Le Monde.fr | 14.05.2014 à 11h17 • Mis à jour le 14.05.2014 à 11h23 | Par Rémi Barroux
La taxe poids lourds a concentré la colère en Bretagne, une région traumatisée par les plans sociaux dans l'agroalimentaire.
La divergence est actée. Les députés, membres de la mission d'information sur l'écotaxe poids lourds, restent, dans leur grande majorité, attachés au dispositif de l'écotaxe, récusé par la ministre de l'écologie, Ségolène Royal.
Jean-Paul Chanteguet, président (PS) de la commission du développement durable de l'Assemblée, doit présenter, mercredi 14 mai, la nouvelle version de ce qu'il rebaptise « écoredevance poids lourds ». Les parlementaires proposent notamment une franchise de 400 kilomètres pour épargner les camions parcourant de courtes distances et ne pas pénaliser l'économie de proximité.
La Bretagne, à la pointe du combat contre l'écotaxe, continuerait de bénéficier de conditions spéciales : les distances pouvant être parcourues grâce à cette franchise seraient multipliées par deux. L'Aquitaine et Midi-Pyrénées, déjà épargnées dans le dispositif précédent, bénéficieraient d'un facteur 1,4.
Cette franchise, qui représente la somme de 52 euros, sur la base d'un tarif de 13 centimes du kilomètre, serait aussi soumise à un barème tenant compte du poids et des émissions polluantes. Ainsi, les moins polluants et les moins lourds pourraient parcourir jusqu'à 844 kilomètres avant d'être taxés. Les plus sales seront pénalisés à partir de 281 km. Cette mesure permettra, selon M. Chanteguet, de renforcer la prise en compte du principe « pollueur payeur ». Un fonds de modernisation serait créé pour aider les entreprises à renouveler leur parc de véhicules et à investir dans les camions les moins polluants, les véhicules électriques bénéficiant du taux le plus avantageux.
EXPÉRIMENTATION À L'ÉCHELLE NATIONALE
Le rapport de la mission parlementaire propose aussi une expérimentation à l'échelle nationale, sur l'ensemble du réseau, d'une durée minimale de quatre mois. Pour M. Chanteguet, cette écoredevance pourrait sans doute être mise en œuvre en 2015. Pour aider les entreprises qui ont besoin de visibilité sur leurs finances, il est aussi proposé de garantir durant trois ans les tarifs de cette écoredevance.
Ces propositions de la mission d'information visent à rendre acceptable une taxe qui a toujours été refusée par les transporteurs et les donneurs d'ordre, et qui a suscité la colère bretonne. Convaincront-elles la ministre de l'écologie qui, sans attendre les conclusions des parlementaires, avait annoncé la mort de l'écotaxe ?
Pour calmer le jeu, Ségolène Royal a indiqué attendre ce rapport des députés puis le 27 mai celui des sénateurs chargés d'enquêter sur les conditions d'attribution du marché avec la société Ecomouv, en charge de la gestion du dispositif et du prélèvement de la taxe. Elections européennes obligent, la ministre a indiqué qu'elle présenterait son dispositif début juin.
ENCOURAGER LE TRANSPORT FERROVIAIRE ET FLUVIAL
A l'origine, l'écotaxe est née d'un réel consensus politique. Conçue durant le Grenelle de l'environnement en 2007, votée en 2009 par la doite et la gauche, cette redevance visait à faire payer au fret routier (les camions de plus de 3,5 tonnes) la dégradation des routes et la pollution qu'il génère. Elle était censée encourager un report vers d'autres modes, ferroviaire et fluvial, et devait financer les projets d'infrastructure nationaux.
Le consensus s'est brisé sur la colère des bonnets rouges bretons, à l'automne 2013 et le démontage obstiné des portiques dans l'ouest de la France. En fait, l'écotaxe a été victime de plusieurs reports, pour des raisons techniques d'abord. Devant être appliquée au 1er juillet puis au 1er octobre 2013, elle a été reportée « sine die » par le premier ministre fin octobre. Ségolène Royal a voulu lui donner le coup de grâce. Dès son arrivée à l'hôtel de Roquelaure, la ministre a dit vouloir refuser l'association des mots « écologie » et « taxe ».
Lire : Ségolène Royal rallume la guerre de l'écotaxe
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Lors de son audition devant les membres de la mission parlementaire, le 30 avril, la ministre a proposé de taxer les seuls poids lourds étrangers et d'obliger les camions à emprunter les autoroutes. Pour compenser le manque à gagner de l'écotaxe, elle proposait de récupérer auprès des sociétés d'autoroute une partie des bénéfices générés par le trafic supplémentaire.
FINANCER LES PROJETS D'INFRASTRUCTURES
De leurs côtés, les parlementaires et les élus locaux attendent surtout de savoir comment les projets d'infrastructures, transports urbains durables, lignes ferroviaires à grande vitesse, contournements de ville, etc., pourront être financés.
Lire : Près de 120 projets de transports durables suspendus au sort de l'écotaxe
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Le manque à gagner de la suspension de l'écotaxe représente une perte mensuelle de 100 millions d'euros. Cet argent devait servir à abonder l'Agence de financement des infrastructures de transports de France, dont les finances sont dans le rouge. A-t-on les moyens de se passer de cette taxe ? s'interrogent, pragmatiques, de nombreux députés.
Le ministre des finances, Michel Sapin, a rappelé, lui, le 7 mai sur RTL, que « s'il n'y a pas la recette, il n'y a pas la dépense (…). Soit on trouve d'autres recettes, soit on diminue le programme de travaux ». De quoi motiver les parlementaires.