Le Monde.fr | 13.05.2014 à 16h21 • Mis à jour le 14.05.2014 à 09h42 | Par Magali Judith
Abubakar Shekau, le chef de Boko Haram, revendique l'enlèvement des jeunes lycéennes, le 5 mai 2014.
Dans une nouvelle vidéo, le chef de Boko Haram, Aboubakar Shekau, a affirmé, lundi 12 mai, avoir converti à l'islam les 223 lycéennes nigérianes enlevées à la mi-avril dans le nord-est du pays. Il exige, en échange de leur libération, celle de prisonniers du groupe islamiste aux mains du gouvernement. Ces derniers mois, les militants de Boko Haram ont multiplié les actions en tous genres.
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Que signifie « Boko Haram » ?
Le nom officiel du groupe est Jama'atu Ahlul Sunna Lidda'awati Wal Djihad, qui signifie en arabe « la communauté des disciples de la tradition de l'islam pour la prédication et la guerre sainte ». Des populations locales du nord-est du pays l'ont pourtant surnommé Boko Haram, qui en langue haoussa signifie « l'éducation occidentale est un péché » — « boko », de « book », « livre » en anglais, et « haram » , « interdit » en arabe —, soit le rejet d'un enseignement perverti par l'occidentalisation.
Quelles sont les revendications de Boko Haram ?
Fondé en 2002 par Mohamed Youssouf, le groupe est considéré comme une secte de mouvance salafiste qui revendique la création d'un Etat islamique dans le nord du Nigeria. Il prône le retour à la pureté de l'islam par l'application stricte de la charia, la loi islamique.
Boko Haram défend une version radicale de l'islam, qui interdit aux musulmans de prendre part à toute activité politique ou sociale associée aux sociétés occidentales, comme voter lors des élections, porter des chemises et des pantalons ou recevoir une éducation séculière. Il s'oppose à l'instruction des femmes.
Le groupe considère le Nigeria comme un Etat gouverné par des autorités impies et corrompues. Ce pays de 160 millions d'habitants, divisé entre le Nord à majorité musulmane et le Sud principalement chrétien, a pour président Goodluck Jonathan, un chrétien.
Qui sont-ils ?
Le groupe est formé de plusieurs entités distinctes et autonomes : « Il y a le noyau dur radical qui gravite autour d'Aboubakar Shekau [le nouveau chef de la secte depuis 2009] et des éléments agissants pour des raisons purement économiques et opportunistes, sans forcément adhérer pleinement à l'idéologie de Boko Haram », explique Priscilla Sadatchy, analyste sur les questions sécuritaires en Afrique.
Boko Haram ne semble pas avoir de liens directs avec Al-Qaida, même si des liens pourraient exister avec des groupes liés à la nébuleuse islamiste, comme Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Il existe une continuité idéologique avec Al-Qaida mais leurs priorités ne sont pas les mêmes. « Boko Haram ne s'inscrit pas encore dans le djihad international car son agenda reste nigérian, explique Priscilla Sadatchy. Le groupe est lui-même partagé en interne sur la question, ce qui renforce l'ambiguïté. »
Le groupe adopte néanmoins le mode opératoire des groupes terroristes. La multiplication des attentats-suicides et la stratégie de communication (déclarations par des vidéos) sont calquées sur celle des filiales d'Al-Qaida. Boko Haram a été placé sur la liste des organisations terroristes par les Etats-Unis en 2013.
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Combien sont-ils ?
Il est impossible de comptabiliser le nombre de personnes appartenant à Boko Haram, le recrutement de ses membres évoluant constamment. « Il y a des centaines de combattants qui ont été tués ces dernières années lors des nombreuses opérations menées par l'armée et la police », explique Gilles Yabi, chercheur indépendant et ancien directeur du projet Afrique de l'Ouest de l'organisation International Crisis Group. « Mais le groupe parvient toujours à se renouveler, et donc à recruter, ce qui rend le nombre d'adeptes imprécis », ajoute le chercheur.
Le mode de recrutement est assez flou car le groupe est entré dans la clandestinité en 2009. « Les leaders semblent recruter dans les classes les plus pauvres du pays, notamment dans la jeunesse déscolarisée, passée par une école coranique ou dans les régions où il n'y a pas de politiques publiques », analyse Gilles Yabi.
Comment le groupe a-t-il agi depuis sa création ?
Boko Haram lance ses premières offensives contre les forces de sécurité en décembre 2003. Ses actions étaient essentiellement dirigées contre le gouvernement nigérian et les forces de sécurité.
En 2009, des militants de Boko Haram sont blessés lors d'un contrôle de police. La secte lance plusieurs attaques et l'armée répond par une répression massive. Mohammed Youssouf est alors arrêté et tué par des policiers : il devient martyr.
