Le Monde.fr avec AFP, AP et Reuters | 22.02.2014 à 09h38 • Mis à jour le 23.02.2014 à 11h17
Place de l'indépendance à Kiev, le 22 février.
L'Ukraine a connu de grands bouleversements politiques samedi 22 février. Dans la soirée, l'opposante Ioulia Timochenko, tout juste libérée de prison, a reçu un accueil triomphal face à plus de 50 000 personnes rassemblées sur Maïdan, la place de l'indépendance à Kiev.
Quelques heures plus tôt, les députés ont destitué le président Viktor Ianoukovitch et fixé au 25 mai la tenue de la prochaine élection présidentielle. La Rada a déclaré le chef de l'Etat, qui a quitté Kiev, dans l'incapacité constitutionnelle d'exercer ses fonctions. M. Ianoukovitch, qui avait auparavant dénoncé un « coup d'Etat », aurait tenté de fuir en Russie, selon le président du Parlement.
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Les réactions internationales ont aussitôt suivi ces chamboulements, pour soutenir, en Europe occidentale et aux Etats-Unis, la libération de Ioulia Timochenko.Washington, Londres et Berlin se sont dits prêts à soutenir un nouveau gouvernement, tandis que de nombreuse voix, à l'image du ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, ont appelé à préserver avant tout l'unité et l'intégrité territoriale de l'Ukraine.
Lire : Washington et Londres prêt à soutenir « un nouveau gouvernement »
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Timochenko, libre, acclamée à Maïdan
Ioulia Timochenko devant la foule de Maïdan à Kiev le 22 février.
Le parlement a voté samedi la « libération immédiate » de l'ex-premier ministre Ioulia Timochenko, égérie de la Révolution orange en 2004, emprisonnée depuis 2010. Condamnée pour abus de pouvoir, elle est sortie dans l'après-midi de l'hôpital pénitentiaire de Kharkiv, dans le nord-est du pays. Sitôt libérée, l'opposante a accouru dans la capitale pour s'adresser à ses partisans et à l'opposition anti-Ianoukovitch, fendant sous les acclamations la foule de plus de 50 000 personnes sur Maïdan, place centrale de Kiev. La foule scandait « Ioulia, Ioulia, Ioulia », même si certains manifestants se sont montrés sceptiques sur ses capacités à reprendre la main à Kiev.
En larmes et sur un fauteuil roulant, elle a salué « les héros de l'Ukraine ». « Vous êtes le meilleure chose d'Ukraine », a-t-elle lancé avant de prôner la réconciliation : « Une fois que le calme sera revenu, notre devoir sera de tout faire pour que des millions d'Ukrainiens n'aient plus peur. » Ioulia Timochenko a aussi appelé les Ukrainiens à rester sur Maïdan tant qu'ils n'« obtiendront pas ce qu'ils veulent », en assurant que leur exemple contribuerait à « l'instauration de la démocratie dans d'autres ex-républiques soviétiques ».
Elle a accusé les politiciens d'avoir trahi le peuple : « Je vous demande pardon au nom de tous les hommes politiques. (...) S'ils avaient été dignes, il n'y aurait pas eu d'effusion de sang ». L'opposante a aussi évoqué les morts de cette insurrection. « Les snipers ont tiré dans les cœurs de nos hommes, ces balles nous feront toujours souffrir. Mais si nous ne jugeons pas ces gens-là, nous devrons avoir honte. » « Ceux qui ont été tués sont nos libérateurs. Ils vont nous inspirer. Les héros ne meurent pas !», a-t-elle lancé.
Cérémonie funéraire d'un homme mort lors des affrontements avec les forces de l'ordre le 22 février sur la place de l'indépendance à Kiev.
Avant son arrivée, des prêtres avaient célébré une cérémonie religieuse pour l'une des victimes des violences du début de la semaine, qui ont fait près de 80 morts. Dans la foule, beaucoup ont allumé leurs portables, créant une aura de lumière, tandis que des gens allumaient des cierges et tenaient des fleurs à la main.
Ianoukovitch, destitué par les députés, dénonce un « coup d'Etat »
Viktor Ianoukovitch, le 21 février à Kiev.
Par 328 voix sur 450 députés, la Rada a destitué Viktor Ianoukovitch, le déclarant « dans l'incapacité constitutionnelle d'exercer ses fonctions ». Le texte de la motion, lu par le nouveau président de la chambre, Oleksander Tourchinov, un allié de l'opposante Ioulia Timochenko, souligne que le chef de l'Etat, qui a quitté Kiev, « a abandonné ses responsabilités constitutionnelles, ce qui menace le fonctionnement de l'Etat, l'intégrité territoriale et la souveraineté de l'Ukraine ».
Dans une interview accordée à la télévision ukrainienne UBR, Viktor Ianoukovitch a exclu de démissionner, dénoncé un « coup d'Etat » et rejeté la légalité des décisions prises par les députés. « Ce qui se passe aujourd'hui est du vandalisme, du banditisme, un coup d'Etat », a-t-il lancé. « Je n'ai pas l'intention de quitter le pays », a-t-il aussi souligné, affirmant que sa voiture avait été visée par des coups de feu à Kiev. « Mais je n'ai pas peur », a-t-il ajouté.
