LE MONDE | 15.04.2014 à 10h34 • Mis à jour le 15.04.2014 à 11h35
Le président russe, Vladimir Poutine, lundi 9 avril.
Editorial du Monde. Contrairement à ce qu'avancent les diplomates européens, Vladimir Poutine n'est pas si difficile à comprendre. Il fait ce qu'il dit. La règle vaut souvent pour les autocrates. Elle s'applique particulièrement bien au président russe.
M. Poutine ne veut pas d'une Ukraine indépendante, en tout cas d'une Ukraine qui disposerait de suffisamment de souveraineté pour conclure un partenariat avec l'Union européenne. Plutôt démanteler le pays, par la force s'il le faut. C'est ce que M. Poutine est en train de réaliser, avec d'autant plus de succès que l'Europe ne réagit guère.
Depuis une semaine, des militants prorusses armés de pied en cap s'emparent des bâtiments publics dans plusieurs villes de l'est de l'Ukraine. Ces militants bénéficient d'un large soutien de la population. Ils ont vite été rejoints par des soldats professionnels sans insigne, encore mieux équipés, le visage masqué. De l'autre côté de la frontière, en Russie, l'état-major a massé 40 000 hommes, prêts à intervenir dans l'heure.
Cela ne vous rappelle rien ? Les bons diplomates européens s'étaient d'abord déclarés convaincus que jamais Moscou ne s'en prendrait à la Crimée. Puis juraient, croix de bois croix de fer, que M. Poutine n'irait pas plus loin, bien sûr.
La vérité est que le scénario est en train de se reproduire. Le maître du Kremlin n'a pas besoin d'envoyer ses divisions blindées de l'autre côté de la frontière. Il suscite des rébellions locales, d'autant plus facilement que l'est de l'Ukraine est volontiers tourné vers la Russie.
Les Russes ont exposé leur plan. Ils veulent une Ukraine pratiquant un fédéralisme poussé. Une nouvelle architecture constitutionnelle doit permettre à tout l'est du pays de passer un accord d'association étroit avec la Russie. Il s'agit pour le Kremlin de limiter la souveraineté de Kiev et de conserver une manière de tutelle directe sur toute une partie de l'Ukraine.
Pour y arriver, la Russie affaiblit un peu plus encore le gouvernement de Kiev. En organisant ou en soutenant ces soulèvements à l'est, qui, s'ils tournent au bain de sang, fourniront un bon prétexte à Moscou pour dépêcher ses troupes.
Des mois de propagande intensive dans les médias russes ont préparé le terrain. Chaque jour, les télévisions de M. Poutine diffusent du mensonge d'Etat à saturation : les juifs d'Ukraine feraient l'objet de pogroms ; le gouvernement de Kiev n'est désigné que sous le terme de « groupe fasciste » ou « nazi », qui martyriserait les prorusses du pays – bizarrement, c'est la rhétorique même que reprennent les « rebelles » spontanés des villes de l'Est…
En refusant de dénoncer ouvertement la main du Kremlin dans les événements d'Ukraine, l'Europe donne corps au mensonge du Kremlin. C'est plus que de la faiblesse, c'est de la bêtise doublée d'un déni de réalité. Une posture de perdants.