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Le pouvoir, une histoire de couples
Mis à jour le 10/08/2012 à 12:14 | publié le 10/08/2012 à 12:01
François Hollande et Valérie Trierweiler à Bormes-les-Mimosas. Depuis l'incident de son tweet anti-Royal, la compagne du président veille à ne pas gêner son action de chef de l'État.
Longtemps dans l'ombre, les épouses ou compagnes des présidents de la Ve République exercent une influence de plus en plus grande. Gouverner sans elles ? Mission impossible. Et malgré elles ?«On ne peut pas demander à une femme plus qu'on ne lui donne...» C'est François Mitterrand qui énonce cette règle devant le vieil ami qui a osé lui poser, en pleine partie de golf, la question que se chuchotent les familiers de la rue de Bièvre: à propos du jeune moniteur sportif, Jean, installé à demeure auprès de Danielle Mitterrand.La scène se passe dans les années 1970. Mitterrand ne sait pas encore que la maladie du président Pompidou va hâter son retour sur le devant de la scène. Mais il sait qu'il ne divorcera pas - même si Anne Pingeot lui annoncera bientôt qu'elle est enceinte de Mazarine. Il a conclu un pacte avec sa femme, qui est aussi la plus ardente de ses supporters: ils se retrouveront chaque dimanche rue de Bièvre pour le rituel dîner avec des proches et chaque 31 décembre dans leur «bergerie» landaise de Latché.
Danielle Mitterrand a compris qu'elle devrait partager son mari non seulement avec la passion du pouvoir mais avec d'autres femmes, en espérant seulement rester «la préférée». Elle a fait des dépressions, elle est partie, revenue, a parlé divorce... et a finalement pris sa décision. Ce qui ne l'empêchera pas de «créer autour de François un climat qui le libère de ses soucis» et de lui préparer ses tisanes au miel. Par amour? Par goût du pouvoir? Ou par sens du sacrifice? Si libéral, voire «féministe» qu'il se prétende, l'ambitieux ne demande-t-il pas à sa femme «beaucoup plus qu'il ne lui donne»? À moins de disparaître dans la foule sous un voile, elle ne peut refuser ni les honneurs ni les contraintes - dîners officiels, visites de crèches, banquets de retraités et autres arbres de Noël de la mairie ou du palais - ni surtout la médiatisation liée à sa proximité avec un homme célèbre.
Yvonne et Charles de Gaulle.
Interrogée sur le «cas» Valérie Trierweiler - la compagne de François Hollande, qui a tant revendiqué son indépendance et son salaire de journaliste, mais qui s'est brûlé les doigts en révélant, d'un tweet, à la fois sa jalousie de «seconde compagne» et son désir de pouvoir -, Cécilia Attias ex-Sarkozy tranche: «Il faut tout prendre ou tout laisser.» Elle pourrait ajouter «et il faut mesurer, dix ans avant, à quoi l'on s'engage...» Longtemps, la question ne s'est même pas posée. On le savait: «La gloire est le deuil éclatant du bonheur.» (Germaine de Staël.) D'ailleurs, les filles n'étaient pas élevées dans le culte du «droit au bonheur»: on leur inculquait, tout autant qu'aux futurs militaires, le sens du devoir.
Chez Yvonne de Gaulle, ce dévouement touche à l'héroïsme: le 16 juin 1940, elle embarque à Brest à bord d'un ferry - à cinq dans une cabine avec la petite Anne handicapée et sa gouvernante pour une nuit d'enfer jusqu'à l'Angleterre - sans savoir si elle y retrouvera son mari, qui multiplie les allers-retours entre Bordeaux et Londres. Avant d'«entrer dans l'aventure», Charles lui a écrit: «Rien ne compte que ceci: il faut sauver la France.» Les choses changent-elles avec les générations suivantes? Premier constat: dès que son mari entre en campagne électorale, la femme la plus indépendante devient, comme le souligne Bernadette Chirac avec humour, «l'humble servante du Seigneur». Danielle Mitterrand prépare son confit de canard. «Au retour d'un meeting, raconte
Le Journal du dimanche (janvier 1988), François vient s'asseoir au bord de son lit et lui raconte sa journée.» La philosophe Sylviane Agacinski-Jospin, dont le mari, premier ministre candidat contre le président Chirac, se vante («ma femme existe par elle-même»), confie à la presse féminine que le plat favori de «Lionel» est la purée de pommes de terre qu'elle lui prépare avec amour.
