LE MONDE | 02.05.2014 à 10h28 • Mis à jour le 02.05.2014 à 10h59 | Par Gaëlle Dupont
A la maternité de Clamecy dans la Nièvre qui a fermé en 2008.
« Je suis écoeurée, je ne comprends pas. » Sabine (le prénom a été modifié) et son épouse ont découvert la décision du tribunal de grande instance de Versailles le 30 avril au soir. Pour la première fois en France, un refus d'adoption de l'enfant du conjoint au sein d'un couple homosexuel a été prononcé. L'association Les enfants d'Arc-en-ciel, qui accompagne les deux femmes, a rendu publique la décision. Le couple fera appel.
L'enfant, un petit garçon de 4 ans, a été conçu par procréation médicalement assistée (PMA) avec donneur anonyme en Belgique par l'épouse de Sabine. Cette dernière demandait à adopter l'enfant de sa conjointe, comme la loi l'autorise au sein des couples mariés. C'est pour cette raison que les deux femmes ont convolé rapidement après l'entrée en vigueur de la loi sur le mariage pour tous en mai 2013. Elles vivent ensemble depuis quinze ans, ont décidé à deux d'avoir un enfant. « J'ai sorti mon fils du ventre de ma compagne, j'ai coupé le cordon, je l'emmène à l'école », témoigne Sabine.
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« On n'a pas fait de fête pour le mariage, se souvient-elle. On voulait la faire pour l'adoption. » Cette procédure leur apparaissait comme une formalité : « La loi a été faite pour sécuriser les enfants ! », poursuit Sabine. C'est en tout cas le discours qui était tenu par les ministres et les parlementaires au moment des débats au Parlement. Il était en effet admis que la loi allait surtout servir à régulariser la situation d'enfants nés par PMA à l'étranger – Belgique, Danemark, Espagne…
Mais le droit n'est pas aussi clair. Le tribunal de Versailles a ainsi estimé que « le procédé qui consiste à bénéficier d'une assistance médicale à la procréation interdite en France, puis à demander l'adoption de l'enfant, conçu conformément à la loi étrangère mais en violation de la loi française, constitue une fraude (…) et interdit donc l'adoption de l'enfant illégalement conçu ». Il se réfère à la décision du Conseil constitutionnel du 17 mai 2013 (saisi par les parlementaires de l'opposition) qui rappelle que la PMA n'est pas ouverte aux couples de femmes en France. Les juges sont tenus de vérifier « que la situation juridique qui leur est soumise ne consacre pas une fraude à la loi ».
Cependant, si la PMA est légalement réservée aux couples hétérosexuels infertiles, aucune loi n'interdit explicitement aux lesbiennes d'y avoir recours. Les juges affirment aussi qu'autoriser les adoptions au sein des couples de femmes reviendrait à « établir une distinction avec les couples homosexuels hommes, pour lesquels le recours à la gestation pour autrui est pénalement répréhensible », ce qui porterait atteinte au principe d'égalité devant la loi.
DÉCISION « POLITIQUE »
Décision « politique », pour Sabine. Cependant, depuis que les premières demandes d'adoption sont examinées, des juristes soulignent que la loi sur le mariage pour tous laisse une place à l'interprétation, car elle passe sous silence le mode de conception de l'enfant. Après de houleux débats, l'ouverture de la PMA en France aux couples de femmes n'a pas été intégrée dans le texte. Le gouvernement vient de réaffirmer que le sujet ne serait pas rouvert d'ici à 2017.
Cette marge d'interprétation aboutit à de fortes disparités selon les territoires. Certains tribunaux ont accordé les adoptions sans problème. A Marseille, Aix-en-Provence et Toulouse, le ministère public s'y est opposé mais l'adoption a malgré tout été prononcée. Le parquet a fait appel. Aucune instruction n'a été donnée au niveau national. Le ministère de la justice « ne prend pas position sur les dossiers individuels, affirme-t-on à la Chancellerie. Il faut attendre que la justice avance. » Le sujet sera probablement tranché en cassation.
En attendant l'appel, cette décision ne changera pas la vie quotidienne du couple. « Dans notre petit village, nous n'avons jamais eu la moindre remarque négative sur notre façon de vivre, explique Sabine. Mais qu'arrivera-t-il si mon épouse meurt ? » Le jugement, cependant, ne remet pas en cause leur décision d'avoir bientôt un deuxième enfant à l'étranger.
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