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La folle saison des caucus commence dans l'Iowa
Publié le 02/01/2012 à 21:58 De gauche à droite, les sept candidats qui briguent l'investiture républicaine lors d'une réunion à Sioux City (Iowa) le 15 décembre : Rick Santorum, Rick Perry, Mitt Romney, Newt Gingrich, Ron Paul, Michele Bachmann et Jon Huntsman.
La course à l'investiture républicaine, qui aboutira dans huit mois à la désignation du prochain adversaire de Barack Obama, débute mardi dans ce petit État rural du Midwest. Mitt Romney y défie plusieurs candidats issus de la frange la plus conservatrice.
Mardi soir à 19 heures précises, à travers les immenses plaines gelées de l'Iowa, entre 120.000 et 180.000 électeurs braveront le froid glacial, la neige, le blizzard et l'obscurité pour un exercice de démocratie participative complexe et pittoresque qui donnera le signal du départ des primaires républicaines. Celles-ci doivent mener pas à pas, État après État, à la désignation fin août du candidat conservateur qui fera la course présidentielle contre Barack Obama en novembre 2012. On appelle ça les caucus, un vieux mot indien algonquin signifiant «réunion de chefs tribaux».
Pendant deux heures, au cours de 1774 assemblées de quartier organisées par le Grand Old Party dans des écoles, des gymnases, des salles des fêtes, des églises et même des salles à manger de particuliers, les électeurs républicains débattront des mérites de sept candidats présidentiels républicains en lice, avant d'exprimer à bulletins secrets leur préférence pour l'un d'entre eux. Il s'agira là d'un avis indicatif et indirect, car ces électeurs républicains éliront ce même soir des délégués qui seront envoyés dans les conventions organisées dans les 99 comtés d'Iowa. Ces derniers désigneront eux-mêmes des représentants de l'État, chargés d'élire à leur tour des délégués ultimes qui participeront à la désignation du candidat républicain, lors de la convention nationale du mois d'août. Autant dire que la volonté des électeurs aura maintes occasions de se perdre dans les méandres et les détours de la longue et redoutable course d'obstacles que constitue la primaire d'une élection présidentielle.
Ambiance électriqueMais les échanges n'en seront pas moins vigoureux et l'ambiance électrique, la population de l'Iowa prenant très au sérieux son rôle politique d'«éclaireur» de la scène électorale nationale. Le même jour, des caucus démocrates, destinés à faire remonter les propositions de la base pour la plate-forme présidentielle d'Obama, donneront lieu, dans d'autres écoles et d'autres maisons, à des débats moins spectaculaires mais presque aussi courus. «Les gens d'Iowa aiment la politique et sont des connaisseurs, ils sont fiers du processus électoral artisanal qui caractérise l'Iowa, où les candidats sont traditionnellement supposés mener sur place une campagne de terrain», confie en souriant l'éditorialiste du
Des Moines Register, Kathie Obradovich.
Sans être nécessairement décisif ni préjuger du résultat ultime de la bataille républicaine, le «tour de chauffe» de l'Iowa, premier du genre depuis 1972, pèse lourd sur les votes qui suivent, mettant souvent en évidence les candidats les mieux armés ou les plus organisés pour le grand affrontement, voire projetant parfois au premier plan des outsiders largement inconnus. Cela avait été le cas pour Jimmy Carter, obscur candidat démocrate du Sud profond sorti gagnant du caucus démocrate de l'Iowa pour être finalement porté jusqu'à la Maison-Blanche en 1976. Cela fut aussi le cas de Barack Obama, arrivé grand vainqueur dans le petit État, première surprise de son triomphal parcours du combattant vers la fonction suprême…
Tout le pays aura donc aujourd'hui les yeux fixés sur l'Iowa, petit État rural de l'Amérique profonde du Midwest comptant un million d'habitants et connu essentiellement, en dehors de ses caucus, pour ses champs de maïs, ses cochons, ses éoliennes, ses habitants d'une rugosité touchante et son statut d'État «violet», à peu près également réparti entre un tiers de démocrates (bleus), un tiers de républicains (rouges) et un tiers d'indépendants. En tête des derniers sondages avec 24 % des intentions de vote dans son parti, l'ancien gouverneur mormon du Massachusetts, Mitt Romney, parviendra-t-il à arracher une victoire longtemps perçue comme peu probable, vu l'hostilité que nourrit à son encontre le lobby des chrétiens-conservateurs, particulièrement présent chez les républicains d'Iowa (environ 60 % des votants)? Prendra-t-il de ce point de vue sa revanche sur 2008, quand il s'était vu voler la vedette par l'ancien gouverneur du Arkansas Mike Huckabee, un personnage haut en couleur qui avait séduit l'électorat évangéliste mais avait ensuite été incapable de profiter de son avantage au plan national? De plus en plus de gens jugent le scénario possible.
