LE MONDE | 15.04.2014 à 11h33 | Par Nathalie Guibert
Des militaires français dans la cabine d’un avion militaire, en mission vers Tombouctou, au Mali.
Toujours plus nombreuses, mais encore trop souvent déçues par un engagement dans lequel elles plaçaient beaucoup d'espoir : ainsi apparaissent les femmes dans l'armée française. L'institution, depuis la professionnalisation de 1996, est devenue une des plus féminisées du monde – avec un taux de 15 %, là où ses homologues britannique ou allemande atteignent seulement 10 %. Elle doit encore en tirer toutes les conséquences en terme d'égalité, devait déclarer le ministre de la défense devant les cadres de l'institution, réunis à l'Ecole militaire, mardi 15 avril. Pour faire évoluer la question, Jean-Yves Le Drian annonce un plan d'action.
La place des femmes est « une fierté », devait-il rappeler. 60 000 d'entre elles servent la défense. La féminisation atteint 59 % au service de santé des armées. Elle dépasse 20 % dans l'armée de l'air. On comptait 19 femmes sur 531 généraux en 2013 (3,5 %). Elles seront deux fois plus – 7 % – en 2019.
POINTS NOIRS
Mais le ministère a identifié deux points noirs. D'abord, des freins subsistent pour le développement des carrières féminines. Les états-majors et leurs écoles sont priés de mener l'effort. A Saint-Cyr, des femmes devront être affectées aux postes de chefs de section. Et le commandement du bataillon pourrait être confié à l'une de ces cadres en 2015. Le ministre annonce en outre une mesure hautement symbolique : l'ouverture expérimentale des équipages des sous-marins aux femmes en 2017.
Les agressions sexuelles, ensuite, sont un « défi douloureux » selon M. Le Drian. Elles s'appellent Amina, Maeva ou Isabelle, et leur expérience n'est pas pour rien dans le plan annoncé mardi. Leurs agressions, parmi quelque 40 procédures en cours recensées, ont été rassemblées dans un livre paru fin février, La Guerre invisible, signé par deux journalistes, Leila Minano et Julia Pascual (Les Arènes & Causette, 301 p., 19,80 €). Le ministère a opportunément saisi l'occasion. Un rapport a été confié à deux hauts cadres, Didier Bolelli, inspecteur général de l'armée de terre, ancien patron du renseignement militaire, et Brigitte Debernardy, contrôleur général. Car le livre a permis de rappeler qu'à la différence de ses alliés, la France n'avait pas pris la question à bras-le-corps.
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Aucun suivi national n'est en place. « L'ensemble du ministère a bien perçu la nécessité de faire la transparence, pour les personnes concernées comme pour la crédibilité des armées », souligne Mme Debernardy. « Les expériences recueillies auprès des femmes sont très convergentes », précise-t-elle, et les situations de risque, spécifiques au métier militaire, bien identifiées, dans la promiscuité de la caserne, l'isolement des opérations extérieures, ou les moments de décompression, souvent alcoolisés.
« IL N'Y A PAS D'OMERTA »
Au Royaume-Uni, la défense révélait dès 2005 que 15 % des femmes militaires avaient subi un événement traumatisant, du commentaire sexuel jusqu'à l'agression. Dans l'armée israélienne, 500 femmes ont déposé plainte en 2012 selon les statistiques officielles. Aux Etats-Unis, le sujet est devenu politique. Le Pentagone a recensé 26 000 victimes.
M. Le Drian assure qu'« il n'y a pas d'omerta », mais, comme dans le reste de la société, une difficulté pour les victimes à dénoncer les faits. Les rapporteurs, qui ont réuni des femmes, confirment. « Une d'elles a évoqué une situation de harcèlement sexuel vécue il y a vingt ans, c'était la première fois qu'elle en parlait, note Mme Debernardy. Les gens ne connaissent ni leurs droits, ni les canaux de remontée de l'information. »
Les victimes et les auteurs, précise-t-elle, sont dans leur majorité des militaires du rang, ces jeunes Français parmi les moins qualifiés et les plus vulnérables, qui rejoignent les armées. « Pour beaucoup, apprendre que les propos à connotation sexuelle entraient dans le champ des comportements prohibés a été une surprise. » Les garçons « doivent comprendre que le caporal-chef n'est pas "Isabelle", mais le délégué du chef de corps qui doit appliquer les ordres ». Quant aux filles, « beaucoup ont choisi ce métier par goût et ne veulent pas apparaître comme fragiles : elles se disent que c'est un milieu viril auquel elles doivent se conformer ».
AMÉLIORATION DES LOCAUX DE VIE
Une communication interne va être développée. Le harcèlement, moral et sexuel, sera inscrit dans le Code de la défense. Jusqu'à présent, les militaires n'étaient pas couverts par les mêmes garanties que les autres agents de l'Etat. Le ministère promet d'ouvrir un droit à la protection juridique pour les victimes de harcèlement.
Le ministère souhaite en outre mettre en place un système de signalement plus clair – de quoi produire enfin des statistiques nationales. Destiné à l'origine aux militaires exposés au stress en opérations, le réseau interne de psychologues Ecoute Défense, joignable 24h/24h, sera ouvert à ces témoignages. Une nouvelle cellule, baptisée Themis, placée au sein du contrôle général des armées, aura aussi pour mission d'assurer le suivi des signalements. Elle pourra proposer des mesures disciplinaires conservatoires, et conseiller le commandement. « Il est souvent démuni », souligne Mme Debernardy. Les chefs hésitent ou rechignent à adopter des sanctions disciplinaires tant que les procédures judiciaires n'ont pas abouti. « Le ministère et les armées doivent prendre leurs responsabilités », insiste le ministre, rappelant que les sanctions disciplinaires « doivent être prises dans un délai de quatre mois suivant le signalement des faits. »
D'autres préconisations, telle que l'amélioration des locaux de vie pour éviter la promiscuité, relèvent davantage de voeux pieux, compte tenu de l'état des budgets et de la misère des infrastructures actuelles. Mais l'existence même d'un premier plan national est déjà une mobilisation.
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