LE MONDE | 30.04.2014 à 09h44 • Mis à jour le 30.04.2014 à 11h45 | Propos recueillis par Isabelle Chaperon, Virginie Malingre, Cédric Pietralunga et Jean-Michel Bezat
Le PDG d'Alstom, Patrick Kron.
Les traits tirés à la sortie de son conseil d'administration, qui s'est tenu mardi 29 avril au soir, Patrick Kron a rechigné durant plus d'une heure à prononcer le nom de Siemens devant les journalistes du Monde, comme si l'industriel allemand n'existait pas, comme si la vente des activités énergie d'Alstom à General Electric (GE) était actée.
Patron à poigne, M. Kron n'aime pas qu'on lui dicte sa conduite et n'a pas apprécié – c'est un euphémisme – que l'Etat l'oblige à laisser un strapontin à l'industriel allemand dans ses négociations avec GE. Mais la compétition sera loyale, assure-t-il.
Lire les dernières informations : Alstom privilégie General Electric, sans fermer la porte à d'autres offres
http://splashurl.com/kfe46kj
Que répondez-vous à Arnaud Montebourg, le ministre de l'économie, qui vous accuse d'être un menteur ?
Je n'ai pas l'intention de polémiquer, mais je récuse cette accusation. Je me dis que tout ce qui est excessif est insignifiant. Je suis un industriel. J'ai un discours de responsabilité. Je veux parler d'Alstom.
Est-il exact que vous n'avez pas informé vos administrateurs des négociations avec GE ?
Si le conseil d'administration avait quelque critique à formuler, il l'aurait fait et en aurait tiré les conclusions.
Pourquoi cette précipitation ?
Il n'y a pas le feu dans la maison Alstom. Son avenir à court terme n'est pas menacé et nous continuons à gagner de l'argent. Le sujet, c'est de se projeter dans l'avenir, de relever les défis stratégiques qui attendent l'entreprise.
Je vous rappelle qu'il y a une dizaine d'années, l'entreprise était exsangue. Je me suis battu de toutes mes forces pour la sauver. C'était une question de vie ou de mort. Nous avons dû supprimer la moitié des emplois. Je ne voulais plus jamais que le groupe se retrouve dans ce type de situation.
L'homme qui est en face de vous est le même que celui de 2003. Mais les enjeux sont différents. Je ne veux pas que les salariés d'Alstom revivent le cauchemar de 2003.
Vous seriez prêts à être l'homme du démantèlement ?
Si c'est pour assurer l'avenir des métiers et des salariés d'Alstom, j'assume la perspective d'un adossement de certaines activités d'Alstom à un groupe qui a la capacité de mieux relever les défis futurs.
Lire nos explications : Alstom, General Electric, Siemens : quatre questions pour comprendre
http://splashurl.com/l2rsvvm
Vous disiez pourtant, il y a peu, pouvoir vous développer seul. Qu'est-ce qui a changé ?
Nous sommes confrontés à un certain nombre d'évolutions structurelles. La première, c'est que le marché de l'énergie européen est durablement sous pression. Plusieurs grands électriciens européens ont ainsi déprécié des milliards d'euros d'actifs, correspondant pour partie à des équipements que nous avons livrés ! La deuxième, c'est la montée en puissance de nos concurrents asiatiques, qui s'appuient sur un marché domestique et sont dotés de moyens puissants. La troisième, c'est que les clients nous demandent de plus en plus un accompagnement financier. Je veux que, dans l'énergie, Alstom puisse relever ces défis.
Les actionnaires d'Alstom n'étaient donc pas prêts à accompagner l'entreprise ?
Ce n'est pas seulement une question financière. C'est aussi une question de parts de marché et de taille critique. Par exemple, Alstom a vendu dix turbines à gaz en un an, GE en a vendu 30 en un trimestre et compte en vendre 150 sur l'année.
Pourquoi maintenant ?
Il ne s'est rien passé de particulier entre hier et aujourd'hui, il n'y a pas eu de déclic, mais il y a des tendances lourdes, et il est de mon devoir de les anticiper.
J'en suis convaincu, la voie d'une stratégie autonome, qui est celle que j'ai menée ces dix dernières années, est devenue risquée et dangereuse. C'est pour cela que j'ai entamé des discussions avec différents confrères de tous les continents, pour voir ce que l'on pouvait faire ensemble.
Vous avez sollicité ces contacts ?
