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Culture : le grand gaspillage
Publié le 27/09/2012 à 06:00
La Philharmonie de Paris, future salle de concert au nord de la capitale, a doublé son budget prévisionnel, pour arriver à 336 millions d'euros.
Une meilleure gestion des institutions permettrait de compenser en partie les réductions budgétaires.Ce n'est sans doute pas la conjoncture économique dont rêvaient les socialistes. Le budget de la culture (2,7 milliards d'euros), que François Hollande avait promis de sanctuariser pendant la campagne, va être mis à la diète comme les autres - on parle d'une baisse de 3 %, chiffre qui devrait être précisé demain. Déjà, la ministre de la Culture a annoncé l'abandon ou le report de plusieurs projets culturels. L'édition 2013 de «Monumenta», carte blanche donnée à un artiste contemporain au Grand Palais, a par exemple été annulée. Et Aurélie Filippetti a prévenu la plupart des présidents d'établissement, comme le Louvre ou le Centre Pompidou, que les temps seraient durs: le niveau des budgets de fonctionnement, parfois d'investissement mais aussi les subventions seront revus à la baisse. La plupart verront leur budget de fonctionnement fondre de 2,5 % par an et ce pendant trois ans. Les plus dotés, comme le Louvre, verront leur fonds de roulement ponctionné. Versailles devra reporter ses grands travaux. Enfin, le coût de la gratuité des entrées pour les moins de 26 ans et les enseignants ne sera plus compensé par l'État. Les premiers seront touchés dès 2013, tous les autres en 2014.
Sacrifier une expositionTandis que les présidents d'établissement ont fait assaut jusqu'à la dernière minute au ministère pour contenir la vague, chacun a déjà fait ses calculs. Alain Seban, président du Centre Pompidou, a fait savoir qu'il pourrait être amené à «sacrifier» une grosse exposition, faute de moyens. Le Louvre pourrait décaler à des jours meilleurs ses travaux de rénovation de la circulation sous la Pyramide. Le Grand Palais devra étaler ses travaux dans le temps. Il n'a en tout cas pas attendu l'annonce officielle pour annuler l'exposition consacrée à l'artiste pop, Robert Indiana, prévue à partir du 21 novembre.
En privé, le milieu culturel s'interroge. Ces sacrifices, nécessaires pour redresser le budget de l'État, cohabitent avec des dépenses inconsidérées, dues au manque d'organisation générale. Comme souvent dans le secteur public, l'impécuniosité côtoie la gabegie. Les emplois manquent, mais le temps de travail, dont celui des gardiens, est mal réparti. L'empilement des strates de décisions - État, régions, départements et communes - dilue les responsabilités et donne parfois lieu à de multiples subventions, épinglées par la Cour des comptes. Enfin, le manque de pilotage dans les grands projets comme le Mucem à Marseille finit par coûter cher.
À grands chantiers culturels, grande facture, cela va de soi. Mais de là à doubler le budget initial, il y a une marge. En 2007, puis à nouveau en 2012, la Cour des comptes s'est penchée sur l'argent public consacré aux 35 opérations les plus importantes (plus de 10 millions d'euros) achevées ou en cours ces cinq dernières années. Conclusions: tous les budgets ont dérapé. «Pilotage médiocre», selon les magistrats, sous-estimation au départ de la facture ou encore retards pris dans les chantiers (un classique) les raisons de cette inflation sont multiples.
Les travaux de rénovation de l'hôtel Salé, où se niche le Musée Picasso sont passés de 24,8 à 54,1 millions d'euros. Les travaux de restauration du Grand Palais, de leur côté, ont bondi de 60 à 106 millions d'euros. Le Mucem, à Marseille, promettait une enveloppe de 99,8 millions de travaux. Las! La note finale sera plus près des 160 millions d'euros.
