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L'architecte brésilien Oscar Niemeyer est mort
Mis à jour le 06/12/2012 à 08:13 | publié le 06/12/2012 à 07:36
Oscar Niemeyer, ici en juin 2003.
Le patriarche brésilien, architecte moteur du mouvement moderne dans son pays, constructeur de la mythique Brasilia et éternel chantre de la courbe, est mort mercredi à l'âge de 104 ans. Une légende disparait.
Du jour où Le Corbusier dit à Oscar Niemeyer que «l'architecture, c'est de l'invention», l'architecte brésilien en fit sa règle. Il serait donc créateur d'une architecture neuve. Il ne fut pas seul dans l'émergence du modernisme à la brésilienne. Mais, en raison de l'importance de l'œuvre, de la stature du personnage, on fit de Niemeyer la figure principale de l'aventure architecturale du XXe siècle dans ce pays. Idéaliste et communiste convaincu, il aspirait aussi à un monde plus heureux. Il était devenu un mythe.
Le 15 décembre 1907, à Rio, naît Oscar Ribeiro Almeida de Niemeyer Soares. Une identité héritée d'origines portugaise, arabe aussi bien qu'allemande dont il tire la fierté d'être «aussi métis que le sont tous mes frères brésiliens». En 1929, il entre à l'École des beaux-arts de Rio. Au cours de sa troisième année, pendant que ses condisciples optent pour un confortable apprentissage dans de grosses compagnies, il rejoint le cabinet de l'architecte et urbaniste Lucio Costa. Le jeune homme le fait gratuitement, malgré de maigres revenus. «Même à ce moment-là, les questions d'argent ne me préoccupaient pas. Je voulais juste être un bon architecte», écrira-t-il dans
Mon architecture. L'intuition paye puisque Costa sera le principal idéologue de l'architecture moderne au Brésil et, au sein de son équipe, Niemeyer participe à l'acte fondateur du mouvement. En 1936, il est fraîchement diplômé quand Lucio Costa est invité à travailler sur le futur ministère de l'Éducation et de la Santé, dans le nouveau quartier des ministères à Rio. L'architecte conseil n'est autre que Le Corbusier.
La courbe face à l'angleDe l'architecte français d'origine suisse, le Brésilien se souviendra ensuite des «mots qui définissaient si bien ses idées sur l'architecture et l'urbanisme». Mais il ne sera pas tenté d'appliquer à la lettre ses préceptes. Le style construit de Le Corbusier lui paraît rigide et tristement fonctionnel quand lui aspire à un langage qui parle mieux de son pays: «Je me dirigeais vers une architecture plus libre, plus légère, suffisamment gracieuse pour s'approcher de nos vieilles églises coloniales.» Quand Le Corbusier consacre un poème à l'angle droit, Oscar Niemeyer ne jure en effet que par la courbe. Pour certains, Niemeyer sera même davantage sculpteur qu'architecte. En tout cas, les possibilités du béton armé lui permettront d'incroyables audaces, et ce, dès le complexe de Pampulha.
L'église Saint-François d'Assise de Belo Horizonte.
Au début des années 1940, ce projet à Belo Horizonte est sa première commande importante. La capitale de l'État du Minas Gerais a pour maire Juscelino Kubitschek, qui fera plus tard de Niemeyer l'architecte de ses plus grandes ambitions. Pour l'heure, il lui demande de bâtir une église, un yacht-club, un casino et une salle de bal. Dès lors, l'architecte élabore son «jeu inattendu de lignes droites et de courbes». Il dessine en particulier l'église Saint-François d'Assise comme une succession de vagues. Mais là n'est qu'un prologue. Niemeyer l'a souvent dit: sa grande œuvre, Brasilia, «a été une répétition de Pampulha à plus grande échelle».
Le tour de force de BrasiliaCette ville créée ex nihilo n'en reste pas moins un tour de force. Après son indépendance, le Brésil a désiré une nouvelle capitale. Ce projet sans cesse reporté est relancé avec l'arrivée de Kubitschek à la présidence, dans les années 1950. Brasilia naîtra donc au cœur géographique du pays, le Planalto Central. Lucio Costa en dessine le «plan pilote», en forme d'oiseau, tandis que Niemeyer doit construire les principaux équipements publics. Au ministre de la Guerre qui demande si le bâtiment qui lui sera dévolu sera moderne ou classique, Niemeyer assure avoir répondu: «En cas de guerre, préférez-vous des armes modernes ou classiques?»