Absolument. Et il est apparu que quelque chose de constructif pouvait ressortir des échanges que j'ai eus avec Jeff Immelt, le patron de GE. Fin mars, nos équipes ont commencé à travailler ensemble. Mercredi 23 avril, je me suis rendu aux Etats-Unis pour le rencontrer et nous avons trouvé une solution à des sujets fondamentaux, sans lesquels il ne pouvait y avoir d'accord. Avant ce rendez-vous, je ne savais pas si un accord était possible, mercredi soir, j'y croyais.
Mercredi, c'est le jour où l'agence Bloomberg révèle que GE convoite Alstom…
Oui. Cette fuite a « foutu le bordel ». On avait justement l'intention d'entrer dans un processus organisé. Et nous avons été pris de court…
Lire notre décryptage : Rachat d'Alstom énergie : que peut faire le gouvernement ?
Quelle est la teneur de l'accord avec GE ?
GE a fait une offre ferme de 12,35 milliards d'euros pour l'acquisition d'un périmètre qui couvre Alstom Power, la génération d'électricité thermique et renouvelable, Alstom Grid, pour les activités de transmission, ainsi que les services partagés.
C'est cette offre dont le conseil d'administration d'Alstom unanime a reconnu l'intérêt stratégique. Un comité d'administrateurs indépendants a été nommé pour procéder à un examen approfondi de l'offre. Le conseil d'administration décidera d'ici fin mai s'il approuve l'offre de GE.
Mais Siemens a publié une nouvelle lettre d'intention hier…
Le conseil a également été informé d'une indication d'intérêt de Siemens, qui aura accès à toutes les informations nécessaires pour lui permettre, s'il le décide, de faire une offre ferme.
Mais vous avez souvent dit que Siemens et Alstom n'étaient pas complémentaires…
Les portefeuilles de Siemens et Alstom n'ont pas changé. Je ne préjuge pas de la suite. A ce jour, Siemens a fait une déclaration d'intérêt, ce n'est pas encore une offre. Si Siemens en fait une, le conseil l'examinera.
L'offre de GE est-elle la meilleure ?
C'est une offre d'une très grande qualité. Je ne peux pas dire le contraire, je l'ai négociée ! Elle permet de remédier à l'absence de taille critique d'Alstom, en regroupant des portefeuilles dans l'énergie très complémentaires.
Pour François Hollande, l'Etat a son mot à dire dans cette affaire. Qu'en pensez-vous ?
Bien sûr. L'Etat français est l'une des parties prenantes.
Lire les réactions : Alstom : Manuel Valls estime que « l'Etat a été entendu »
Le gouvernement vous reproche d'avoir négocié avec GE sans l'en informer. Qu'en pensez-vous ?
On m'accuse d'avoir négocié dans le dos de tout le monde alors que nous n'en sommes aujourd'hui qu'au début du processus. Il a toujours été clair avec General Electric que le conseil d'administration aurait la possibilité d'examiner d'autres offres non sollicitées.
Cela fait partie des demandes que j'ai formulées et que GE a acceptées. La force de l'offre de GE ne repose pas sur une exclusivité, mais sur sa pertinence.
Alstom, réduit à sa seule activité transports, peut-il rester seul ?
Oui, Alstom Transport peut être autonome. Ce sera une entreprise cotée à Paris, dotée de moyens à la mesure de ses ambitions. L'opération envisagée permettra, en effet, de renforcer son bilan et d'accélérer sa croissance sur un marché porteur.
Siemens se propose d'apporter ses trains, ses locomotives et même ses métros. Cela vous intéresse-t-il ?
Alstom aura la capacité de participer à la consolidation du marché. Il examinera les opportunités en fonction de leur qualité et de leur faisabilité au regard du droit de la concurrence.
Faut-il un Airbus du ferroviaire ?
L'Airbus du rail, c'est nous. D'ailleurs, la principale usine d'Alstom Transport est en Allemagne…
Siemens se plaint de ne pas avoir reçu le meilleur accueil de votre part…
C'est factuellement inexact. J'ai eu des discussions dans le passé avec Siemens, comme avec d'autres, qui ne m'ont pas apporté de réponse aux préoccupations du groupe.
Je regrette que certains me collent une image d'anti-germanisme primaire. Comment est-ce possible, alors qu'Alstom emploie 18 000 salariés en France et 9 000 en Allemagne !