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Nicolas Sarkozy : «Mes valeurs pour la France»
Mis à jour le 10/02/2012 à 18:51 | publié le 10/02/2012 à 17:59
INTERVIEW - Travail, responsabilité, autorité: le président de la République pose les bases de sa campagne. Opposé au mariage homosexuel et à l'euthanasie, il annonce une grande réforme de l'éducation et envisage un référendum sur l'indemnisation des chômeurs, voire sur l'immigration.Le Figaro Magazine - Le moment est-il venu pour vous d'annoncer votre candidature? Nicolas Sarkozy - J'ai dit que le rendez-vous approchait: il approche. Sous la Ve République, de tous les candidats potentiels à l'élection présidentielle, il en est un qui a plus de devoirs et moins de droits, c'est le Président. Il ne s'appartient pas. Il doit remplir pleinement les devoirs de sa fonction le plus longtemps possible. Je n'y dérogerai pas. Je remercie ceux de mes amis qui estiment que je devrais entrer en campagne plus tôt. Peut-être ont-ils raison? Peut-être même que cela aurait été mon intérêt? Mais avant mon intérêt, il y avait les devoirs de ma charge. Ce ne sont pas des cachotteries ni une forme de secret déplacé, c'est un raisonnement et une situation qui se sont imposés à chacun de mes prédécesseurs.
Savez-vous quand vous annoncerez votre décision? Si la question est de savoir si j'ai réfléchi, sur le fond et sur la forme, ma réponse est oui. Comme pour toutes les décisions importantes, je prends le temps d'une réflexion longue et approfondie.
En attendant, l'opposition vous reproche de cultiver l'ambiguïté... En 1988, quand les uns et les autres étaient les collaborateurs de François Mitterrand, je ne me souviens pas qu'ils aient été choqués de devoir attendre jusqu'au mois de mars! Je leur suggère plutôt de proposer des idées aux Français au lieu d'être obnubilés par ce que je fais ou ce que je devrais faire. Rien n'est plus important que de proposer des idées neuves aux Français. Des idées adaptées au monde d'aujourd'hui, non à celui d'hier.
En 2007, vous mettiez en avant les trois valeurs qui devaient guider votre action: le travail, la responsabilité et l'autorité. L'exercice du pouvoir vous a-t-il conduit à modifier cette hiérarchie? Bien au contraire! Après cinq ans de mandat, je suis plus convaincu que jamais qu'il faut récompenser le travail et renforcer la considération qu'on lui porte. Il ne s'agit pas seulement de dire qu'il faut travailler pour réussir - c'est l'évidence - mais que le travail est une valeur en soi, nécessaire à l'accomplissement de l'individu comme à la cohésion de la société. Tout ce qui peut alléger le coût du travail, récompenser l'effort, le mérite, faire la différence avec l'assistanat, doit donc continuer à être mis en œuvre de façon systématique. Le chantier est immense tant l'habitude de déconsidérer le travail avait été prise dans notre société depuis le début des années 1980. Je mettrai sur le même plan la responsabilité. C'est elle qui donne son sens à la liberté. On est libre pour autant que l'on est responsable - vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis des autres. Je mets donc la responsabilité comme complément indispensable à la liberté. La liberté sans frein ni limite, la liberté comme principe d'une société où tout serait permis, où l'on n'aurait pas à rendre des comptes, n'est pas une valeur dans laquelle je me retrouve. Je crois à la démocratie, à la liberté de parole, à la liberté de critique, mais quand je vois ce que certains financiers ont fait de la liberté - liberté de gagner toujours plus, toujours plus vite et sans limite - je suis encore plus convaincu du danger d'une société sans règle, sans contrôle et sans régulation. Enfin, l'autorité. Car aucun système ne peut fonctionner sans respect des institutions, des règles, de la famille, des parents, de la personne humaine... Travail, responsabilité, autorité, je me reconnais plus que jamais dans ce triptyque! Ce sont les valeurs qui permettent de construire un projet personnel et collectif. Ce sont celles que j'ai toujours défendues.
