HuffPost Maghreb | Par Malik Tahir Publication: 16/04/2014 09h53 CEST
INTERNATIONAL - A quelques heures de l'élection présidentielle en Algérie, les questions demeurent malgré le fait que le vainqueur semble connu d'avance. Abdelaziz Bouteflika va-t-il comme prévu rempiler pour un quatrième mandat après une campagne fantôme? Ali Benflis va-t-il réussir un coup à la sénégalaise où le vieux Abdoulaye Wade a été poussé vers la sortie par les urnes? Deux scénarios pour une élection qui ne résoudra pas la crise du régime. L’Algérie est dans la rue de l’impasse. En quête d’un consensus tunisien sans la "case révolte".
Après une fin de campagne électorale très tendue, le camp de Bouteflika, qui se voit gagnant au premier tour ce jeudi, met outrageusement l’accent sur la dénonciation des fauteurs de "fitna" (la sédition) et les agissements présumés de ceux qui veulent importer un "printemps arabe" réduit à sa séquence libyenne ou syrienne. Le pouvoir "joue sur les peurs primaires" des Algériens, selon la formule de Khaoula Taleb Ibrahimi, professeure en sciences du langage.
Lire aussi : Qui dirige vraiment le pays ?
http://splashurl.com/otlp8c5
Le maintien du statu quo politique en Algérie a, jusque-là, fonctionné sur un contrôle du champ politique par la police politique (le DRS), la crainte, entretenue, d’une nouvelle plongée dans les affres des violences des années 90. Le tout aidé par des formes de redistribution de la rente pétrolière qui permettent de calmer les colères sociales. Ces trois instruments de l’entretien du statu quo commencent à atteindre leurs limites.
La crise au sein du régime s’est exprimée avant même la campagne présidentielle. Amar Saadani, secrétaire général du FLN a ouvert le feu sur le général Mohamed Mediene dit Toufik, patron depuis 23 ans des services des renseignements algériens, le Département du renseignement et de la sécurité (DRS).
Une sortie sans précédent suivie par une riposte, toute aussi inhabituelle du général à la retraite Hocine Benhadid. Celui-ci s’attaquait ouvertement, au chef d’état-major de l’armée, Ahmed-Gaïd Salah, formellement le supérieur hiérarchique de Médiene.
L’armée et les services, l’ossature même du régime en place depuis l’indépendance, étalaient ainsi, par des biais indirects, leur division à quelques semaines de l’élection. La décision de Bouteflika de rempiler pour un quatrième mandat malgré son état de santé a été une circonstance aggravante dans cette crise, mais elle n’en est pas la cause principale. Ces fissures visibles n’ont pas permis de fabriquer le "consensus" autour du candidat à la présidentielle.
C’est sur cette absence de consensus au sein du régime qu’Ali Benflis, joue, en espérant réaliser une issue à la sénégalaise, où Aboulaye Wade, qui demandait un mandat de trop, a été poussé à la sortie par les urnes. Mais ce n’est qu’un scénario possible parmi d’autres. Quel que soit le résultat, la crise du régime est là. Elle restera de mise après le 17 avril.
1 – Abdelaziz Bouteflika rempile
Les partisans de Bouteflika le martèlent, le Président va gagner au premier tour. Et en off, ils donnent déjà les résultats: Bouteflika avec plus de 65% de voix, la deuxième place reviendrait à Louisa Hanoune, qui a passé plus de temps à attaquer Benflis qu’à critiquer celui qui est au pouvoir depuis quinze ans. Ali Benflis, celui que Bouteflika a accusé de "terrorisme" est écrasé à la troisième place avec un score bas.
Dans une situation "normale" - avec un Bouteflika faisant lui-même sa campagne et avec une cohésion au sein des appareils du régime – la victoire de Bouteflika est assurée de ne pas être contestée. Ali Benflis, en 2004, a subi la défaite et a évité de contester même s’il était persuadé de l’existence d’une "fraude". Mais les conditions de 2014 ne sont plus les mêmes. Les services de renseignements qui ont constamment joué au "régulateur" d’un champ politique qu’ils contrôlent et gèrent, ont été "neutralisés" par l’attaque publique de Saadani.
Les institutions qui contrôlent formellement l’opération électorale (Conseil constitutionnel, justice et ministère de l’intérieur) sont dirigées par des fidèles de Bouteflika. Cela permet en théorie de contrecarrer un éventuel "coup à la Wade" et d’assurer une victoire au premier tour.
Sauf que le DRS ne jouant pas ce rôle de "régulateur", le risque d’accusation de fraude est amplifié. Sans compter que la volonté d’un homme malade de se présenter à un quatrième mandat – synonyme de mise en place d’une présidence à vie – suscite un vrai sentiment de rejet et d’indignation. La campagne électorale par procuration menée par des ministres n’a pas été de tout repos malgré le déploiement de moyens considérables avec un soutien ostensible des hommes d’affaires.
