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Égypte : un référendum dans une atmosphère passionnelle
Publié le 15/12/2012 à 17:46
Au Caire, samedi.
Les Égyptiens votaient samedi sur un projet de Constitution défendu par les islamistes au pouvoir et rejeté par l'opposition.Les Égyptiens ont commencé à voter samedi au référendum constitutionnel. Cette cinquième consultation électorale depuis la révolution de janvier 2011 et la chute de Moubarak a été précédée de trois semaines de troubles et d'immenses manifestations contre le président Mohammed Morsi et les Frères Musulmans.
Le nouveau scrutin se déroule dans une atmosphère passionnelle. Outre l'adoption ou non d'un texte constitutionnel contesté, il va permettre de mesurer le degré d'érosion de la popularité des Frères Musulmans, qui occupent depuis cinq mois la présidence. Le référendum se déroule en deux temps. Une moitié des électeurs égyptiens, soit environ 25 millions de personnes, votait ce samedi dans dix gouvernorats, dont Le Caire, Alexandrie, Assiout, Assouan et le Sinaï. Le week-end prochain, l'autre moitié se rendra à son tour aux urnes dans les dix-sept gouvernorats restants.
Au Caire, des queues se sont formées dès samedi matin devant les bureaux de vote. Les partisans des Frères Musulmans ne se sont pas posés de questions. «Cette constitution permet de terminer avec la première étape de la révolution, et d'aller de l'avant», explique Ahmed Ramadan, un professeur de mathématiques dans le quartier de Nasr City, qui se présente comme un sympathisant du parti islamiste. «Nous devons construire le pays. Morsi a été le premier président démocratiquement élu en Égypte depuis les Pharaons. On doit continuer à le soutenir. La Démocratie n'est pas un jeu qu'on peut quitter si le résultat ne vous plaît pas. L'opposition veut le retour à l'ancien régime. Les Islamistes ont joué le jeu de la démocratie», dit-il.
«Je soutiens le président Morsi», dit Ahmad Fadel, un autre sympathisant, propriétaire d'une petite fabrique de verre. «L'opposition le critique, mais ce sont surtout les gens qui bénéficiaient de l'époque Moubarak. La Constitution est islamique, mais c'est la demande populaire qui veut ça». Les Frères Musulmans ont plusieurs avantages: leur discours, simple, a été répété en boucle: «voter non, c'est le retour à l'ère Moubarak».
«La révolution, ce n'est pas remplacer des moustachus par des barbus»L'opposition est un rassemblement moins cohérent, mais dont la récente mobilisation a pris par surprise les Frères Musulmans. Ces derniers dénoncent leurs adversaires comme un ramassis de chrétiens et de «felloul», terme péjoratif désignant les notables du régime Moubarak. Mais ces dernières semaines ont vu les rassemblements de foules les plus importants depuis la révolution de février 2011, et la composition de l'opposition est plus complexe qu'il n'y paraît.
On y trouve évidemment les révolutionnaires. Ces activistes ont toujours été en pointe des manifestations, d'abord contre Moubarak, puis contre la junte militaire qui lui a succédé. Pas toujours très cohérents politiquement, ils sont surtout efficaces pour s'opposer aux abus du pouvoir en place. «Les Frères se sont installés à la place de Moubarak, et ils se comportent de la même façon. Ils agitent le doigt et menacent les gens à la télévision. La révolution, ce n'est pas remplacer des moustachus par des barbus: c'est changer les rapports entre le gouvernement et le peuple», dit Ahmed Hassan, un jeune révolutionnaire qui a passé l'essentiel des dix-huit derniers mois dans la rue.
Les révolutionnaires ne peuvent pas faire pencher la balance électorale, mais leur influence dépasse leur nombre.
Ils ont été rejoints par des secteurs plus larges de la population, et notamment le «Parti du canapé». Le terme a été inventé par les révolutionnaires pour se moquer de la majorité silencieuse, celle qui est restée devant sa télévision au lieu de descendre sur la place Tahrir pendant la révolution. Mais ce «parti» s'est depuis révélé capable de se mobiliser à plusieurs reprises à des moments cruciaux depuis la révolution. «Je suis contre l'attitude de Morsi et des Frères Musulmans. Ils sont en train de nous voler notre pays», dit un homme qui sort du bureau de vote de Boulaq. «Voter non revient à dire non à cette attitude: être élu président ne donne pas tous les pouvoirs, et le droit d'imposer une Constitution. Ils s'appellent les Frères Musulmans? Mais moi aussi, je suis musulman, et je n'ai pas les mêmes idées qu'eux».
La troisième composante de l'opposition est la plus importante, et la plus dangereuse pour le pouvoir des Frères Musulmans: ni chrétiens, ni libéraux, ni jeunes révolutionnaires en baskets et iphones, un grand nombre d'Égyptiens pauvres se sont soulevés ces dernière semaines, brûlant et saccageant les bureaux du parti islamiste dans plusieurs villes de province.
«Avant les Frères donnaient des cadeaux, et distribuaient de la nourriture aux gens», explique Ali Zeituni, un modeste habitant du faubourg de Tersa, banlieue misérable du sud-ouest du Caire. «Depuis qu'ils ont été élus, ils ne s'occupent plus des gens. Ils sont occupés à s'enrichir et à s'installer au pouvoir. Voter contre leur Constitution va leur rappeler que le peuple existe.»