Visite présidentielle à ArcelorMittal, le 4 février 2008.
Puisqu'il s'agissait de réhabiliter le travail, pourquoi ne pas avoir supprimé les 35 heures dès le début de votre mandat? Quand je suis arrivé en 2007, la croissance était forte, le risque économique était celui de l'inflation. Nous avons immédiatement mis en œuvre la réforme des régimes spéciaux des retraites, qui a consisté à demander aux cheminots, aux électriciens, aux gaziers de travailler cinq ans de plus, comme les autres salariés. Dans le même temps, nous avons fait voter la loi sur le service minimum dans les transports en commun. J'ai considéré qu'il y avait un risque à ajouter à ces réformes si difficiles un débat sur les 35 heures. D'autant que nous avions supprimé tous les freins au travail grâce à la loi Tepa qui autorisait le recours aux heures supplémentaires dans le secteur privé comme dans le secteur public. C'était déjà une sérieuse brèche dans les 35 heures.
Mais, par la suite, vous auriez pu les supprimer totalement? À l'été 2011, la crise financière est repartie. Elle fut si violente qu'elle a permis une prise de conscience chez les Français. Du coup, il devenait possible de faire avancer des idées, notamment les accords compétitivité-emplois, qui organisent la fin des 35 heures administratives, rigides et obligatoires. Car enfin, ce qui fut le plus nocif dans ce système, c'est son caractère général, autoritaire et déconnecté de la vie des entreprises! Ce fut une idée destructrice que de passer toutes les entreprises sous la même toise, quel que soit leur secteur ou l'état de leur carnet de commandes. La vraie réponse consiste à dire: si, dans l'entreprise, les salariés et le chef d'entreprise se mettent d'accord sur l'emploi, le salaire et la flexibilité, alors leur accord sera autorisé par la loi et primera sur le contrat de travail individuel. Voici le choix que nous avons fait avec François Fillon. C'est celui qui a permis aux Allemands de recueillir tant de succès dans leur lutte contre le chômage. Cette souplesse et cette flexibilité nouvelles profiteront à l'économie française et aux salariés qui bénéficieront de cet accroissement de la compétitivité.
Pour réduire notre retard de compétitivité, ne faudrait-il pas augmenter tout simplement la durée du travail? Si vous voulez dire qu'il faudrait passer aux 37 heures, voire aux 39 heures payées 35, je ne suis pas d'accord. Travailler plus et gagner moins, c'est le contraire de la réhabilitation de la valeur travail. Je ne l'ai jamais proposé. C'est même le contraire de mes convictions les plus fortes. C'est pour la même raison que je n'ai jamais voulu remettre en cause la défiscalisation des heures supplémentaires pour les salariés comme pour les entreprises. Je trouve étonnant que ceux qui réclament le plus une augmentation du pouvoir d'achat exigent le démantèlement de ces dernières. En 2011, malgré la crise, les heures supplémentaires ont augmenté le pouvoir d'achat de 9 millions de salariés. C'est un succès considérable aussi bien social qu'économique. Il n'y a au fond que pour les retraites que nous avons fait une exception en demandant aux Français de travailler deux années de plus sans augmenter les pensions.
Pourquoi cette exception? Parce qu'il en allait de la survie de notre système de retraites par répartition. Quand j'ai été élu en 2007, les retraites n'étaient pas financées pour 1,5 million de retraités. On allait chercher à la banque un argent que n'avait pas la Sécurité sociale. Avec notre réforme, les 15 millions de retraités ont désormais la certitude que leurs pensions seront versées. Tous ceux qui veulent remettre en cause cette réforme mentent aux Français.
Sommet social à l'Élysée, le 18 janvier 2012.
