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Un séisme pour le système policier et judiciaire mexicain
Mis à jour le 24/01/2013 à 19:44 | publié le 24/01/2013 à 19:35
«Il n'y a pas de justice, ce qu'il y a c'est du pouvoir et de l'argent pour acheter des campagnes dans les médias et faire passer une preneuse d'otage pour innocente», s'indigne Isabel Miranda de Wallace, de l'association «alto al secuestro», opposée à la libération de la Française.
La plupart des médias dans leur éditorial saluent la décision de la Cour de libérer Florence Cassez, alors que l'opinion publique est en grande partie révoltée.La sortie de Florence Cassez de sa prison mercredi - protégée par un convoi de la police et vêtue d´un gilet pare-balles - ressemblait plus à une exfiltration qu'à une victoire. Elle témoigne de l´atmosphère qui règne à Mexico après la décision historique de la Cour suprême d´ordonner sa libération. Un verdict que plus de 8 mexicains sur 10 rejettent, selon un sondage publié jeudi dans le journal Reforma.
Florence Cassez a beau être rentrée en France, elle reste omniprésente au Mexique. Pas un journal ni une télévision qui ne lui consacre une édition spéciale, retraçant cette incroyable journée du 23 janvier, devenue historique pour la justice mexicaine, selon ses avocats, Agustin Acosta et Franck Berthon.
Si la plupart des médias dans leur éditorial saluent la décision de la Cour - la considérant comme une avancée immense pour le pays et pour l'État de droit -, tous s'interrogent au même moment sur les conséquences qu'elle pourrait avoir sur le peuple mexicain, comme le résume le quotidien
La Jornada: «Dans un système caractérisé par la violation systématique des droits fondamentaux, par la fabrication de coupables et par l'altération des preuves et des témoignages, le pouvoir judiciaire pourrait faire libérer, avec des arguments similaires à ceux employés mercredi par la Cour suprême, la majorité de la population carcérale du pays».
«Porcherie»C'est précisément sur ce terrain que se font entendre les plus fervents opposants à la libération de Florence Cassez, omniprésents dans la presse parue jeudi. Il y a d'abord le témoignage d'Ezequiel Elizalde - un des anciens otages présumés de la bande du Zodiac - qui dès sa sortie de la Cour suprême n'hésite pas à qualifier l'institution de «porcherie», invoquant le droit au respect des victimes. À ses côtés, Isabel Miranda de Wallace s'indigne elle aussi de la décision: «Il n'y a pas de justice, ce qu'il y a c'est du pouvoir et de l'argent pour acheter des campagnes dans les médias et faire passer une preneuse d'otage pour innocente. Aujourd'hui, nous ne croyons pas en ces institutions et nous ne pouvons pas demander au peuple mexicain que les choses changent quand le droit des victimes n'est pas respecté.»
Des voix d'autant plus audibles que la libération provient d'une décision de la Haute Cour, qui juge la procédure, et non d'un tribunal jugeant le fond. D'où ces titres pleins de suspicion dans la presse mexicaine, tels que «Elle s'en va, libre mais pas innocente» dans
El Universal, ou encore «Innocente ou coupable, Cassez libérée», dans
La Jornada. Ce journal s'appuie notamment sur un commentaire sibyllin émis par la juge Olga Sanchez en fin de séance.
Malgré une opinion publique en grande partie révoltée - plus de 7 mexicains sur 10 seraient encore persuadés de la culpabilité de Florence Cassez, selon
Reforma - de nombreux observateurs se sont réjouis jeudi de la décision, considérée comme une véritable avancée pour le Mexique. José Miguel Vivanco, le président de Human Rights Watch America, a déclaré qu'il s'agissait d'une victoire pour le système judiciaire mexicain. Tout comme Marie-Claire Acosta, de Freedom House, qui a jugé la décision «indispensable pour que le pays puisse avancer et se moderniser, comme semble le souhaiter le gouvernement actuel».
Témoignages manipulésDe son côté, le bureau du procureur général - clairement mis en cause à travers cette décision de la Cour suprême - a immédiatement réagi en estimant qu'il était urgent d'accélérer la mise en place d'un nouveau système pénal. Il appelle à revoir entièrement les techniques d'investigation dont il dispose, afin de mettre en place de nouvelles procédures d'instruction qui respectent les droits fondamentaux des citoyens.
De fait, selon Octavio Amezcua, avocat à la commission mexicaine de défense et de promotion des droits, les méthodes d'investigation actuelles de la police sont largement insuffisantes pour mener les enquêtes à leur terme dans de bonnes conditions. Si bien que «l'essentiel de l'accusation repose très souvent sur de simples témoignages, très faciles à manipuler. Il n'est pas rare, d'ailleurs, que les officiers de police imputent des faits de manière totalement arbitraire, en faisant par exemple appel à un témoin protégé, qui a donc le droit de rester anonyme».
Qu'on soit pour ou contre sa libération, l'affaire Cassez a eu l'effet d'un séisme dans le système policier et judiciaire mexicain, en dévoilant ses failles au grand jour. Reste à savoir si ce cas emblématique suffira à faire changer les choses.