L'arrivée d'Aboubakar Shekau, ancien numéro deux, à la tête de la secte marque un tournant. Le groupe passe à la clandestinité et multiplie les attaques à la bombe et les attentats-suicides, de plus en plus violents et sophistiqués, contre les autorités et les civils, ciblant notamment les chrétiens. « Depuis, le groupe ne cesse de se radicaliser et plus la répression est forte, plus le groupe se radicalise », résume Priscilla Sadatchy.
En mai 2013, Goodluck Jonathan décrète l'état d'urgence dans le nord-est du pays, à la suite des attaques meurtrières. Ces territoires échappaient au contrôle des autorités. L'armée, appuyée par des jeunes locaux, envoie donc des troupes dans la région. Boko Haram multiplie les attaques contre les civils, en représailles mais aussi dans le but de dissuader les populations locales de coopérer avec l'armée.
La revendication par Boko Haram de la prise d'otages de la famille Moulin-Fournier, le 19 février 2013 – ils ont été libérés en avril 2013 –, au Cameroun, est une stratégie inédite du groupe islamiste. Une faction dissidente de Boko Haram, Ansaru, avait néanmoins révendiqué plusieurs enlèvements d'étrangers, dont celle de l'ingénieur français Francis Collomp, libéré en novembre 2012. Boko Haram a revendiqué l'enlèvement, dans la nuit du 13 au 14 novembre 2013, dans le nord du Cameroun, du prêtre catholique français Georges Vandenbeusch, libéré le 31 décembre.
L'enlèvement des quelque 200 lycéennes le 14 avril est sans précédent par son ampleur, mais le groupe avait déjà pris pour cible des établissements scolaires dans le nord-est du pays, incendiant des écoles ou massacrant des étudiants dans leur sommeil. « Le mode opératoire de Boko Haram n'est pas figé, le groupe ne cherche pas à se limiter », résume Gilles Yabi.
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Le groupe, cantonné dans le nord-est du Nigeria, peut-il étendre son champ d'action dans le reste du pays ?
Dès 2011, le groupe avait changé sa stratégie, ne se cantonnant plus à des attaques contre les autorités locales du nord-est du pays. Des attentats-suicides ont alors visé le siège des Nations unies, le QG de la police et les locaux d'un des grands quotidiens du pays à Abuja, la capitale fédérale située dans le centre du Nigeria.
L'attentat à la bombe qui s'est produit le 14 avril à Abuja laisse présager que le groupe a vocation à s'étendre au Nigeria, d'autant plus que des élections présidentielle et législatives sont prévues en février. « Ce n'est pas surprenant que le groupe se rapproche de la capitale, centre du pouvoir, explique Priscilla Sadatchy. En attaquant la capitale, il s'assure une large couverture médiatique, ridiculise le président Goodluck Jonathan, maintient la pression sur le gouvernement et instille un climat de terreur dans tout le pays. »
La « Middle Belt », zone du milieu du Nigeria où se rencontrent le Nord musulman et le Sud chrétien, est vulnérable. « Le groupe peut chercher à instrumentaliser et à attiser les violences ethnico-foncières prévalant dans cette région », estime Priscilla Sadatchy.
Boko Haram n'a pas vocation à s'implanter dans le delta du Niger, la zone pétrolifère du sud du Nigeria, car la région est majoritairement chrétienne et les groupes ethniques ne sont pas les mêmes que dans le Nord-Est. Les membres de Boko Haram auraient moins de chances de passer inaperçus pour se fondre dans la masse. « Mais on ne peut écarter l'hypothèse d'une attaque one-shot, souligne Priscilla Sadatchy. Sans avoir eu à mener des attaques, le groupe crée déjà une sorte de paranoïa et attise les tensions ethnico-religieuses au Nigeria. »
Boko Haram pourrait donc agir partout à n'importe quel moment, mais la généralisation du mouvement à tout le pays est peu probable. « Le groupe s'infiltre dans des populations locales dont il connaît la langue et les coutumes, autrement il pourrait rapidement se faire repérer », assure Gilles Yabi.
Les pays voisins risquent-ils d'être également visés ?
Les plus de deux cents lycéennes seraient retenues dans les pays voisins du Nigeria comme le Tchad, le Cameroun ou le Niger. L'éventualité d'une extension du mouvement dans la région est à envisager mais les analystes restent prudents. « Boko Haram n'a pas vocation à se répandre, explique Priscilla Sadatchy. Il y a des cellules de Boko Haram dans les pays voisins comme dans l'extrême nord du Cameroun, la région de Diffa au Niger ou au Tchad mais à ce stade les pays voisins servent de zones de repli et d'approvisionnement en armes ou en combattants. » Mais « des attaques ponctuelles peuvent très bien avoir lieu ».