Mais les socialistes n'annoncent plus le retour à la retraite à 60 ans pour tous... Je me souviens encore des principaux candidats à la primaire socialiste affirmant solennellement aux Français au moment des manifestations qu'ils reviendraient à la retraite à 60 ans. S'ils y ont renoncé, il faut le dire aux Français qui alors auraient été trompés. Et s'ils proposent de revenir sur la réforme, il leur faut dire aux 15 millions de retraités et aux salariés qu'ils devront alors massivement augmenter les cotisations et les prélèvements. Le sujet est trop grave, trop lourd de conséquences pour se permettre la duplicité, la démagogie ou pire, le mensonge.
Le RSA n'a-t-il pas finalement plus encouragé l'assistanat que favorisé le travail? Il faut dire la vérité: le RSA a mieux fonctionné comme instrument de lutte contre la pauvreté que comme outil de réinsertion. Il est vrai que la situation économique ne nous a pas aidés. Mais il est vrai aussi que notre système d'indemnisation du chômage fonctionne mal, au sens où il ne permet pas suffisamment à un demandeur d'emploi de retrouver un travail. Moins de 10 % d'entre eux sont en formation ; 75 % des demandes de formation des chômeurs ne sont pas satisfaites! Ces chiffres expliquent pourquoi les demandeurs d'emploi restent si longtemps au chômage. Il faut engager un changement profond de notre organisation, une forme de révolution.
Une révolution? Mais comment? Certains économistes expliquent qu'on indemnise trop longtemps le chômage et que cela n'incite pas à reprendre un emploi. Je ne crois pas à ce raisonnement qui aurait pour conséquence une réduction de la durée d'indemnisation. Je propose de créer un nouveau système dans lequel l'indemnisation ne sera pas une allocation que l'on touche passivement, mais la rémunération que le service public de l'emploi versera à chaque demandeur d'emploi en contrepartie de la formation qu'il devra suivre.
Comment cela fonctionnera-t-il? Passé un délai de quelques mois, toute personne au chômage sans perspective sérieuse de reprise d'emploi devra choisir une formation qualifiante. Celle-ci sera définie par un comité national qui identifiera, avec des chefs d'entreprise et des syndicalistes, les secteurs d'avenir créateurs d'emplois. À l'issue de cette formation, qui sera obligatoire, le chômeur sera tenu d'accepter la première offre d'emploi correspondant au métier pour lequel il aura été nouvellement formé.
Mais notre système de formation actuel ne permet pas d'y répondre! Nous allons donc engager une grande réforme de la formation professionnelle. Aujourd'hui, elle fonctionne mal. Elle est éclatée entre des responsables multiples: les Régions, les organisations patronales et syndicales, l'Etat. Chaque année, 30 milliards d'euros sont consacrés à la formation professionnelle. Cet argent peut être et doit être mieux utilisé. J'ai confié une mission à ce sujet à Gérard Larcher. C'est à partir de son rapport que seront posées les bases de cette nouvelle réforme.
Vous comptez le faire d'ici au mois d'avril? Cette réforme est tellement systémique qu'il n'est pas pensable de la mettre en œuvre aussi rapidement. Elle est capitale pour l'avenir du pays. Elle concerne directement les Français. C'est peut-être l'une des réformes qu'il faudra soumettre à leur jugement direct.
Vous voulez dire: par référendum? Oui.
Après l'élection présidentielle? Si un consensus se dégage parmi les partenaires sociaux, cela ne sera pas nécessaire. Mais si les intérêts particuliers, les obstacles catégoriels s'avéraient trop puissants, il faudrait sans doute réfléchir à l'opportunité de s'adresser directement aux Français pour qu'ils donnent leur opinion sur ce système d'indemnisation du chômage et sur la façon dont on doit considérer le travail et l'assistanat. Je crois que la meilleure façon de surmonter des blocages dans notre société, c'est de s'adresser directement au peuple français.
Mais vous-même, vous n'avez pas organisé de référendum durant votre quinquennat... C'est vrai parce qu'en cinq ans, malgré toutes les réformes mises en œuvre, le pays n'a jamais connu de blocage. Sur les retraites, par exemple, il y a eu des manifestations, des protestations, mais la réforme, sans drame et surtout sans violence, a pu être adoptée et appliquée.
