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Film anti-islam : dans les quartiers, la colère gronde
Mis à jour le 20/09/2012 à 07:38 | publié le 19/09/2012 à 20:25
Prière en milieu de journée à la mosquée Omar, rue Jean-Pierre-Timbaud, à Paris, en janvier 2012. Cet établissement est réputé pour être un lieu de rassemblement de nombreux intégristes.
Le film de série Z islamophobe parachève un sentiment diffus de persécution. Après l'annonce d'une prochaine manifestation dans la capitale, Paris est sous surveillance, mais la banlieue, également, s'agite. «On craint que ça n'explose. Dans les quartiers sensibles, la Cocotte-Minute est en train de siffler», met en garde Fatima Hani, secrétaire nationale d'Aclefeu, cette association créée au lendemain des émeutes de Clichy-sous-Bois qui avaient embrasé la banlieue en 2005.
Chargée de transmettre la parole des habitants des cités auprès des institutions, cette structure s'inquiète de l'effervescence fiévreuse qui gagne les quartiers. «Ça tweete comme jamais», reconnaît son président, Mohammed Mechmache. Depuis plusieurs jours, les jeunes parcourent sans relâche les réseaux sociaux, échangent des messages avec la ferme intention de manifester samedi à Paris.«Il faut arrêter de se laisser attaquer», y est-il écrit. «Toute cette génération est en colère. Pour les trois quarts, ils ne sont pas pratiquants, mais ils se sentent insultés», souligne Fatima Hani.
La tension est déjà viveCette rage qui s'exprime sur la Toile et peut-être demain dans la rue est exclusivement liée à la diffusion du film islamophobe. «Les jeunes n'achètent pas
Charlie Hebdo et les caricatures de Mahomet n'ont pas encore fait le tour des réseaux sociaux. Ils réagiront à cette publication plus tard dans la soirée», signale la responsable de l'association qui a soigneusement décrypté toutes ces réactions. «Depuis une semaine et jusqu'à vendredi dans le cadre d'un sondage sur ce film, j'ai entendu des jeunes de Clichy, de Montfermeil, de Bobigny», dit-elle. Au total, déjà trois cents habitants de 16 à 24 ans ont déjà répondu à un questionnaire.
À travers les réponses livrées, il apparaît clairement que ce film est, selon la responsable, «la goutte qui fait déborder le verre». «Entre les débats, tantôt sur la laïcité, tantôt sur la burqa, les musulmans se sentent sans cesse stigmatisés. Il y a une accumulation de ressentiments», explique-t-elle. Et ce brûlot de série Z parachève ce sentiment de persécution permanente.«Quand il a condamné la manifestation parisienne, Manuel Valls, ministre des Cultes, qui a dénoncé le film, aurait pu exprimer sa solidarité auprès des musulmans», signale Mohammed Mechmache. Une absence de soutien très mal vécue au pied des tours des cités où la tension est déjà vive.
Hasard du calendrier: on attendait, en effet, mercredi une audience concernant le non-lieu en faveur de deux policiers qui avaient poursuivi deux adolescents morts ensuite à Clichy. L'examen de l'affaire a finalement été reporté au 3 octobre, mais le climat reste, de toute évidence, tendu. Quant aux musulmans plus âgés, également interrogés par l'association, ils sont encore plus heurtés par ce film. «Parce qu'ils sont pratiquants. Du coup, ils n'apaisent pas les jeunes et certains iront aussi manifester», explique-t-on au sein de l'Aclefeu. Autour des mosquées, les visages sont d'ailleurs graves et fermés. C'est le cas à Paris, près de la mosquée Omar, cet établissement situé rue Jean-Pierre-Timbaud et réputé pour être un lieu de rassemblement de nombreux intégristes.
Les langues se délientPour couper court à toute discussion, certains sèchement affirment ne se soucier ni du film ni des caricatures de Mahomet. Ceux qui arborent la tenue salafiste sont d'ailleurs les plus prompts à garder le silence, sommant les autres d'en faire autant. Mais dans les cafés ou les librairies religieuses adjacents, les langues se délient: «On est tous en colère, et humiliés», certifie Imad tandis que Wissam, responsable de la librairie al-Bouraq, dénonce une politique à géométrie variable. «Au nom de la liberté d'expression, on accepte les caricatures de Mahomet dans la presse mais on interdit la liberté d'expression des musulmans qui veulent réagir contre ces parutions. Il faut autoriser la manifestation», dit-il.
D'autres, au contraire, lancent un appel vers les jeunes pour qu'ils ne manifestent pas. C'est le cas d'Amel, qui enseigne l'éducation islamique dans des écoles privées. Cette enseignante de 51 ans n'hésite pas à répandre la théorie du complot orchestré par les États-Unis et Israël. «Le film est un piège que l'on tend au monde musulman pour le faire basculer dans la violence. Il ne faut pas manifester», insiste-t-elle en redoutant des débordements en cas de rassemblement à Paris.