À Brasilia, les deux coupoles inversées répondent aux deux tours droites.
Lors de son premier voyage, il n'est pas emballé par ce site au milieu de nulle part. Mais Brasilia doit incarner la fierté nationale et l'architecte façonne une cité sculpturale et des bâtiments symboles tout de traits et de courbes. Les deux coupoles inversées du Congrès national, sur la place des Trois-Pouvoirs, répondent aux deux tours très droites. Plus loin, la cathédrale est une gerbe d'arcs. De la nouvelle capitale, inscrite au patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco dès 1987, Oscar Niemeyer dira souvent: «Tu peux aimer ou pas, mais tu ne peux pas dire que tu as vu des choses semblables.» Il n'empêche qu'il semble lui préférer l'animation de sa ville natale.
La cathédrale de Brasilia, une gerbe d'arcs.
Départ pour la France
Le Volcan du Havre.
Brasilia est inaugurée en 1960 et le chantier se poursuit. Mais le coup militaire d'État de 1964 donne un coup de frein aux travaux. Surtout, il n'est plus question de passer commandes à Niemeyer. À entendre un ministre, désormais, «la place des architectes communistes est à Moscou». Niemeyer part donc pour l'Europe, la France en particulier, et cet exil lui donne l'occasion de faire essaimer son architecture jusqu'en Afrique du Nord. À Paris, Malraux lui fait bon accueil et de Gaulle l'autorise à travailler. Il bâtira donc une maison de la culture au Havre - le «Volcan» -, la Bourse du travail de Bobigny… Mais surtout, dès 1965, le siège du Parti communiste, place du Colonel-Fabien, à Paris. À sa façon, Georges Pompidou reconnaîtra les mérites du bâtiment, «seule bonne chose que les communistes aient faite».
Niemeyer rentre au Brésil au milieu des années 1970, où il continue de travailler, inlassablement. À la fin de sa vie, on estimait à quelque six cents le nombre de projets nés sous son crayon en perpétuel mouvement. Parmi ses dernières réalisations, le Musée d'art contemporain posé en 1996 sur les roches de la baie de Rio, à Niteroi, évoquant les lignes futuristes d'une soucoupe volante.
Le siège du Parti communiste, à Paris, place du Colonnel Fabien.
«Pour un monde meilleur»
Oscar Niemeyer est un vieux monsieur. Il est Prix Pritzker depuis 1988, ce qui équivaut à un prix Nobel, mais ne semble pas envisager de se retirer. Dans les années 2000, il reçoit volontiers les visiteurs dans son agence de Rio, dont les fenêtres donnent sur la plage de Copacabana, et leur présente les projets qu'il mène encore. Les édifices signés Niemeyer continuent en effet de sortir de terre.
L'auditorium de Ravello.
Début 2010, on inaugure un auditorium à Ravello, en Italie et, à Belo Horizonte, le nouveau siège du gouvernement de Minas Gerais est le plus grand bâtiment en béton armé suspendu au monde. L'architecte s'est déplacé plusieurs fois sur ce dernier chantier, mais le 4 février, lors de l'inauguration, il n'est pas là. Le 2 novembre 2012, il avait été admis à l'hôpital en raison d'une déshydratation et pour la pose d'une sonde gastrique, moins d'une semaine après avoir quitté ce même hôpital, le 27 octobre. Il venait d'y passer 11 jours pour cause de déshydratation. Le 5 décembre, un porte-parole de l'établissement annonce, sans plus de précisions, qu'il est décédé à 21h50.
S'il a consacré sa vie à modeler le béton, Oscar Niemeyer a toujours soutenu qu'il «est plus important d'aller protester dans la rue que de faire de l'architecture». Le vieux militant, membre du Parti communiste pendant quarante-cinq ans, n'a pas abandonné ses idéaux. À la fin de sa vie, il soutient le président Lula et son «ami» Hugo Chavez, au Venezuela. Dans son atelier, ces mots griffonnés sur un mur accompagnent une main tenant une fleur: «Por un mundo melhor.»