Les socialistes vous accusent de vous être engagé auprès de Bruxelles à augmenter massivement les impôts après l'élection présidentielle... Je me pose toujours la question de savoir si c'est de la mauvaise foi ou de l'incompétence. Je ne trancherai pas, pour rester aimable. Je l'ai dit, je le répète: il n'y aura aucune augmentation d'impôts dissimulée. Il n'y a aucun projet caché. Nous ne masquons rien, nous ne dissimulons rien. Par ailleurs, si nous pouvons ne pas augmenter les impôts ni maintenant ni demain, c'est parce que nous poursuivrons l'effort indispensable d'économies engagé.
Comment s'assurer que les collectivités locales participeront à cet effort? J'ai réuni, avec le premier ministre et les ministres, les dirigeants des associations représentatives des collectivités territoriales pour leur proposer un pacte de stabilité des dépenses publiques avec l'État. Elles doivent s'imposer des règles de diminution des dépenses comme le font désormais la Sécurité sociale et l'État. Pensez que, sur les dix dernières années, les effectifs de fonctionnaires des Régions, hors toutes nouvelles compétences liées à la décentralisation, ont augmenté de 173 %! Ceux des fonctionnaires des intercommunalités ont augmenté de 177 %! De 1998 à 2009, les effectifs des collectivités territoriales ont augmenté de 430.000! Dans le même temps, l'État a supprimé 160.000 postes de fonctionnaires depuis 2007. Cela ne peut pas durer.
Mais comment les y obliger? Je souhaite que les collectivités fassent cet effort volontairement. Sinon, il faudra trouver les moyens pour que les dotations de l'État soient modulées en fonction de leur politique de maîtrise des dépenses. La France n'a pas le choix, elle doit réduire ses dépenses, son déficit et son endettement.
Vous avez décidé de mettre en place la fameuse TVA sociale... Je récuse ce terme.
Comment l'appeler? C'est une arme contre les délocalisations. Depuis dix ans, nous avons perdu 500.000 emplois industriels à cause des délocalisations. Y a-t-il un problème de coût du travail dans notre pays? Oui, c'est une évidence. Pas seulement avec les Chinois. Avec nos voisins européens et notamment allemands. Nous lançons un processus véritablement historique en augmentant de 50 % les allégements des charges qui pèsent sur le travail. Rien que dans l'industrie du bâtiment, ce sont 500.000 salariés qui seront concernés: dans ce secteur, les charges sur le travail diminueront de 5 %. Nos entreprises seront plus compétitives. Notre croissance sera plus forte. Nos emplois plus nombreux.
Au risque de peser sur le pouvoir d'achat? Aucun économiste ne pense que l'inflation est aujourd'hui un risque. La concurrence est telle qu'il n'y aura aucune augmentation de prix liée à cette décision.
Pour créer un véritable choc de compétitivité, ne fallait-il aller plus loin et augmenter davantage la TVA? Nous ne l'avons pas fait parce que nous devons tenir compte de la capacité des Français à accepter une mesure. C'est sans doute ce qu'il y a de plus difficile dans ma fonction. La question s'était déjà posée pour moi quand il a fallu décider du report de l'âge de la retraite. 62 ou 63 ans? J'ai considéré qu'à 62 ans, les Français penseraient que c'était raisonnable. S'agissant de l'augmentation de la TVA pour baisser les charges sur le travail, j'ai estimé que c'était une mesure tellement nouvelle qu'il fallait être raisonnable et modéré, c'est le cas avec cette augmentation de 1,6 %. J'ajoute que cette mesure a pour effet de garantir le financement de notre politique familiale en élargissant son assiette.