Lire le portrait : Viktor Ianoukovitch, chef de clan et président honni
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Toutefois, selon le président du Parlement Olexandre Tourtchinov, cité par l'agence Interfax, « Viktor Ianoukovitch a essayé de prendre un avion à destination de Russie. Mais il en a été empêché par des gardes-frontières. Il se cache actuellement quelque part dans la région de Donetsk », région pro-russe dans l'est de l'Ukraine dont il est originaire. « Un avion privé, qui devait décoller de l'aéroport de Donetsk, n'avait pas ses autorisations en ordre. Quand les responsables sont arrivés pour vérifier les documents, ils ont été accueillis par des hommes armés qui leur ont proposé de l'argent pour pouvoir décoller sans autorisation », a confirmé le porte-parole des gardes-frontières, Sergiy Astahov, ajoutant que cette offre a été refusée.
Les opposants viennent visiter la résidence de campagne de Ianoukovitch près de Kiev, le 22 février.
Dans la capitale, les lieux symboliques du pouvoir de Ianoukovitch ont été peu à peu investis. De nombreux journalistes ont pénétré sans difficulté dans la résidence du président — dans la banlieue de Kiev —, d'habitude sous très haute protection. L'opposition explique que les gens se rendent nombreux vers ce lieu « afin de constater dans quelles conditions vivait Ianoukovitch ces dernières années ».
Lire le reportage : Les Ukrainiens en goguette dans le « Versailles » de Ianoukovitch
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Voir les photos : La résidence façon parc d'attractions du président ukrainien
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Changement à la tête du Parlement
Au centre (assis), Volodymyr Rybak, l'ancien président de la Rada entouré par plusieurs députés ukrainiens, le 21 février 2014.
Dans la matinée de samedi, le président de la Rada a quitté ses fonctions. Dès l'ouverture de la séance, Volodymyr Rybak, membre du Parti des régions et proche de Viktor Ianoukovitch, a annoncé sa démission pour « des raisons de santé ». Plusieurs députés du Parti des régions, au pouvoir, ont également annoncé qu'ils quittaient leur formation.
Dans la foulée de la démission de M. Rybak, l'assemblée ukrainienne a élu Olexandre Tourtchinov, bras droit de Ioulia Timochenko, à la tête de la présidence de la Rada. « Le pouvoir en Ukraine reprend son travail pour stabiliser la situation », a-t-il déclaré après avoir été désigné par 288 voix sur un total de 450.
Les forces de l'ordre refusent d'affronter le peuple
Les forces armées ukrainiennes ont annoncé qu'elles se tiendraient à l'écart de la crise politique en cours. « Les forces armées d'Ukraine sont loyales à leurs obligations constitutionnelles et ne peuvent être impliquées dans un conflit politique intérieur », peut-on lire dans un communiqué de l'état-major mis en ligne sur le site du ministère de la défense.
Les chefs de quatre organes des forces de sécurité, dont le patron des Berkout, la police anti-émeutes, ont parallèlement déclaré devant le Parlement qu'ils n'affonteraient pas le peuple. Le ministère de l'intérieur a exprimé pour sa part son soutien à un « changement rapide » et a demandé aux citoyens de s'unir pour protéger la sécurité et établir un « pays européen indépendant, démocratique et juste ».
Lire le reportage : A Kiev, les « centuries » de Maïdan investissent des rues désertées par la police
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A l'est, la légitimité du parlement de Kiev remise en cause
Dans l'Est, russophile, ces changements ne semblent pas au goût de tous les politiques. Le gouverneur de la région de Kharkiv, Mikhaïlo Dobkine, a ainsi révélé qu'un congrès des régions ukrainiennes pro-russes s'était ouvert samedi à Kharkiv, en présence de députés et de gouverneurs russes.
Les dirigeants des régions majoritairement russophones, partisans du président Viktor Ianoukovitch, ont remis en cause samedi la légitimité de la Rada et déclaré qu'ils conservaient le seul contrôle de leurs territoires.
Près de 80 morts cette semaine
Ukraine protests: Fighting in Kiev 18.02.2014 from alexey solodunov on Vimeo.
Après trois mois de contestation, née de l'abandon par le président Ianoukovitch d'un accord d'association avec l'Union européenne, la capitale ukrainienne s'était transformée en champ de bataille la semaine passée. Plus de 80 personnes ont été tuées lors des violents affrontements entre forces de l'ordre et manifestants. Vendredi, pour tenter de sortir de la crise, un fragile accord avait été signé entre la présidence et les opposants, qui n'a pas su convaincre les manifestants de Maïdan, déterminés à voir M. Ianoukovitch quitter le pouvoir.
Lire la chronologie : Ukraine : des premières manifestations au compromis fragile
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