Le Monde.fr | 02.05.2014 à 20h37 • Mis à jour le 03.05.2014 à 08h07 | Par Magali Judith
Lyon, le 22 mars 2014. Mériam Rhaiem et son avocat, Me Gabriel Versini-Bullara donnent une conférence de presse pour que l'Etat français reconnaisse le statut d'otage pour Assia, sa fille de 2 ans, enlevée par son père mi-octobre 2013.
« Je n'ai pas de nouvelles de ma fille depuis janvier. La dernière fois que j'ai eu son père au téléphone, il ne voulait pas que je l'entende », confie Mériam Rhaiem. La jeune femme, originaire de l'Ain, affirme que sa fille Assia, âgée de 2 ans, a été enlevée à la mi-octobre 2013 en Syrie par son ancien compagnon. Le père de l'enfant aurait prétexté de faire les courses avec sa fille pour disparaître. Selon la jeune femme, il aurait été « endoctriné » à la suite d'un pèlerinage à La Mecque. Le père est actuellement recherché par Interpol et Mériam Rhaiem demande à ce que sa fille soit reconnue comme otage.
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Ils seraient 250 Français sur place, dont moins de vingt seraient mineurs, selon le ministère de l'intérieur ; 120 seraient en transit. Derrière chacun d'entre eux, toute une famille, inquiète et dans l'incompréhension. A chaque fois, le processus est le même : ils se convertissent ou s'intéressent de plus en plus à l'islam, puis basculent dans un endoctrinement sectaire de l'islam radical, souvent par le biais de vidéos pro-djihad sur Internet.
Une fois en Turquie ou en Syrie, les jeunes contactent leurs proches pour leur expliquer leurs réelles intentions : combattre, pour les hommes, « faire de l'humanitaire », pour les jeunes filles.
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Jeudi, un Algérien soupçonné de recruter des Français pour faire le jihad en Syrie a été expulsé du territoire. C'est la première expulsion d'un ressortissant français depuis la mise en place du plan anti-jihad par le nouveau ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve la semaine précédente. BFMTV est parti en Savoie à la rencontre de ses proches, qui décrivent une personne loin du mouvement jihadiste.
« AUCUN SIGNE AVANT-COUREUR »
Ils affirment ne pas vouloir revenir en France et donnent des nouvelles lacunaires… encore faut-il que ce soit eux qui s'expriment. « A chaque fois, on essaie de voir avec mes parents si c'est bien ma sœur qui nous parle sur Facebook », explique Jonathan Mehenni, qui n'a eu sa sœur Sarah, 17 ans, que trois fois au téléphone depuis son départ. La jeune fille aurait quitté le domicile familial de Lézignan-Corbières (Aude), le 11 mars, direction la Syrie. Mais il n'y avait « aucun signe avant-coureur de son départ », raconte Jonathan Mehenni.
Elle devait aller à l'école, mais en réalité, elle se serait rendue à l'aéroport de Marseille. « Lorsqu'on a su qu'elle était sur une liste d'embarquement Marignane-Istanbul, on ne s'y attendait pas », s'attriste Jonathan Mehenni.
Même situation pour Fouad El Bathy, le frère de Nora, 16 ans, partie fin janvier 2014 : « Ma sœur n'écrit pas en langage SMS et a l'habitude de construire ses phrases. Lorsque ce n'est pas le cas, on sait que ce sont d'autres personnes qui écrivent. » Fouad El Bathy affirme avoir cherché Nora « partout dans Avignon », le 23 janvier au soir. Il appelle la police et les hôpitaux, mais reste sans nouvelles. C'est en se rendant à son lycée le lendemain qu'il apprend l'existence d'un deuxième compte Facebook : « C'était le choc, assure le jeune homme, il y avait des appels à l'hijra [l'émigration d'un musulman vers un autre pays musulman] et des publications sur le culte des armes. »
Le discours est le même pour les jeunes filles parties « faire de l'humanitaire » : elles appellent pour dire qu'elles sont « heureuses » et qu'elles ne reviendront pas en France, car c'est un « pays de mécréants ». L'endoctrinement est maîtrisé, la parole, contrôlée : « Au début, elle me faisait répéter mes questions et les reformulait pour savoir si elle avait l'approbation des autres pour y répondre », explique Jonathan Mehenni.
Le frère de Nora, lui, observe que sa sœur n'appelle jamais seule : « Elle doit être en haut-parleur, on entend des enfants derrière elle et il doit y avoir des femmes qui la manipulent, on sent qu'elle n'est pas libre lorsqu'elle parle. » Mais le discours de Nora a changé depuis son arrivée en Syrie : « Mi-mars, on l'a eue en pleurs au téléphone. Elle a réfléchi et elle disait qu'elle voulait revenir », explique-t-il.
UNE AIDE TIMIDE DE L'ÉTAT
Alors que le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, a présenté l'esquisse d'un plan gouvernemental, le 23 avril, certaines familles de candidats au djihad déjà partis ont le sentiment d'être impuissantes. L'annonce du gouvernement est bien accueillie par les familles, mais elles attendent toujours des nouvelles de leurs proches, et souhaitent aussi leur retour. « C'est une bataille de gagnée, mais pas la guerre », estime Mériam Rhaiem.