Les socialistes estiment qu'elle est injuste, puisqu'elle profiterait davantage aux «riches» qu'aux «pauvres»... C'est un argument absurde! Le quotient familial existe depuis 1945. Pourquoi s'acharner à détruire ce qui marche bien en France? Je n'accepterai pas qu'on touche à la politique familiale. Le cœur de cette politique, c'est le quotient familial! C'est une injustice de vouloir accabler les familles des classes moyennes en supprimant le quotient familial. C'est une grande erreur que de confondre la politique familiale et la politique de redistribution. Pour la redistribution, il y a l'impôt sur le revenu, la CSG, les prestations sociales... La politique familiale est une politique en faveur de la natalité.
Êtes-vous favorable au mariage homosexuel? Je n'y suis pas favorable. J'avais proposé en 2007 un contrat d'union civile. Nous ne l'avons pas mis en œuvre parce que nous nous sommes rendu compte qu'il était inconstitutionnel de réserver ce contrat aux seuls homosexuels. Ce contrat d'union civile aurait porté atteinte à l'institution du mariage. Cependant, j'ai veillé à garantir aux homosexuels les mêmes avantages en termes de succession et de fiscalité qu'aux couples mariés, mais dans le cadre du pacs. En ces temps troublés où notre société a besoin de repères, je ne crois pas qu'il faille brouiller l'image de cette institution sociale essentielle qu'est le mariage.
Et l'adoption par des couples de même sexe? C'est une des raisons pour lesquelles je ne suis pas favorable au mariage homosexuel. Il ouvrirait la porte à l'adoption. Je sais qu'il existe, de fait, des situations particulières avec des hommes et des femmes qui assument parfaitement leur rôle parental. Mais elles ne m'amènent pas à penser qu'il faudrait inscrire dans la loi une nouvelle définition de la famille.
Sur la fin de vie, souhaitez-vous une évolution législative? Non. L'euthanasie légalisée risquerait de nous entraîner vers des débordements dangereux et serait contraire à notre conception de la dignité de l'être humain. La loi Leonetti est parfaitement équilibrée, elle fixe un principe, celui du respect de la vie. Pour le reste, laissons place au dialogue entre le malade, sa famille et le médecin. Cela s'appelle faire preuve de compréhension et d'humanité. On n'est pas obligé de légiférer sur tout et tout le temps.
En 2007, vous prôniez l'école du respect. Avez-vous le sentiment qu'il y a eu des progrès dans ce domaine? Nous n'avons pas été au bout de la réforme de l'Éducation nationale. Les enfants ont changé, mais l'école pas assez. L'égalité, ce n'est pas de donner à chacun la même chose, c'est de donner à chacun en fonction de ses handicaps, de ses difficultés, de ses retards. Il va falloir augmenter fortement la présence des adultes dans l'école. Considérer que la classe est le lieu de l'enseignement, et l'école celui de l'éducation. J'aurai l'occasion de faire des propositions sur le sujet.
Mais comment faire sans augmenter le nombre d'enseignants? Arrêtons de raisonner en termes d'effectifs: ceux-ci ont augmenté de 34.000 ces vingt dernières années alors que, dans le même temps, le nombre des élèves diminuait de 540.000. L'un des enjeux sera de revaloriser fortement la fonction d'enseignant, d'améliorer leur formation et de réfléchir à leur mission ainsi qu'à leurs conditions de travail. L'idée selon laquelle ils devaient être moins payés parce que l'école était fermée cinq mois de l'année est une idée d'un autre âge. Ce sera l'un des chantiers les plus importants. Il faudra faire preuve d'imagination. On ne peut pas s'en tenir aux archaïsmes alors que nous sommes entrés depuis douze ans dans le XXIe siècle.
Faudra-t-il un référendum sur l'école? Paradoxalement, je ne le pense pas. Il serait vu comme un moyen de monter une partie de la société contre le monde éducatif. On ne peut pas faire une réforme de cette nature sans y associer les enseignants.
