LE MONDE | 01.04.2014 à 12h04 • Mis à jour le 01.04.2014 à 13h05 | Par Gérard Davet et Fabrice Lhomme
Claude Guéant, alors ministre de l'intérieur, et Nicolas Sarkozy, en mars 2011.
Toutes les archives de Claude Guéant n'ont pas disparu. Si les notes de travail de l'ancien secrétaire général de l'Elysée (2007-2011) n'ont pu être retrouvées, comme l'ont constaté les juges chargés de l'affaire Pérol, celles datant de son passage au ministère de l'intérieur (2011-2012) nourrissent désormais le dossier Tapie.
Elles accréditent l'idée selon laquelle le fidèle collaborateur de Nicolas Sarkozy a continué de s'impliquer, alors qu'il n'était plus à l'Elysée, dans l'affaire de l'arbitrage entre le Crédit lyonnais et Bernard Tapie, et rendent plus que jamais nécessaire son audition, sous un statut à déterminer.
M. Guéant – qui n'a pas donné suite aux sollicitations du Monde – est soupçonné d'avoir joué un rôle moteur dans le processus d'arbitrage. Le 7 juillet 2008, un tribunal arbitral avait accordé une somme de 405 millions d'euros à M. Tapie, dans des conditions considérées comme suspectes par les juges Serge Tournaire, Claire Thépaut et Guillaume Daïeff. Les magistrats postulent que M. Tapie, proche de M. Sarkozy, aurait bénéficié d'un arbitrage truqué, le qualifiant même de « simulacre » – ce que réfute vivement l'homme d'affaires.
Voir notre infographie interactive sur les protagonistes de l'affaire Tapie-Lagarde
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Lors d'une perquisition dans ses bureaux d'avocat, les juges ont saisi un cahier bleu, de marque Conquérant, sur lequel M. Guéant prenait des notes. Une page, manifestement rédigée au début de l'année 2012, est consacrée au sort de Jean-François Rocchi. Ce haut fonctionnaire, ancien dirigeant du Consortium de réalisation (CDR), l'organisme chargé de gérer le passif du Crédit lyonnais, est poursuivi pour « escroquerie en bande organisée » et « usage abusif des pouvoirs sociaux ». Il est suspecté d'avoir joué un rôle central dans le processus présumé frauduleux.
Sous son nom, M. Guéant note, de son écriture en pattes de mouche : « CJR. Réentendu comme témoin fin janvier. Mme Lagarde a-t-elle été entendue ? » Des annotations confirmant que le ministre de l'intérieur se tenait informé, notamment sur le volet ministériel de l'affaire, géré par la Cour de justice de la République (CJR), dans lequel l'ex-ministre de l'économie Christine Lagarde est témoin assisté.
« N'ONT RIEN OBTENU QUI MET EN CAUSE »
« Le proc' a décidé de faire entendre tous les administrateurs », note encore le ministre de l'intérieur, manifestement au fait des initiatives du procureur de la République – l'affaire faisait alors l'objet d'une enquête préliminaire, sous le contrôle du parquet. Il ajoute, sibyllin, allusion manifeste aux investigations des policiers : « N'ont rien obtenu qui met en cause. » Il suit aussi la procédure menée par la Cour de discipline budgétaire et financière : « C.D.B.F. les choses vont très lentement. audience fin d'année ? Non : 2013. »
M. Guéant pourrait avoir obtenu une partie de ces informations de la bouche de M. Rocchi lui-même. Interrogé par les juges le 12 février, ce dernier s'est souvenu que le ministre de l'intérieur lui avait demandé « d'aller le voir » au cours du « premier trimestre 2012 ».
« Je ne sais d'ailleurs pas pourquoi puisque je suppose qu'il avait tous les renseignements qu'il me demandait par sa fonction de ministre de l'intérieur en charge de la police. » « J'ai compris, a-t-il ajouté, qu'il souhaitait que je l'informe de l'avancement des procédures me concernant. A l'époque, il y avait l'enquête préliminaire et la procédure CDBF. » Toutefois, M. Rocchi a précisé : « Je lui ai seulement parlé des dates de mes propres auditions. Le reste, je ne reconnais pas du tout des propos que je lui aurais tenus. »
« C'ÉTAIT UN POSTE À LA DISCRÉTION DU GOUVERNEMENT »
Lors de cet entretien, M. Guéant s'est préoccupé du sort de M. Rocchi. Sur son cahier est indiqué, en regard de la mention : « Avenir » : « Bolloré ? – industrie – Développement. Si ça va, il reste au BRGM. » De fait, pressenti chez Bolloré, M. Rocchi est finalement resté (jusqu'en juin 2013) à la tête du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), un établissement public. Il a reconnu devant les juges qu'il était allé voir M. Guéant, alors secrétaire général de l'Elysée, pour appuyer son dossier. « C'était un poste à la discrétion du gouvernement, a-t-il justifié. Beaucoup de hauts fonctionnaires font cela habituellement. »
Dans une question à M. Rocchi, le juge Tournaire résume ses interrogations sur le rôle joué par M. Guéant : « Il ressort de l'enquête que Claude Guéant s'était personnellement et activement impliqué dans le dossier Tapie/Adidas depuis au moins septembre 2004, alors qu'il était directeur du cabinet du ministre de l'économie Nicolas Sarkozy et que son intérêt pour l'affaire ne s'est ensuite jamais démenti. »
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Interrogée par la CJR, le 31 janvier, Christine Lagarde s'est d'ailleurs étonnée de la tenue d'une réunion, fin juillet 2007, à l'Elysée, autour de M. Guéant, à laquelle participaient aussi MM. Richard, Tapie et Rocchi : « Je suis surprise de la participation de M. Tapie à une telle réunion ainsi que de la participation de M. Rocchi, a relevé la patronne du FMI. Par ailleurs, je ne me souviens pas que M. Richard m'ait donné des informations particulières sur cette réunion, qui s'était tenue à la fin du mois de juillet précédent et avait été organisée par M. Guéant. Je ne puis que constater que l'un de mes collaborateurs a parlé du contentieux Adidas avec ceux du président de la République, lors de la réunion du 30 juillet 2007. »
La note qui dédouane Christine Lagarde
Les enquêteurs ont trouvé un document susceptible de dédouaner Christine Lagarde dans la prise de décision de l’arbitrage Tapie. Ecrite le 17 octobre 2007 par Jean-François Rocchi, alors président du CDR, cette note – retrouvée dans l’ordinateur de M. Rocchi – est semblable, quasi mot pour mot, à la lettre du 23 octobre 2007 signée par Mme Lagarde et adressée à Bernard Scemama, ex-président de l’EPFR, autorisant l’arbitrage. M. Rocchi aurait donc prérédigé un document à l’insu de Mme Lagarde. Car celle-ci prétend ne pas avoir signé ce courrier du 23 octobre 2007 : « Je pense que cette lettre a été rédigée en mon absence », a-t-elle dit le 31 janvier aux magistrats. Les enquêteurs ont établi qu’elle était au Maroc ce 23 octobre 2007. « C’est une manipulation », s’emporte aujourd’hui M. Scemama.