Après sa parenthèse élyséenne, Carla Bruni-Sarkozy compte bien reprendre sa carrière de chanteuse.
Quant à Carla Bruni-Sarkozy, la star du show-biz, elle entame sa carrière de première dame en petit tailleur gris pour faire la révérence à la reine d'Angleterre ; elle la termine en parfaite «ménagère de moins de 50 ans» qui affirme regarder toutes les émissions télévisées grand public en pouponnant sa petite Giulia et, le soir venu, préparer un plat de pâtes pour «son homme»...
Commediante... Il faut savoir jouer la comédie quand on est la compagne d'un homme politique. On pense à Anne Sinclair et à son «nous nous aimons comme au premier jour» lorsque DSK provoque un premier scandale à Washington par sa liaison avec une collaboratrice du FMI. On pense aussi à Hillary Clinton volant au secours de «Bill» dont elle espérait être le successeur à la Maison-Blanche. On reste sidéré par les images d'Asma, la ravissante épouse britannique et syrienne, folle de haute couture française et italienne, grâce à laquelle Bachar el-Assad a si longtemps réussi à masquer son visage de dictateur.
Avant d'entrer à l'Élysée, chaque première dame pose ses conditionsÀ l'inverse, l'épouse modèle décide-t-elle, comme Veronica Berlusconi, de clamer sa vérité? L'indétrônable président du Conseil italien est bientôt déchu. Malheur à qui rompt le pacte! Valérie Trierweiler se l'est vu publiquement rappeler par François Hollande: «Les affaires privées se règlent en privé.» On saura dans les mois à venir s'il n'était pas déjà trop tard, ce 14 Juillet, pour changer d'image et regagner la confiance des électrices de gauche: celles-ci, en effet, en veulent particulièrement à la journaliste de
Match d'avoir fragilisé son compagnon présidentiel. Certes, avant la «tweeteuse», chaque première dame avait posé ses conditions. Mais chacune avait respecté le pacte. Claude Pompidou n'accepte de s'installer à l'Élysée que parce que son mari lui promet de préserver leur «jardin secret». Anne-Aymone Giscard d'Estaing colle des enveloppes pour le «candidat du changement» et consent - en prenant énormément sur elle - à dire quelques mots de voeux aux Français à la télévision, pour se conformer à l'idée qu'il se fait de l'épouse, forcément «moderne», d'un «Kennedy français». Mais elle préserve l'intimité de la famille et trouve sa liberté en faisant du deltaplane. Bernadette Chodron de Courcel prépare des fiches de lecture à Sciences-Po pour le beau Jacques Chirac avant, jeune mariée, de prendre le train de nuit pour Ussel afin de se rendre utile: à M. le curé pour la réfection du clocher, à M. le directeur de l'école publique... Mais elle ne transige pas sur certains principes.
En 1978, Chirac dénonce-t-il, après avoir démissionné de son poste de premier ministre de Valéry Giscard d'Estaing, le «parti de l'étranger»? Bernadette désigne la conseillère du chef du RPR, Marie-France Garaud: «Ce sera elle ou moi!» déclare-t-elle au magazine
Elle, dans une interview aux effets aussi ravageurs que, trente-quatre ans plus tard, le fameux tweet de la compagne du président Hollande. Chirac redevenu premier ministre - cette fois, de Mitterrand -, c'est Danielle Mitterrand qui crée le scandale: «Le gouvernement fait tout et n'importe quoi!» lâche-t-elle au
JDD. Le maître de l'Élysée s'en montre agacé. Deux jours plus tard, cependant, il se rend à Europe 1: il «admire», assure-t-il, «l'action» de sa femme. Toujours, le pacte secret.
Claude et Georges Pompidou. Première dame de 1969 à la mort de son époux en avril 1974, Claude Pompidou fuyait la vie politique.
