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Les opposants d'el-Assad traqués jusqu'à Berlin
Mis à jour le 10/02/2012 à 23:22 | publié le 10/02/2012 à 18:43
Jeudi, quatre employés de l'ambassade de Syrie à Berlin ont été expulsés en relation avec une affaire d'espionnage d'opposants syriens.
Figure des Verts allemands à Berlin, Fehrad Ahma est aussi un opposant très actif au régime syrien de Bachar el-Assad. Son passage à tabac par deux sbires du régime baasiste a provoqué une vague d'émoi dans toute l'Allemagne.
La répression du printemps arabe s'est invitée dans son appartement de Wedding au lendemain de Noël. Figure des Verts allemands dans ce quartier multiculturel de Berlin, Fehrad Ahma est aussi un opposant très actif au régime syrien de Bachar el-Assad. Son passage à tabac par deux sbires du régime baasiste a provoqué une vague d'émoi dans toute l'Allemagne. Et déclenché un sursaut des autorités allemandes face aux agissements des services secrets syriens outre-Rhin.
Surveillé depuis des annéesLe 26 décembre, Fehrad Ahma passe la soirée à échanger des informations sur Skype avec des opposants en Syrie et à regarder des vidéos des violences commises par le régime. Lorsqu'il entend frapper à sa porte vers deux heures du matin, il pense que ses voisins viennent se plaindre de ses conversations trop bruyantes. «J'avais à peine entrouvert la porte lorsque deux brutes ont donné un coup d'épaule et ont fait irruption chez moi, raconte-t-il au Figaro. Les deux hommes, âgés d'une trentaine d'années, n'étaient pas masqués et ressemblaient clairement à des Syriens. Ils n'ont pas dit un mot. Ils m'ont frappé à coups de matraque en cherchant à atteindre le visage.»
Les agresseurs prennent la fuite lorsqu'un voisin réveillé par le bruit ouvre sa porte. Lui s'en sort avec des contusions au visage et aux bras. Membre du Conseil national syrien, qui regroupe les opposants au gouvernement de Bachar el-Assad, Fehrad Ahma est surpris mais pas étonné. Ce traducteur se sait surveillé depuis plusieurs années. «J'ai remarqué que j'étais suivi et que l'on me prenait en photo, explique Ahma, 37 ans, qui a fui son village kurde d'al-Qamischli, à la frontière avec la Turquie, en 1996. Les moukhabarat [membres des services de renseignements syriens] rendent régulièrement visite à mon père resté à al-Qamischli. Ils lui disent que je n'ai rien à faire dans les manifestations contre le régime à Aix-la-Chapelle, à Hanovre ou à Berlin. Ils lui disent que je ferais bien de me tenir tranquille et à l'écart de la politique pour le bien de tous.»
Son père, son oncle et ses frères ont déjà effectué plusieurs séjours en prison. Leur village subit des coupures punitives d'électricité et d'eau. Cela n'empêche pas Ahma de continuer ses activités. Il organise des manifestations devant l'ambassade syrienne pour dénoncer les «crimes du régime», ou devant l'ambassade russe pour protester contre le veto de Moscou à une résolution du Conseil de sécurité - «un permis de tuer offert à el-Assad». Il égraine le nombre des tués, par date, à Homs, Hama ou Deraa. Et réclame l'ouverture de corridors humanitaires, l'intervention de la Croix-Rouge et de la communauté internationale. «Je pensais que je pouvais être agressé en marge d'une manifestation, affirme-t-il. Mais pas chez moi en pleine nuit. J'ai porté plainte et les Verts ont médiatisé l'affaire. Résultat: l'ambassadeur syrien a été convoqué au ministère allemand des Affaires étrangères et les autorités allemandes se sont réveillées.»
La police et les services allemands découvrent alors l'étendue des agissements des espions syriens en Allemagne, où vivent quelque 50.000 Syriens, dont 30.000 ont la nationalité allemande. Jeudi, quatre employés de l'ambassade de Syrie à Berlin ont été expulsés en relation avec une affaire d'espionnage d'opposants syriens. Mardi, deux agents «soupçonnés d'avoir travaillé pendant plusieurs années pour un service de renseignements syrien en espionnant des opposants syriens dans la République fédérale» ont été placés en détention. «L'un d'entre eux travaillait à l'ambassade syrienne», précise Ahma, qui figure en 236e position sur une liste d'opposants recherchés par le régime syrien, établie en mars 2007. «Si je suis considéré comme un traître par le régime, ça veut dire que j'ai peut-être réussi quelque chose ici, se félicite-t-il. Mais je sais que je ne pourrais pas rentrer en Syrie tant qu'el-Assad sera au pouvoir.»
Ferhad Ahma voudrait mettre son expertise au service de la reconstruction d'un pays démocratique et sensible aux questions écologiques. «Nous n'avons pas beaucoup d'argent ni d'armes, lâche Ahma. Mais c'est fini pour el-Assad. Il peut envoyer ses chars à Deraa ou à Homs… le mur de la peur est tombé. C'était son arme la plus féroce. Nous voulons la liberté. La question est maintenant de savoir combien de milliers de Syriens mourront avant qu'il ne quitte le pouvoir. Et combien de temps la communauté internationale restera les bras croisés face aux massacres d'innocents.»