Le Monde.fr | 25.03.2014 à 08h29 • Mis à jour le 25.03.2014 à 10h50 | Par Marie Charrel
« Le refroidissement des relations avec l'Occident apparaît comme un facteur négatif important pour la croissance économique », a déclaré, lundi, le vice-ministre russe de l'économie.
Les chiffres donnent le vertige. Selon German Gref, le directeur général de Sberbank, la plus grosse banque du pays, 35 milliards de dollars (25,3 milliards d'euros) de capitaux ont été retirés de Russie sur les deux premiers mois de l'année. De quoi pousser le pays dans la récession, a-t-il déclaré lundi 24 mars.
Une tendance inquiétante confirmée quelques heures plus tard par Andreï Klepatch, le vice-ministre russe de l'économie. Selon lui, la fuite des investisseurs s'est accélérée en mars, pour atteindre 65 à 70 milliards de dollars au total. C'est plus qu'en 2013 (63 milliards de dollars).
Un mouvement lié au conflit avec l'Ukraine
En cause ? Le conflit ouvert avec l'Ukraine, d'abord. « Le refroidissement des relations avec l'Occident apparaît comme un facteur négatif pour la croissance », a déclaré lundi 24 mars M. Klepatch, à l'agence de presse Prime Tass.
Les Etats-Unis et l'Union européenne ont déjà gelé les avoirs d'une vingtaine de hauts responsables russes et ukrainiens. Lundi, les dirigeants du G7 réuni à La Haye ont prévenu que, en cas d'escalade en Ukraine, des mesures plus larges, touchant des secteurs économiques entiers, seraient prises. A commencer par l'armement, l'énergie et la finance. Et cela, en plus de l'exclusion de la Russie du G8.
« C'est la perspective de voir les sanctions s'élargir qui inquiète aujourd'hui les investisseurs », commente Neil Shearing, chez Capital Economics.
Cette sortie des capitaux intervient alors que Moscou a déjà, comme nombre de pays émergents, souffert d'une désaffection massive des investisseurs ces derniers mois. Dès mai 2013, lorsque la Réserve fédérale américaine a annoncé qu'elle allait réduire ses injections de liquidité dans l'économie, les financiers ont retiré leurs capitaux placés en Inde, en Turquie, en Amérique du Sud ou en Russie.
Ce qui a provoqué l'effondrement des devises de ces pays. « Le rouble est la monnaie qui s'est dépréciée le plus violemment avec le peso argentin », rappelle M. Shearing.
Aujourd'hui, même les entreprises allemandes, l'une des principales sources de capitaux étrangers pour Moscou, ont commencé à rapatrier les profits réalisés dans leurs filiales russes.
La fuite des capitaux est révélatrice des faiblesses de l'économie russe
Ce n'est pas tout : la panique touche aussi les investisseurs russes eux-mêmes. Selon les calculs d'une société d'investissement parisienne, ces derniers ont déjà, en 2013, sorti du pays l'équivalent de 3 % de PIB environ (contre 1,3 % en moyenne pour les investisseurs nationaux des autres nations émergentes). « C'est le signe d'un manque de confiance des entrepreneurs moscovites dans leurs institutions », analyse Sébastien Barbé, au Crédit agricole CIB.
Mais aussi celui des faiblesses structurelles dont souffre l'économie russe. Alors que le pays affichait un taux de croissance annuel moyen de 8 % entre2000 et 2008, le PIB n'a crû que de 1,3 % en 2013.
« Hormis la consommation des ménages, qui résiste, les principaux moteurs de l'économie du pays sont à plat », commente Ludovic Subran, chef économiste d'Euler Hermes, le spécialiste de l'assurance-crédit.
Après une décennie de croissance forte, les exportations de gaz et de pétrole, principale ressource du pays, sont en berne, pénalisées par la morosité de la demande mondiale. Elles ont reculé de 1,1 % en glissement annuel sur les neuf premiers mois de 2013.
De même, l'investissement privé est au point mort. « Il ne contribue plus du tout à la croissance depuis six à sept trimestres », commente M. Barbé.
La croissance de l'économie russe devrait s'en ressentir
Quelles conséquences auront ces sorties de capitaux sur l'économie russe ? « Tout dépendra de leur ampleur et de leur éventuel durcissement », prévient Gilles Moec, chez Deutsche Bank.
Pour limiter l'effondrement du rouble, la Banque centrale russe pourrait être tentée de remonter encore son taux directeur, comme elle l'a déjà fait le 3 mars (de 5,5 % à 7 %). «Une telle mesure pénaliserait aussi le crédit et la demande interne», commente M. Moec.
Quelle que soit la stratégie de la banque centrale, l'économie devrait dans tous les cas ralentir. Euler Hermes vient de revoir ses prévisions de croissance à la baisse pour 2014, de 3 % à 0,7 %.
« Si les mesures de rétorsion se durcissent, les exports russes pourraient, dans le plus noir des scénarios, chuter de 20 % », calcule M. Subran. « Le PIB, lui, reculerait alors de près de 2,5%. »
La zone euro devrait être un peu affectée
Les difficultés russses devraient notamment toucher la zone euro, dont 4,7 % des exportations vont à Moscou. Et surtout l'Allemagne : ses exports vers la Russie représentent 1,5 % de son PIB. « Pour que l'impact sur la zone euro soit significatif, il faudrait néanmoins que la récession russe soit d'une ampleur aussi dramatique que celle de 1998 », nuance M. Moec.
Selon ses calculs, il faudrait que le PIB russe recule de 8,6 % pour que celui de l'Allemagne soit amputé de 0,5 point de PIB. Un scénario pour l'instant peu probable. D'autant que la Russie dispose encore de quelques cartouches pour soutenir son économie.
Outre ses réserves de change (493 milliards de dollars), sa dette publique, à 13 % du PIB, reste très faible au regard des niveaux européens. « En cas de besoin, Moscou a encore un peu de marge pour augmenter les dépenses publiques et soutenir la demande intérieure », conclut M. Barbé.