La jeune femme a été renvoyée d'officiels en ministères. Elle s'est entretenue en janvier avec le conseiller justice du président de la République, Pierre Valleix, « un homme de qualité », même si le dossier avance lentement : « Il ne m'a rien promis et rien n'a été fait », regrette-t-elle.
« L'aspect lenteur est toujours une attente [difficile] pour une maman, explique Me Versini-Bullara, l'avocat de la jeune femme. Mais pour que les choses se mettent en place, il faut aussi laisser nos gouvernants travailler, peut-être dans l'ombre, pour permettre un résultat positif ; preuve en a été avec la libération récente des quatre journalistes, après des mois et des mois de prise d'otage. » Depuis l'entretien avec Pierre Valleix et des « contacts nourris » avec le gouvernement, l'avocat de la jeune femme se dit « conforté » par les réponses de l'Etat, qui se manifestent avec « plus d'acuité » depuis quelques mois.
Pour Fouad El Bathy, la situation est toute autre. Il a été reçu au ministère de l'intérieur, avec d'autres familles, mais « on lui a passé de la pommade, car rien n'est fait », remarque son avocat, Me Guénoun. « Je souhaite des démarches au plus haut niveau, car on n'est pas face à une délinquante, on est face à un otage », observe-t-il, en faisant référence aux deux lycéens toulousains, revenus de Syrie et mis en examen fin janvier pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ».
« Depuis l'ouverture du dossier en janvier, les juges traitaient l'affaire sous l'aspect terrorisme, nous avons porté plainte auprès du parquet d'Avignon pour exfiltration et trafic de mineurs, et j'attends de recevoir le dossier pénal », précise l'avocat. Le frère de Nora est consterné : « On ne sait pas ce que fait la brigade antiterroriste, on ne sait même pas s'ils existent. »
PARTIR À LEUR RECHERCHE
Face à l'impression d'absence de réponse de l'Etat, certaines familles envisagent d'agir seules. Elles sont nombreuses à vouloir récupérer leurs proches en Syrie, mais la dangerosité du terrain les retient. « J'aimerais bien aller la chercher là-bas, mais on ne peut pas rentrer dans ce pays comme en France », regrette Jonathan Mehenni. « C'est seulement dans des cas très rares que des parents ont réussi à voir leurs enfants là-bas », explique Dominique Bons, dont le fils, Nicolas, un jeune Toulousain de 30 ans, est décédé fin décembre 2013, lors d'un attentat-suicide près de Homs.
Fouad El Bathy, lui, a décidé de partir à la recherche de sa sœur fin février. Un échec, puisqu'il n'atteint que la Turquie et ne parvient pas à passer la frontière syrienne. Le 9 avril, il décide de réitérer la démarche, en partant une semaine. Il atteint la Syrie et voit sa sœur deux fois. « Elle avait maigri, son visage était jauni et enflé, constate-t-il. J'avais les yeux bandés, ils m'ont emmené dans un endroit secret, je n'ai vu que ma sœur et rien d'autre. » Il se dit « soulagé » de l'avoir aperçue, mais il déconseille aux autres familles d'en faire de même, « car c'est trop dangereux là-bas », assure-t-il. « Il faut aussi penser aux parents, ils risquent de perdre un autre enfant en Syrie. »
« CE SONT DES ADOLESCENTS MANIPULÉS »
Dominique Bons, a créé en décembre 2013 une association, Syrien ne bouge agissons, pour aider les familles et empêcher l'endoctrinement des jeunes. « Chaque situation est différente, remarque-t-elle. Les familles ont peur des représailles par rapport à leurs enfants. Certaines ne sont pas prêtes à témoigner, elles sont bloquées. » Le discours n'est pas le même selon l'âge et le sexe des jeunes partis en Syrie.
Les familles qui se sont fait connaître dans les médias sont principalement celles de jeunes filles mineures. Les autres ne souhaitent en général pas témoigner. « Ce qui blesse le plus les familles, c'est l'emploi du terme "djihadiste", explique Mériam Rhaiem, en particulier pour les filles qui n'en sont pas, car elles ne vont pas sur le terrain pour combattre. Elles vont plutôt faire la vaisselle pour servir cette secte. Ce sont des adolescentes qu'ils veulent plutôt marier là-bas. »
Tout le monde insiste sur la différence à faire entre les mineurs et les adultes. « Il faut arrêter de dire que ce sont des terroristes, s'insurge Guy Guénoun, l'avocat de la famille de Nora. Ce sont des mineurs, des adolescents manipulés, sous le joug de prédateurs terroristes, ils sont dans une addiction, il s'agit d'une secte », tient-il à préciser. Les familles sont prudentes quant aux informations qu'elles donnent, car les djihadistes sont « très bien informés », selon l'avocat : « Ils suivent à distance ce que l'on dit dans les médias et ils ont parfois des relais sur place. »