Observons d'ailleurs ceci: l'épouse qui prend politiquement ses distances finit souvent par servir les intérêts de son homme. Avec son amitié pour Fidel Castro et son soutien aux Sahraouis, la fondatrice de France Libertés dérange. Mais ne permet-elle pas au «Florentin» Mitterrand de récupérer des milliers de voix perdues sur sa gauche? Et Bernadette Chirac? N'est-ce pas grâce à son opération «Pièces jaunes» et à ses convictions affichées de catholique conservatrice que Chirac gagne, le 21 avril 2002, trois points décisifs sur Jean-Marie Le Pen? Ce soir-là, pour la première fois, il le reconnaît: «Bernadette avait vu juste.» Avant elle, Claude Pompidou fuyait au contraire la politique. Mais quand elle confiait la décoration des appartements privés de l'Élysée au designer Paulin, ne servait-elle pas le dessein de modernisation industrielle du président, qui proclamait «Chère vieille France! La bonne cuisine! (...) C'est terminé!»? Pompidou n'ajoutait pas à sa liste d'institutions désuètes «les bonnes oeuvres». Il était trop fin connaisseur de l'histoire de France pour cela. Démodé, le rôle caritatif des premières dames? Valérie Trierweiler l'a cru, qui répliquait «question de génération!» quand on lui parlait des fondations de mesdames de Gaulle, Pompidou, Giscard d'Estaing, Chirac et Sarkozy. Or, il y a quelques semaines, la compagne du président Hollande se rendait - non sans signaler sa présence au café du coin - dans un institut pour enfants handicapés du Pas-de-Calais... Éternel recommencement.
Une double rupture, historique, a pourtant éclaté en 2005. Cette année-là, Cécilia, à qui Nicolas Sarkozy a promis «je te ferai monter les marches de l'Élysée», cesse de croire au bonheur de régner. L'épouse «fusionnelle» qui partageait depuis quinze ans avec son impérieux amoureux non seulement les épreuves de la vie politique mais une part des responsabilités - au point de promouvoir des conseillers auprès du ministre de l'Intérieur, de participer aux déjeuners de préfets et d'assister personnellement à l'entraînement des policiers du Raid - lâche sur une chaîne: «Être First Lady, ça me rase.» Soudain, elle se voit prise au piège, privée d'existence propre et livrée aux critiques. «Tu n'es pas seule, Cécilia!» lui répète «Nicolas», inquiet. Mais deux ans plus tard, à peine gravies les marches du palais, Cécilia, amoureuse d'un homme qui n'est ni roi ni président, partira. Une première dans l'histoire de France. Bien que plusieurs fois ministre et, depuis 2004, présidente de la Région Poitou-Charentes, Ségolène Royal, cet été-là, joue encore les «groupies» de François Hollande, allant jusqu'à vanter son «travail de titan» à la tête du PS... À l'automne, pourtant, elle laisse percer son ambition. Dépit de femme trompée? Prise de conscience de son propre charisme? Bientôt, le premier secrétaire n'a plus qu'à agiter son mouchoir, plein d'amertume, en regardant sa compagne le doubler. Là encore, c'est une première.
Le moule séculaire du couple type au pouvoir n'existe plusNos deux quinquas ont-elles cassé le moule séculaire du couple type au pouvoir? Après elles, pourtant, bien des femmes épauleront encore leur mari candidat avec l'ardeur d'une Michelle Obama, qui a renoncé à sa brillante carrière d'avocate pour devenir, à la Maison-Blanche, la championne de campagnes contre l'obésité des enfants ou contre l'absence des pères. Trois ans avant la présidentielle française, Valérie Dupont-Aignan a elle aussi abandonné sa robe d'avocat pour être l'assistante du fondateur de Debout la République «car, sinon, on ne se verrait plus». Toute une génération de quadras et trentenaires féminines se lance en revanche sans complexe dans la course au pouvoir pour son propre compte. Certaines, comme Rachida Dati, ont choisi l'indépendance de mère célibataire ; d'autres citent la chancelière Angela Merkel (mariée, sans enfant) ; mais la plupart vivent en couple et sont mères de famille.
Comme Marine Le Pen, la présidente du FN, elles ont choisi un compagnon engagé à leurs côtés. Comme la polytechnicienne NKM, ex-porte-parole du candidat Sarkozy, elles plaident pour la fin des «modèles»: «Pas plus que les hommes ne doivent se laisser enfermer dans la performance, les femmes ne doivent se laisser “corneriser” dans les crèches.» Comme Valérie Pécresse, l'ancienne ministre UMP du Budget, énarque major d'HEC, elles sortent de leur réserve pour postuler à des postes réputés masculins, mais concèdent, à la manière de Najat Vallaud-Belkacem, ministre socialiste des Droits des femmes, ne pouvoir gérer cette situation sans l'appui d'un «mari formidable» qui s'occupe des enfants. Sans une femme dévouée, combien d'hommes politiques auraient-ils pu réaliser leur grand dessein? Sans un homme pour les épauler, les conquérantes le savent: être à la fois mère de famille et femme politique de premier plan relève de l'exploit de «Dame de fer».