Le Monde.fr | 23.04.2014 à 19h33 • Mis à jour le 23.04.2014 à 19h39 | Par Thomas Wieder (Carmaux - envoyé spécial)
François Hollande à Carmaux, le 23 avril.
Voilà deux ans que François Hollande n'avait pas mis les pieds à Carmaux. C'était le 16 avril 2012, six jours avant le premier tour de l'élection présidentielle. Ce soir-là, une estrade avait été installée sur la place Jean-Jaurès, au pied de la statue du grand homme, et celui qui n'était encore que le candidat du PS y avait prononcé un discours vibrant, devant une foule chaleureuse qui souhaitait ardemment sa victoire.
Mercredi 23 avril, deux ans plus tard, François Hollande était donc de retour à Carmaux. Mais cette fois, l'ambiance était bien différente, et c'est sur une place Jean-Jaurès pratiquement vidée de tout public et ceinturée de barrières qu'il a débarqué, pour y effectuer une revue des troupes et déposer une gerbe.
Le contraste était saisissant pour ceux qui étaient sur cette même place deux ans plus tôt. Hier, un candidat haranguant un auditoire en liesse ; aujourd'hui, un président silencieux marchant d'un pas lent sur une place déserte. Hier, une foule qui chantait gaiement « le changement, c'est maintenant » ; aujourd'hui, de rares badauds dont certains n'hésitent pas à interpeller le président pour lui exprimer leur colère, lui crier « jamais Jaurès ne parlerait comme vous », ou lui assurer qu'en le voyant, « Jaurès se retournerait dans sa tombe ».
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DÉAMBULATION IMPROVISÉE
Visiblement décontenancé par cet accueil, qui signait cruellement le désamour du peuple de gauche à son endroit, François Hollande a tout fait, tout au long des deux heures qui ont suivi, pour tenter d'effacer ces premières images afin d'éviter que l'on ne retienne qu'elles de ce douloureux retour à Carmaux. Il procéda pour cela en deux temps.
Premier temps : une déambulation. Elle n'était pas prévue au programme. A l'origine, le chef de l'Etat devait rejoindre en voiture les quelques centaines de mètres séparant la place Jean-Jaurès de la salle François-Mitterrand où il devait ensuite prononcer un discours. Il a finalement décidé de les parcourir à pied.
Certes, il n'y avait pas foule dans la rue, et pour cause puisque celle-ci avait été barrée par la police, mais au moins les rares passants surpris de reconnaître le président lui réservèrent-ils pour la plupart un accueil courtois. François Hollande retrouva le sourire, claqua quelques bises, caressa quelques têtes blondes et opposa un argument imparable à ceux qui exprimaient leur impatience ou leur dépit : « C'est pour ça qu'on travaille. Si tout avait été fait, il n'y aurait plus rien à faire. »
AUTOJUSTIFICATION
Après cette courte déambulation, improvisée pour ne pas laisser s'installer l'idée d'un chef de l'Etat totalement isolé des Français moins de deux ans après son élection, vint donc le temps du discours. Un discours dont le prétexte était le lancement des commémorations du centenaire de la mort de Jaurès, assassiné le 31 juillet 1914. Un discours, surtout, qui devait s'entendre comme un exercice d'autojustification, tout le propos du président de la République pouvant se résumer ainsi : essayer de convaincre son auditoire qu'il restait bien un héritier de Jaurès.
François Hollande lors de son discours à Carmaux, le 23 avril.
Pour ce faire, c'est évidemment certaines facettes de l'ancien élu de Carmaux, plus que d'autres, que le chef de l'Etat a mises en lumière. Celui qu'il est venu célébrer est le Jaurès qui assumait d'affronter « les résistances du réel » et ne croyait guère au grand soir. Le Jaurès qui s'efforçait d'enseigner « la patience de la réforme, la constance de l'action, la ténacité de l'effort ». Le Jaurès qui ne parlait pas qu'au cœur des ouvriers mais « s'adressait à tous les artisans, les commerçants, les entrepreneurs ». Le Jaurès « patriote » qui, selon lui, défendait l'idée d'une France qui « n'est jamais aussi conquérante que lorsqu'elle accepte la compétition et la concurrence ». Le Jaurès, enfin, qui « ne concevait pas » les réformes sociales « sans la création de richesses ».
Evidemment, ce Jaurès-là était assez différent du Jaurès qu'avait célébré François Hollande le 16 avril 2012. C'était davantage le Jaurès d'avant 1905, d'avant la SFIO. Un Jaurès consensuel plus que partisan. Un Jaurès de président confronté au réel plus qu'un Jaurès de candidat aspirant à l'idéal. Un Jaurès par rapport auquel le chef de l'Etat avait assuré, avant de monter à la tribune, qu'il n'était pas en « rupture » avec son pacte de responsabilité. La salle, composée majoritairement de lycéens et d'étudiants des environs, a écouté poliment et applaudi sagement. Mais on était loin, très loin, de la ferveur d'il y a deux ans.
Lire aussi : Hollande se rend à Carmaux, ville de Jean Jaurès et de socialistes désenchantés
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Mélenchon raille une "version moderne de J'irai cracher sur vos tombes"
Jean-Luc Mélenchon, coprésident du Parti de gauche (PG), a raillé, mercredi, sur Twitter, l'hommage à Jean Jaurès de François Hollande. « Hollande à Carmaux sur les pas de Jaurès. C'est la version moderne de 'J'irai cracher sur vos tombes' ? », a-t-il twitté, faisant référence au roman de Boris Vian.
Le PCF, partenaire du PG au sein du Front de gauche, a, lui, dénoncé en François Hollande un chef de l'Etat qui serait « tombé, de cascade en cascade, dans ce bassin stagnant d'où il pense pouvoir rendre hommage à Jaurès alors qu'il fait la politique de Gattaz », le président du Medef.