L'identité nationale a été un des grands thèmes de votre campagne en 2007. Le revendiquez-vous toujours aujourd'hui? Il y a eu une polémique qui a détourné les Français des enjeux essentiels. Je voulais leur dire: soyez fiers de votre pays, nous avons des valeurs, nous ne ressemblons à aucun autre peuple, nous devons continuer à accueillir des étrangers, mais ceux que nous accueillons doivent aimer notre pays. Ce sont ceux qui arrivent qui doivent assimiler nos règles, ce n'est pas aux principes républicains de s'adapter. Nous avons pu intégrer dans le creuset républicain les vagues migratoires précédentes parce qu'il y avait chez les nouveaux venus une communauté culturelle et religieuse au fond très proche de notre histoire. L'immigration la plus récente est différente. Cela représente un atout mais cela pose également des questions redoutables, pour l'essentiel liées aux revendications communautaristes d'une minorité. La France a fait des efforts considérables pour créer des lieux de culte, pour que chacun se sente considéré, y compris dans ses différences. Mais il a également fallu fixer des limites. En 2008, dans mon discours devant le Congrès, j'ai expliqué que la burqa ou le niqab devaient être interdits. J'ai également demandé qu'on mette un terme aux prières de rue. Parce que les autres citoyens n'ont pas à se les voir imposer dans un pays laïc, mais aussi par souci de la dignité de ceux qui n'ont pas à pratiquer sur le trottoir. Enfin, l'an passé, nous avons procédé à l'expulsion d'une quinzaine d'imams qui proféraient des prêches violents. N'est pas le bienvenu sur le territoire de la République celui qui ne respecte pas la République. La France restera une terre d'accueil, c'est conforme à sa tradition, mais elle n'acceptera pas qu'on impose à la République des comportements absolument contraires à ses valeurs.
François Hollande propose d'accorder le droit de vote aux immigrés aux élections locales. Vous-même l'aviez envisagé par le passé... Ce n'est vraiment pas le moment, avec tous les risques de montée du communautarisme. Le débat politique ne doit pas être communautarisé. Si les étrangers extra-européens pouvaient voter en France aujourd'hui, songeons comment risquerait d'évoluer le débat municipal dans telle ou telle commune: faut-il des cantines scolaires hallal? Des piscines réservées aux femmes? Est-ce cela que nous voulons? Ma réponse est non. Le droit de vote doit rester lié à la citoyenneté.
De la même façon, je dis très clairement que, contrairement à M. Hollande, je ne suis pas favorable à la régularisation des étrangers en situation irrégulière qui créerait immédiatement un appel d'air... Enfin, je pose la question de la juridiction compétente s'agissant du droit des étrangers. En ce domaine, la concurrence, et souvent la divergence, entre tribunaux administratifs et tribunaux judiciaires est source d'une grande confusion. Je pense que la juridiction administrative devrait être seule compétente en matière d'immigration.
Comment y parvenir? Il faudra une réforme de la Constitution.
Vous proposerez un référendum? C'est un sujet dont on peut débattre.
En matière de maîtrise de l'immigration, vos résultats ne sont-ils pas décevants? Voyez les chiffres. Une nouvelle fois, j'entends beaucoup de mensonges. En 2011, nous avons expulsé 33.000 immigrés en situation irrégulière. Sous le gouvernement de M. Jospin, de 1997 à 2002, 9.000 étaient expulsés chaque année! Le niveau de l'immigration régulière a baissé de 3,5 % de 2010 à 2011 pour s'établir à 182.000. En 2002, c'était 207.000. Nous avons réformé le regroupement familial, désormais accordé sous conditions de logement et de ressources. Il est passé de 25.000 par an à 15.000. Cela prouve que le volontarisme est possible, y compris en matière de politique migratoire.
