Le Monde.fr | 25.03.2014 à 08h03 • Mis à jour le 25.03.2014 à 08h54 | Par Brigitte Salino
Olivier Py, directeur du Festival d'Avignon, le 20 mars.
La phrase a agi comme un détonateur. En déclarant lundi 24 mars au matin à France Info : « Je ne vois pas comment le Festival pourrait vivre à Avignon avec une mairie Front national », Olivier Py, directeur du Festival d'Avignon, a relancé la bataille politique dans une ville où tous les acteurs culturels se déclarent « sous le choc », au lendemain du premier tour des élections municipales, qui a vu Philippe Lottiaux, le candidat du Front national (FN), devancer de 27 voix Cécile Helle, la candidate du Parti socialiste.
Lire notre analyse : A Avignon, les grandes manœuvres ont commencé
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« C'est un score auquel je ne peux pas croire, parce que je ne peux pas croire qu'au second tour les gens d'Avignon, une ville qui symbolise la culture, vont élire un maire Front national », dit Emmanuel Serafini, le directeur des Hivernales, une manifestation importante consacrée à la danse. Ce sentiment, largement partagé, dicte la première action de la bataille : se mobiliser pour convaincre les abstentionnistes du premier tour d'aller voter au second pour donner toutes ses chances à la liste de Cécile Helle, qui fait alliance avec celle d'André Castelli, le candidat du Front de gauche.
DÉLOCALISATION ?
Le second point de la bataille repose sur un débat de fond : que faire si le FN gagnait la mairie ? Olivier Py pense qu'il faudrait alors délocaliser le Festival d'Avignon, comme il l'explique au téléphone. « Je ne vois pas comment un directeur du Festival pourrait travailler sans compromission avec une mairie FN : il est totalement imbriqué dans la ville, sans laquelle il n'est pas possible de l'organiser, techniquement, et à qui il rapporte près de 20 millions d'euros chaque année. » La ville, qui met au service du Festival de nombreux lieux, dont la Cour d'honneur du Palais des papes, intervient également à hauteur de 28 % dans les subventions, dont le premier bailleur de fonds est l'Etat (52 %).
Avignon: le FN en tête, le Festival menace de partir
Si le Front National l'emporte au second tour des municipales à Avignon, le festival n'aura "aucune autre solution" que de "partir", a affirmé lundi 24 mars sur France Info son directeur Olivier Py.
« Recevoir de l'argent du FN, ou ne pas en recevoir, si la mairie se désengageait, serait inimaginable », affirme haut et clair Olivier Py, qui réserve sa décision de rester directeur du Festival, en cas de victoire du FN : « Cette décision m'appartiendrait. » Celle de la délocalisation dépendrait de l'Etat, à travers le conseil d'administration du Festival. Mais l'édition 2014, la 68e de la manifestation fondée par Jean Vilar, aura lieu, quoi qu'il arrive. Dès avant le premier tour des municipales, Olivier Py l'avait déclaré. En précisant bien que, dans le cas d'une victoire du Front national, ce serait « une édition de la résistance. »
Le candidat du Front national à la mairie d'Avignon, Philippe Lottiaux, est arrivé en tête du premier tour des élections municipale, le 23 mars.
« PARTOUT OÙ IL Y A LE FN, LES ARTISTES SONT ATTAQUÉS »
Résistance : c'est le mot d'ordre que reprennent deux directeurs de salles permanentes d'Avignon : Gérard Gelas, au Théâtre du Chêne noir, et Danièle Vantaggioli, au Théâtre du Chien qui fume. « J'ai 68 ans, dit cette dernière, ce n'est pas à moi que je pense, mais aux plus jeunes. Il faut rester à Avignon, et se battre pour eux. » Gérard Gelas va dans le même sens : « Je ne pense pas que le FN me ferait de cadeaux, mais je ne fermerais pas mon théâtre. Au contraire. »
Alain Timar, du Théâtre des Halles, une salle ouverte elle aussi à l'année, n'est pas du tout sur cette ligne, et il le dit sans ambages : « Mes valises sont prêtes. Rester, ce serait une position extrêmement courageuse, mais vouée à l'échec. Partout où il y a le Front national, les artistes sont attaqués, en commençant par le retrait des subventions. Je ne vois pas pourquoi ça changerait à Avignon. »
« Bien sûr, il y a la question de l'argent », répond Emmanuel Serafini. Nous en recevons de la ville. Si elle nous en privait, ce serait à l'Etat de compenser, comme il l'a fait à Châteauvallon. » Le directeur des Hivernales précise qu'il n'est pas dans la même situation qu'Olivier Py : il peut organiser son festival sans la ville d'Avignon. Et il tient à mettre à distance l'hypothèse d'un maire Front national : « Nous n'en sommes pas encore là. »
Une même prudence, qui veut éviter les prises de position à l'emporte-pièce, se fait entendre à la Collection Lambert, un des fleurons de la culture à Avignon, consacrée à l'art contemporain : « Le scénario du FN à la mairie paraît assez irréalisable, déclare son directeur, Eric Mézil. S'il était avéré, nous continuerions notre travail, avec le même engagement vis-à-vis des artistes, et du public. »