans sont obsédés par la relation de leur voisin avec Dieu!»