Quant à la Philharmonie de Paris, future salle de concert au nord de la capitale, elle a doublé son budget prévisionnel, pour arriver à 336 millions d'euros. Ce dernier chantier, qui est en cours, pâti de son trop grand nombre de décideurs. Lancée par le président Jacques Chirac, inauguré par Nicolas Sarkozy, la future salle est financée par l'État (50 %) la région Ile-de-France et la Ville de Paris. La Philhar­monie de Paris a failli être abandonnée, en 2009. Bercy et les services de François Fillon avaient plaidé en ce sens, estimant que la nation n'avait plus les moyens de son ambition musicale. Sans se prononcer officiellement, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, aurait volontiers suivi François Fillon, d'autant que l'offre parisienne de concerts classiques est déjà assurée par la Salle Pleyel et le Théâtre des Champs-Élysées.
Et nul ne sait ce que représentera le budget de fonctionnement de cette nouvelle salle - certains estimant qu'en dessous de 100 millions d'euros, elle ne serait pas viable. Mais cette valse-hésitation a duré dix mois. Le temps pour l'Élysée - en faveur de la salle - et Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture de l'époque, de renverser la vapeur.
Tandis que le nombre de personnes se réduit comme peau de chagrin à la Culture, ceux qui sont encore là dans les musées ou dans les théâtres sont à la peine. C'est l'effet croisé d'un statut rigide et d'une gestion héritée du passé. «Alors que les musées sont devenus pour la plupart autonomes, le ministère continue, sauf exception, de gérer en direct les salaires et le personnel, regrette l'ancien député Nicolas Perruchot (NC), rapporteur spécial du budget de la culture entre 2006 et 2012. Celui qui dirige n'a pas la main, même en cas de grève.» Selon lui, dans les grands musées, un veilleur de nuit travaille 93 nuits par an, à raison d'une nuit travaillée pour quatre chômées. Quant aux gardiens de jour, ils sont en dessous des 35 heures, ce qui a pour effet des fermetures de salles au public.
Dans les théâtres nationaux, l'organisation du travail n'est plus compatible avec les conditions actuelles de production des pièces et des ballets. «Les techniciens viennent à heure fixe, pas forcément quand on a besoin d'eux. L'équipe de 9 heures à 16 heures ne croise pas celle de 16 heures à 24 heures, sauf si on paie des heures supplémentaires», constate un directeur sous couvert d'anonymat.
Au Théâtre national de Chaillot, à Paris, il y avait en 2010, des Okazou, appelés ainsi pour pallier d'éventuelles absences. Et parce que la plupart travaillaient loin de la lumière du jour, les agents bénéficiaient d'un congé d'oxygénation. Des ana­chronismes qui pourraient disparaître dans l'actuel toilettage de la convention collective.
Le gouvernement entend préserver l'enveloppe du spectacle vivant en 2013, soit 680 millions d'euros environ. L'argent, distribué par le ministre ou les 22 Drac (Direction régionale des affaires culturelles) en régions, sert à financer un champ très large: 37 centres dramatiques nationaux, 69 scènes nationales, 19 centres chorégraphiques, 12 opéras régionaux, etc. Sans compter plus de 800 compagnies dramatiques ou chorégraphiques, près de 300 ensembles musicaux et autant de festivals. La commission des finances de l'Assemblée nationale, en 2010 et la Cour des comptes, un an plus tôt, se sont penchées sur ce système «plein de contradictions et d'incohérences», selon la commission des finances. Certes, il garantit une vitalité des arts sur tout le territoire, mais ressemble à un maquis.
Ainsi, en 2009, l'État aidait l'Opéra de Lille à hauteur d'un million d'euros, lequel achetait 700.000 euros de spectacles au Concert d'Astrée. Mais cet ensemble musical était lui-même subventionné par l'État, à hauteur de 200.000 euros.
Les critères d'attribution, ainsi que les contreparties en termes de fréquentation restent, selon la cour, insuffisants et peu encadrés.
Les deux orchestres de Radio France, l'Orchestre national de France et ­l'Orchestre philharmonique de Radio France, programment souvent les ­mêmes répertoires et les mêmes œuvres ; le directeur de la musique ne coordonnant pas les deux chefs d'orchestre.
Chaque concert n'a lieu qu'une fois contre deux à l'Orchestre de Paris, trois en Allemagne ou dans les pays anglo-saxons, dans des formations similaires. Enfin, tous les concerts sont enregistrés et pourtant la politique discographique est balbutiante.