Un scrutin très ouvertPour Mitt Romney, gagner le caucus de l'Iowa, où, échaudé par son précédent échec, il n'a pratiquement pas fait campagne, serait un formidable succès, qui le mettrait en position de leader quasi incontesté à la veille de la primaire du New Hampshire du 10 janvier, État plus libéral de Nouvelle-Angleterre où il est donné favori. Mais une lourde incertitude continue de peser. Le dernier sondage révèle en effet un Romney en tête mais talonné - avec 2 % d'écart seulement, chiffre inférieur à la marge d'erreur de 4 % - par le représentant texan Ron Paul, un libertarien pur jus, opposé à toute forme d'État fédéral et partisan d'un repli drastique de l'Amérique en matière de politique étrangère. De plus, ce duel au coude-à-coude pourrait être compliqué par une surprise de dernière minute, près de 41 % des électeurs continuant de dire ne pas avoir arrêté leur choix.
«C'est une course très ouverte», a confié le gouverneur républicain de l'Iowa Terry Branstad à CNN, estimant que les électeurs continuaient de chercher «le candidat parfait». La soudaine percée à 15 % de Rick Santorum, ancien sénateur de Pennsylvanie ultra­conservateur, ayant basé l'essentiel de sa campagne sur la défense des valeurs familiales et morales chrétiennes, en est la dernière illustration. Après l'engouement puis le désenchantement suscités successivement par la candidate Tea Party Michele Bachmann, le patron d'une entreprise de pizza Herman Cain et l'ancien speaker de la Chambre Newt Gingrich, cet ancien élu inconnu, à l'organisation modeste, mais qui n'a pas ménagé sa peine dans l'Iowa, est le dernier coup de cœur en date d'un électorat conservateur qui ne se résout pas à l'adoubement de Romney, jugé trop centriste et trop opportuniste. Les analystes n'excluaient pas, ces derniers jours, que la nouvelle étoile du camp chrétien répète le parcours gagnant mais limité de Huckabee… Les autres candidats semblent au contraire perdre du terrain ou stagner. Après avoir caracolé à 25 % des intentions de vote, Newt Gingrich a vu ses chances se ratatiner et son score chuter à 12 % sous l'effet de spots de publicité négative, sponsorisés à coups de millions de dollars par des groupes proches de Ron Paul ou de Mitt Romney, qu'il a été incapable de contrer. Le gouverneur texan Rick Perry est maintenant juste derrière à 11 %… Michele Bachmann, qui avait gagné le sondage de l'Iowa en août, veut y croire encore malgré un score de 7 %.
Travail de terrainUne victoire de Rick Santorum, l'un des rares avec Ron Paul et Michele Bachmann à avoir effectué le travail de terrain auquel tiennent tant les habitants de l'Iowa, apporterait un démenti cinglant aux théories selon lesquelles il n'est plus nécessaire, à l'ère d'Internet et de la télévision, d'établir un contact direct avec les électeurs. Dans l'ensemble, dans la drôle de campagne républicaine, le travail de terrain a longtemps semblé secondaire, court-circuité par une série de débats télévisés qui ont occupé toute la place, influençant les sondages au gré des prestations plus ou moins réussies des différents candidats. Mais la flambée d'intérêt que suscite Santorum donne raison au quadrillage patient qu'il a effectué à travers l'État, y menant quelque 262 rencontres avec des électeurs. Pour beaucoup d'analystes, la percée spectaculaire de ce candidat aux idées radicales, qui, entre autres choses, nie les origines humaines du réchauffement climatique, vante la technique de la torture de la baignoire comme une méthode efficace d'interrogatoire et refuse l'avortement même en cas de viol, révèle les limites du caucus de l'Iowa.
Un débat s'est en effet engagé sur le bien fondé de laisser ce petit État peu représentatif donner le ton de la campagne. Blanc à 92 %, peuplé d'une majorité d'habitants de plus de 60 ans et majoritairement rural, l'Iowa donne un poids démesuré aux sociaux conservateurs, au détriment d'autres sensibilités républicaines. «Il est temps de laisser quelqu'un d'autre donner le coup d'envoi du processus de la campagne présidentielle», en conclut carrément le journaliste Steve Buttry, soulignant que l'Iowa s'est trompé «une fois sur deux» depuis 1972 et n'a pas su détecter des candidats aussi importants que Ronald Reagan ou Bill Clinton.
Mais les défenseurs des caucus l'Iowa nuancent cette analyse. Pour eux, la radicalisation des candidats en lice, loin d'exprimer une spécificité locale, ne fait que refléter le schisme profond qui ronge le Parti républicain, entre pragmatiques, soucieux de rassembler pour battre Obama, comme Romney, et idéologues radicaux des «valeurs morales» rêvant d'un Santorum - même s'il ne peut être élu. «Entre éligibilité et attractivité, les gens vont peser le pour et le contre, mais ils savent que la première qualité est plus importante, parie la journaliste Kathie Obradovich, du Des Moines Register. Souvenez-vous de la primaire républicaine de 2004. Les électeurs démocrates d'Iowa ont flirté avec Howard Dean, car il était plus séduisant. Mais finalement ils se sont “mariés” avec John Kerry parce qu'ils le pensaient capable de battre Bush.»