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Syrie : le lourd passé du chef des enquêteurs
Publié le 29/12/2011 à 19:23 Le général soudanais Mohammedal-Dabi, le 21 décembre 2011 à Khartoum.
Le général soudanais Mohammedal-Dabi, qui dirige la mission de la Ligue arabe, aurait créé des milices au Darfour.
Comment la Ligue arabe a-t-elle pu nommer un tel chef à la tête de ses observateurs en Syrie? Au bout de seulement trois jours, le général soudanais Mohammed al-Dabi concentre les critiques des ONG et des gouvernements occidentaux. Mercredi, au lendemain d'une visite éclair de quelques heures à Homs, au cœur de la répression du régime, le général était rentré satisfait: «La situation n'a rien d'effrayant», avait-il déclaré, précisant tout de même: «là où nous étions». Précaution de langage indispensable: les forces de sécurité avaient tiré non loin de là sur des manifestants.
Les félicitations de Pékin, principal allié du gouvernement syrien, ne vont pas faire remonter la crédibilité de la Ligue arabe. «La Chine se félicite des enquêtes objectives de la Ligue arabe en Syrie», a déclaré jeudi un porte-parole du ministère des Affaires étrangères.
Le général n'est pas un inconnu pour le gouvernement chinois, qui soutient aussi Khartoum. Nommé chef des services de renseignement le jour du coup d'État de 1989, il fut dès lors en première ligne de la lutte contre l'opposition interne, sous l'influence de l'idéologue islamiste Hassan al-Tourabi. C'est l'époque des prisons secrètes, des lieux de détention non répertoriés où les opposants sont torturés.
Mohammed al-Dabi occupera ensuite plusieurs fonctions, dont l'une au Darfour, la province rebelle, théâtre d'une guerre ethnique qui a valu au président soudanais Omar el-Béchir, toujours en fonction, des inculpations de la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide.
Des villages pillésLe général al-Dabi n'est pas inculpé par la CPI. En ce qui concerne le Darfour, il est surtout connu pour son rôle de négociateur avec les principaux groupes rebelles ces dernières années. Mais il avait déjà été en poste dans la région rebelle, et dans un tout autre rôle, écrivent les spécialistes du Soudan Julie Flint et Alex De Waal dans leur livre
Darfur: a New History of a Long War. Selon eux, Mohammed al-Dabi a été l'un des créateurs des Janjawids, ces milices composées d'Arabes ou d'Africains formées par le gouvernement soudanais pour lutter contre les tribus révoltées. En février 1999, quatre ans avant que les troubles endémiques ne dégénèrent en guerre civile, Mohammed al-Dabi débarque à Al-Guenina, capitale de la province du Soudan-Ouest, «avec 120 hommes et deux hélicoptères de combat», écrivent les auteurs, citant le gouverneur local. Le général distribue de l'argent à des chefs locaux qui se mettent à ravager les villages de Masalit, la principale ethnie de la région, dans le sillage de l'armée: «Les militaires désarmaient les villages, et deux jours après les Janjawids pillaient.»
Le général a nié, tout en admettant auprès des auteurs qu'il avait employé la manière forte pour encourager les Masalit à rentrer dans le rang: «Quand ils traînaient les pieds, je les menaçais d'employer les armes.» La nomination à la tête de la mission d'observation en Syrie d'un Soudanais, et plus particulièrement de Mohammed al-Dabi, est d'autant plus dommageable pour la Ligue arabe qu'il s'agit pour elle d'une première, née des «printemps arabes». Jamais l'organisation n'avait été mandatée pour vérifier si l'un de ses membres réprimait son peuple.
La Ligue n'avait pas de marge de manœuvre, plaide un diplomate: «Il fallait un militaire expérimenté, qui ne vienne pas d'un pays proche, ni d'un État ayant un contentieux avec la Syrie.» Jeudi, onze civils ont été tués, dont six dans deux villes visitées par les enquêteurs arabes, Douma et Hama.