Dans le même esprit, je propose que, désormais, les titres de séjour obtenus par le mariage avec un Français (plus de 25.000 chaque année) soient soumis aux mêmes conditions de logement et de ressources. Ainsi nous combattrons plus efficacement les fraudes. Enfin, nous allons réformer les prestations accordées aux demandeurs de droit d'asile. Elles seront limitées quand le demandeur ne coopérera pas avec l'administration, quand il déposera sa demande plus de trois mois après son entrée sur le territoire, ou quand il refusera une offre d'hébergement.
Vous maintenez la décision de réduire l'immigration du travail? J'assume la décision qui a été prise de la réduire. Nous avons eu 26 % d'immigrés professionnels en moins en 2011. 100.000 jeunes entrent sur le marché du travail chaque année à qui il faut trouver un emploi. Il y a 24 % de chômeurs dans la population immigrée. Pourquoi contester la nécessité de cette réduction? Mais il est un autre point sur lequel je voudrais insister. Il concerne l'ouverture de la France aux étudiants étrangers. Je veux corriger le mensonge de ceux qui, pour se donner bonne conscience, véhiculent des critiques infondées contre leur propre pays. La France a accueilli, en 2011, 60.000 étudiants étrangers. Autant qu'en 2010. Ils n'étaient que 50.000 en 2007 et 2008! Dire que nous avons refusé des étudiants étrangers est une contre-vérité. J'ajoute que le nombre d'étudiants diplômés travaillant en France à la fin de leurs études a augmenté de 17 % entre 2010 et 2011.
Regrettez-vous le discours du Latran où vous mettiez en avant les racines chrétiennes de la France? Mais enfin, la France a des racines chrétiennes, et mêmes judéo-chrétiennes, c'est une réalité historique qu'il serait absurde de nier! Voyez le long manteau d'églises et de cathédrales qui recouvre notre pays. La France est née de la rencontre entre la volonté des rois et celle de l'Église. Jeanne d'Arc, dont on vient de fêter le 600e anniversaire de la naissance, est au carrefour de cette double volonté. Dire cela ne signifie pas qu'on appartient à une Église, ni qu'on adhère moins aux valeurs de la République ou au principe de laïcité. N'amputons pas la France d'une part de son histoire.
Le chef de l'État célèbre le 600e anniversaire de la naissance de Jeanne d'Arc, vendredi 6 janvier.
Que pensez-vous de l'idée d'introduire la laïcité dans la Constitution? C'est très original! C'est déjà à l'article premier de la Constitution! J'espère que, dans les semaines qui viennent, on fera preuve d'un peu plus d'imagination! Le débat ne pourra qu'y gagner...
Serait-il normal que Marine Le Pen ne puisse pas se présenter faute de signatures? Je considère qu'un courant politique qui réunit plusieurs millions de citoyens à chaque élection doit pouvoir être représenté à la présidentielle.
Êtes-vous partisan d'un retour à l'anonymat des parrainages? Le Conseil constitutionnel est saisi. Nous verrons ce qu'il répondra. Par principe, je suis opposé à l'anonymat. La démocratie, c'est la transparence: un élu doit dire ce qu'il fait à ses concitoyens. Cela dit, je ne serais pas opposé à ce qu'il y ait, à l'avenir, une évolution de la législation pour permettre aussi à un certain nombre de citoyens de parrainer le candidat de leur choix. Les problèmes actuels ne se poseraient plus.
On vous prête l'intention de publier un livre où vous feriez une sorte de mea culpa... J'ai toujours été contre la repentance, je ne vais pas changer aujourd'hui. Ce qui ne veut pas dire que je ne sois pas capable de réfléchir à ce qui a été réussi pendant ces cinq années, et à ce qui l'a été moins.
Justement, de quoi êtes-vous le plus fier? Qu'il n'y ait pas eu de violence sans que jamais nous n'ayons été amenés à reculer ou à retirer un texte. Rappelez-vous ce qu'on disait en 2007! Avoir pu faire tous ces changements, toutes ces réformes, sans qu'il y ait eu de blocage est un motif de satisfaction.
Et votre regret? Quand je vois tout ce qu'il reste à faire et que nous n'avons pas fait...