Plus grave encore, la campagne de Sellal a fabriqué de nouvelles oppositions. Elles risquent de s’exprimer dans la rue après le 17 avril. D’où le discours anxiogène développé par les médias pro-Bouteflika sur les risques de la "Fitna". De manière ostensible, l’armée algérienne, a fait savoir, à travers un éditorial de sa revue, El Djeich, qu’elle veillera à sécuriser "avec force, volonté et détermination", le scrutin pour l'élection présidentielle. Une victoire de Bouteflika ne mettra pas fin à la crise. Après le scrutin, l’Algérie sera au "18, rue de l’impasse".
2 – Ali Benflis gagne, le régime avance d’un "millimètre"
Ali Benflis semble croire que son heure est venue. Et que le 17 avril 2014 effacera la "victoire de la fraude" de 2004. Le principal adversaire de Bouteflika a pour vrai ennemi, l’abstention. Ceux qui votent le plus – et ils ne sont pas les plus nombreux - sont ceux qui sont acquis au régime. Et ils ont tendance à choisir le candidat en place et non son outsider même s’il est issu de la même famille.
Mais le contexte très particulier de cette élection, avec un Président malade s’accrochant au pouvoir, a créé des doutes au sein de cet électorat traditionnel qui permet à Benflis d’espérer démentir la règle du vote pour le président en place. Par ailleurs, Ali Benflis compte aussi sur le "vote utile" des Algériens qui se sentent humiliés par cette "présidence à vie" qui s’installe autour d’un vieillard malade.
L’ancien président Liamine Zeroual, en retraite à Batna, mettant fin à un long silence, a estimé que Bouteflika n’était pas apte à exercer la fonction présidentielle. Dans une lettre rendue publique le 19 mars dernier, il a reproché à Bouteflika d’avoir cassé la transmission générationnelle du pouvoir en supprimant en 2008 la limitation des mandats présidentiels.
La révision de la constitution, qui a permis au Président Bouteflika de briguer un troisième puis un quatrième mandat, "a profondément altéré" la marche de l’Algérie sur "le chemin de la démocratie" soulignait Zeroual dans sa lettre. Il a également insisté sur le fait que "l’alternance au pouvoir a pour vocation de fortifier la démocratie et de crédibiliser les institutions", d’assurer "les meilleures conditions d’avènement, sans grands heurts, d’un Etat moderne" et de "consolider la solidarité intergénérationnelle et de conforter la cohésion nationale".
Un message qui comble Ali Benflis, lui-même originaire de Batna, capitale du pays des Chaouias, fortement remontée contre Bouteflika après un gag très déplacé de son directeur de campagne Abdelmalek Sellal. Mais ce qui fait espérer le plus Ali Benflis est que le DRS, suite aux attaques de Saadani, ne sera pas là pour faire avaler la fraude. La tournure de la campagne électorale a commencé à donner du crédit à l’idée que le régime pourrait avoir l’intelligence de bouger d’un "millimètre" en poussant Bouteflika vers la sortie au profit d’Ali Benflis.
Le sociologue Lahouari Addi avait évoqué, en suscitant l’incrédulité générale, la possibilité que Bouteflika "joue le lièvre" pour Benflis. Le scénario, osé, reste encore, improbable au vu des intérêts en jeu et surtout de "l’égo" de Bouteflika. De manière plus réaliste, la vraie incertitude sera l’attitude d’Ali Benflis, le 18 avril à minuit. En cas d’annonce d’une victoire de Bouteflika entrera-t-il en contestation pour dénoncer la fraude, thème central de sa campagne? Ou ira-t-il chez lui, comme en 2004?
3 – 18, rue de l’impasse d’un régime en "déglingue"
C’est le titre d’un éditorial du Quotidien d’Oran. Et il exprime bien un sentiment très largement partagé que l’élection du 17 avril ne règlera rien. Et que la crise d’un régime "en déglingue" devient un danger beaucoup plus sérieux que les "menaces" extérieures.
En marge de cette campagne, l’idée d’un "consensus" pour une "transition" et un "changement de régime" est devenue pressante. Elle est rejetée par les partisans des Bouteflika, mais elle est défendue par un spectre large allant des islamistes aux laïcs.
Mouloud Hamrouche, ancien chef de gouvernement, a sonné l’alarme. Le système algérien a atteint ses limites, il ne "peut plus se renouveler, ne peut plus gouverner dans la cohérence et la cohésion car il n’est plus porteur du projet national". Ce système, a-t-il ajouté, "peut s’effondrer à tout moment".
Contrairement à ses habitudes, Hamrouche s’est fait précis: "la solution a une adresse: Bouteflika, Gaid-Salah et Toufik". Ces appels à la transition et au consensus font souvent un écho au pays voisin. L’Algérie a besoin d’une solution tunisienne sans passer par la case révolte. Ce serait l’issue à l’impasse. Et il faudra beaucoup d’imagination pour la mettre en œuvre.